- Conrad, le chef veut te parler…

Un type s’était pointé sur le chantier. Si lui connaissait visiblement bien mon prénom, moi non. Je le regardai de haut en bas, en me demandant ce qu’il voulait. Enfin, je faisais ça comme je pouvais, du coin de l’œil…

- Comme tu peux le voir, mon grand, je suis pas trop en position de discuter ou bien de bouger, là…
- C’est urgent.

Il insistait, en plus ! Non, c’est pas comme si je tenais un gigantesque morceau de tôle du bout des doigts qu’on était sensé clouer sur la palissade, non…

- Un peu plus haut, s’il te plaît…

Je poussai un gros soupir et serrai les dents avant de me mettre sur la pointe des pieds. En extension totale, je voyais au-dessus de moi mon collègue lever le pouce avant de commencer à clouer la palissade. Des mots sortirent avec peine entre mes dents, à destination du messager :

- Écoute, je termine ce truc et j’arrive, ok ?

L’autre acquiesça avant de repartir comme il était venu. Je me concentrai de nouveau sur la palissade et fis de mon mieux pour pas bouger d’un poil pendant que le vieux plantait ses clous.


Une dizaine de minutes plus tard, je m’étais dépoussiéré et nettoyé les mains avant de m’aventurer dans les locaux de l’ancienne base, entièrement réaménagée pour les besoins du camp. J’avais beau être en sécurité ici, les couloirs de cette base avaient toujours quelque chose de sinistre. Interminables, gris et relativement sombres, ils me donnaient toujours l’impression de m’enfoncer dans un labyrinthe qui cachait une quantité de monstres prêt à surgir et à vous dévorer.

Je passai outre ce malaise et marchai en direction du bureau du chef de camp. Un haut gradé militaire qui avait pris l’initiative de bâtir ce refuge dans l’endroit le plus louche de la planète…

- Bonjour…

Evidement, histoire de passer pour un con, j’étais le dernier arrivé. Un signe de tête accompagna mes salutations et je me plaçai sur le côté, debout, appuyé contre une étagère. On était cinq hommes convoqués par le chef. Deux avaient déjà pris place sur les sièges disponibles. Le supérieur hiérarchique mit des papiers de côté de manière à dégager au mieux son bureau. Puis il posa ses coudes sur son dessous de main.

- Messieurs, l’heure est grave. Je vous ai fait convoquer ici car j’ai une mission à vous confier. Une mission dont je veux que vous gardiez le secret. Il y a trois jours, une expédition de dix personnes est partie vers l’ouest pour aller chercher des ressources en carburants. Ils devaient rentrer le soir même. Or, personne ne nous est revenu, et nous n’avons aucune idée de ce qui a pu leur arriver. Le reste du camp n’est pas informé de cet… incident. Cette perte, si c’en est une, est assez importante pour notre camp et je ne veux pas que l’information se répande trop vite et provoque la peur parmi nous. Je suppose que vous me comprenez…

Je hochai la tête comme les autres. Évidement, on ne veut pas que le chaos s’installe dans son petit paradis…

- Je voudrais donc que vous partiez à leur recherche, tous les cinq. Vous aurez des véhicules, des armes et des vivres, évidement.

Il se saisit d’une carte qu’il étala sur son bureau. Je m’approchai pour mieux voir ce qu’il dessinait dessus. La position du camp par une croix, la direction d’expédition d’une flèche. Il continua ses explications.

- On pense qu’ils sont allés vers les villes et toutes les stations essence de la région. Je vous laisse gérer votre itinéraire. Retrouvez-les, quoi qu’il se soit passé, et récupérez également le carburant qu’ils ont pu récolter. Vous partez en début d’après-midi.

Son regard nous toisa tous les cinq.

- Des questions ?

J’enfonçai mes mains dans mes poches. Personnellement je n’en avais pas. Mon regard dévia vers mes compagnons de fortune, patientant une main levée ou un éclat de voix manifestant une curiosité quelconque.

Un des cinq autres gars présent se leva, droit comme un i sur ses jambes. A sa posture, je devinai de vieux réflexes de militaire. Les vieilles habitudes avaient la vie dure…

Je lui jetai un œil pendant qu’il posait sa question avant de me concentrer sur la jolie blonde qui était avec nous. Pas très longtemps, en fait, parce que mon intérêt fut piqué par les informations supplémentaires que nous fournit le haut-gradé. Et pas qu’un peu, après tout il nous aidait, en répondant au grand blond, à cibler un peu mieux les zones que nous aurions à explorer pour retrouver les disparus :

- Certainement, dit le chef en fixant le grand soldat d’un regard entendu. Suite à de récentes difficultés sur les routes 93 et 375, à l’est et au nord-est du camp, le groupe a décidé de rechercher des ressources dans les différentes bases disséminées à l’ouest du camp. Or, dans un rayon de quinze kilomètres autour de la base, nous sommes certains à cent pour cent que toutes les ressources en carburants sont épuisées. Ils sont donc partis plus loin. Mais nous ignorons où exactement.

Le chef se leva et fit quelques pas autour de son bureau, les mains jointes dans le dos. Il se frictionna nerveusement les doigts.

- Ce à quoi je veux que vous fassiez attention, messieurs dame, c’est à l’activité qui règne dans ce secteur. Les conditions sur le terrain ne nous ont pas permis de mesurer précisément le nombre et la puissance des rôdeurs. Tout ce que nous pouvons vous fournir c’est une carte avec les différentes structures sur lesquelles notre équipe a pu se rendre. Nous avons pris soin de rentrer dans la sélection les paramètres sur la météo, les reliefs…

Je retins un petit grognement. Ce désert était une vraie merde à parcourir. Si nos moteurs n’étouffaient pas sous les masses de grains qu’ils allaient bouffer, allez savoir combien de zombies pouvaient nous attendre à l’intérieur des structures, ou bien même planqués dans le sable. Le désert pouvait devenir notre tombe en un instant.

Le grand patron du camp attrapa une carte pliée sur le coin de son bureau et la tendit à l’homme assis droit devant lui. Celui-ci commença à observer scrupuleusement les petites croix rouges tracées sur le papier, montrant les quelques endroits accessibles par la route. Je jetai un œil par-dessus son épaule et constatai qu’on allait bien se marrer : peu de lieux possibles pour une énorme surface à couvrir…

Allez savoir où ces cons étaient allés s’embourber. Je relevai la tête vers le dirigeant de la Zone 51.

- Quel délai on a ?

Une seconde de silence marqua la réflexion de l’homme en uniforme.

- Trouvez-les, c’est tout ce que je vous demande.

Je hochai la tête en signe de compréhension.



La mi-journée arriva bien vite. Le soleil avait beau briller de toutes ses forces dans le ciel, le froid de l’hiver était encore bien palpable. J’avais passé le reste du temps hors des locaux de la base à faire connaissance et à tisser des embryons de liens avec les autres participants. Mais bon… en peu de temps, j’avais pas vraiment eu le temps de voir beaucoup de monde… Si les deux types qui étaient dans le bureau et qui avaient la carte avec eux s’étaient révélés sympa comme tout dès qu’on avait franchi la barrière des mondanités (et qu’ils m’avaient reconnu, le capitaine des Bulls !), j’avais pas réussi à mettre la main sur la blondinette, ni sur le grand blond…

Après avoir réglé deux, trois bricoles sur les chantiers, je me dirigeais vers la réserve pour aider à charger le matériel qui nous était donné pour l’expédition. Je retrouvais ma crosse avec bonheur. Un peu cabossée, certes, mais toujours aussi solide et maniable.

Une dizaine de minutes plus tard, tout était prêt. Il ne manquait que la troupe. Assis à la place conducteur d’une des deux voitures à disposition avec un plein complet, je fermai les yeux pour me reposer un peu en attendant de partir.

J’eus une dernière pensée pour ma petite Aileen qui allait rester sur place…

Une dizaine de minutes plus tard, mes yeux s’ouvrirent de nouveau. Le soleil brillait. Je savais pas si c’était de bonne augure ou pas. Des pas dans le sable avaient éveillé mon attention. Je tournai la tête pour dévisager sans gêne le soldat blond qui s’était posté devant la portière passager.

- Ah, vous voilà. Prêt à partir ?

La question pouvait paraître débile, mais savait-on jamais : un dernier pipi, un paquet de mouchoir oublié… tout ça pouvait faire capoter une expédition d’importance ! Je sortis du véhicule pour voir arriver nos trois autres acolytes. Un coup d’œil rapide vers le grand baraqué me fit demander si ça allait être simple de bosser avec lui. Il avait l’air si… carré.

J’avais jamais eu vraiment de souci avec les autres, ils étaient souvent des gens paumé, planquant leur peur de se retrouver dehors derrière une colère fragile ou une nonchalance un peu ridicule. Mais ce type… je savais pas… il avait l’air tellement authentique que ça avait quelque chose d’inquiétant.

Je crois que c’était parce que je savais pas par quel bout l’attraper. Et j’avais pas eu l’occasion de discuter avec lui avant maintenant, donc j’avançai dans le brouillard. Ca allait être d’un fun… En plus ça semblait pas le genre à plaisanter ou à parler de tout et de rien. Un militaire, quoi.

- Salut les enfants, lâcha un des trois autres qui arrivaient. On va y aller si vous le voulez bien, j’ai pas envie de rester trop longtemps dehors. Plus vite ce sera fait, plus vite on sera de retour. Allez, en voiture !

Le quadragénaire, un certain Mickey Sanders, était arrivé en premier avec son pote. Ils avaient tous les deux conservé la carte de la région avec les indications dessus et j’étais content de voir qu’ils l’avaient pas oublié. Même si de la part de ces mecs je n’attendais pas ce genre de connerie. La blonde, derrière, fut la dernière arrivée, marchant d’un pas un peu traînant. Visiblement, ça l’emmerdait pas mal de voyager avec des hommes… Je lançai un signe de tête approbateur à Mickey avant d’offrir un clin d’œil à la demoiselle qui me snoba méchamment.

- Bon, lançai-je. Mettez vos sacs dans les coffres et installez-vous. Mick, toi et ton pote, vous allez vous charger de la comm’, voilà les deux talkies-walkies, vous ferez la liaison entre les deux voitures. Pas de bavardages inutiles, hein ? Bouffez pas les piles à raconter des ragots !

Mick pouffa, conscient que je me moquais gentiment. Son pote s’installait déjà dans le second véhicule, un petit sourire aux lèvres.

« Un, deux, un, deux. Tu me reçois Mick ? »

Sa voix émettait dans le talkie de notre compagnon de route. Mick lui répondit et il s’en alla s’installer dans le véhicule terminer les tests de communication. Ne restait que le grand blond avec ses chaussures noires et la petite blonde… avec son air renfrogné.

- Bon… Je crois pas qu’on ait été pésentés… Je m’appelle Conrad. Et vous ? C’est quoi vos petits noms ?
- Tatiana, lâcha la femme dans un soupir.
- Joli prénom, répliquai-je en lui tendant la main, avec un petit sourire tout simple.

La blonde jaugea un instant la main que je lui tendais. Au bout de longues secondes de méditation intense, elle décroisa les bras et me serra la main du bout des doigts. Son visage sembla se décrisper. Je me tournai aussitôt vers le dernier mur de muscles de ce groupe :

- Et tu es ?