i wish i was mad, fucked up and done

Ne vous demandez pas pourquoi les gens deviennent fous. Demandez-vous pourquoi ils ne le deviennent pas. Devant tout ce qu’on peut perdre en un jour, en un instant... Demandez-vous ce qui fait qu’on tienne le coup...

Ils devraient tous deux être dans les bras de Morphée ou sur le point de l'être à l'heure actuelle. Ils en sont pourtant encore loin. Aileen sent que quelque chose tracasse Ezeckiel, sans même avoir besoin de le regarder. Elle sait qu'il n'est pas endormi, et elle sait aussi qu'il a la tête pleine de pensées en tout genre. Comme c'est le cas très souvent. Un léger sourire étire les lèvres de la survivante lorsqu'elle entend la question rhétorique de son ami. Pas besoin de dire quoi que ce soit : tout est déjà très clair. Sans avoir eu besoin de l'entendre directement de sa bouche, elle sait donc qu'elle avait vu juste. Ezeckiel ne dort pas lui non plus, et est très perturbé pour une raison ou pour une autre. Bien qu'elle ne sache pas pour quelle raison il en est ainsi, elle a tout de même sa petite idée sur le sujet, elle est soulagée de savoir qu'elle n'est pas la seule dans ce cas-là. C'est égoïste et quelque peu monstrueux de penser un truc dans le genre mais l'idée de passer la nuit à ressasser trop de choses tandis qu'Ezeckiel dort paisiblement à côté ne semble pas idyllique. Pas du tout. Finalement, elle ne sait pas s'ils n'auraient pas mieux fait de s'en tenir à leur projet de départ, à savoir que Aileen monte la garde. Cela n'aurait peut-être pas changé grand chose, mais rien ne dit qu'ils auraient réellement parlé toute la nuit. Là, ça semble vraiment barré pour eux deux. La jeune femme n'a pas besoin d'ajouter quoi que ce soit : Ezeckiel s'explique de lui-même. Il n'entre pas dans les détails, mais quelques mots suffisent, l'imagination d'Aileen fait le reste. Pas étonnant qu'il ne parvienne pas à dormir s'il songe à tous ces sujets fâcheux. Aileen, pour sa part, les a rayés de sa tête depuis un sacré bout de temps. Elle se serait déjà foutue en l'air sinon. Ne surtout pas regarder en arrière, continuer tant bien que mal à aller de l'avant en tâchant de ne laisser personne la faire dériver de sa trajectoire toute tracée. Son existence n'a plus de réel sens, si ce n'est celui d'être. C'est déjà un bon point de départ, n'est-ce pas ?

Aileen ne trouve rien à répondre à Ezeckiel. Mais, en même temps, elle doute qu'il y ait quoi que ce soit à redire à cela. Néanmoins, elle peut tenter de le rassurer du mieux qu'elle peut. « Tu ne m'as pas empêchée de dormir. » Pas la peine qu'elle lui précise qu'elle est à peu près dans le même état que lui, à quelques détails près ; il le comprendra par lui-même. Parce que, à leur façon, ils se connaissent et ont appris à se cerner l'un l'autre au fil des mois. Parce qu'ils ont passé énormément de temps ensemble et malgré une très longue période d'éloignement, rien n'est oublié. Cela ne s'oublie pas aussi aisément. Sans réellement avoir conscience de, ou en tout cas de réfléchir à, ce qu'elle fait, Aileen continue de s'amuser avec les cheveux éparpillés sur la nuque d'Ezeckiel. Ils commencent déjà à être longs et leur avenir semblant plus incertain que jamais, il est difficile d'estimer quand ils auront la possibilité d'en venir à bout. Ce n'est pas leur principale préoccupation, loin de là même, mais la blonde préfère songer à cela plutôt qu'aux horreurs par lesquelles ils sont passées et à ce qui les attend encore. Ez semble ne pas en être au même point qu'elle de son côté. Non, lui se torture et lui fait comprendre. Elle serait parfaitement incapable de retracer le fil de ses pensées mais le fait est là : il s'excuse. Sur leur dispute de tout à l'heure. Sur leur entrée dans la zone. Sur tout. Et même sur un sujet à propos duquel elle ne pensait plus entendre quoi que ce soit. Ezeckiel s'est éloigné, laissant à ses côtés une Aileen sans voix. Pourquoi s'excuse-t-il ? C'est elle qui devrait le faire. Elle seule qui devrait s'en vouloir pour tout ce qu'elle lui a fait subir alors qu'il n'a jamais rien fait d'autre que lui tendre la main. Il l'a sauvée, ramenée dans son groupe, laissée reprendre des forces. Avant de veiller sur elle lorsqu'ils n'étaient plus que tous les deux. Sans lui, elle ne serait plus là. Elle serait morte depuis sacrément longtemps. N'en a-t-il pas conscience ? Ignorant toutes ses règles préalablement fixées, toutes ses précédentes craintes, Aileen est celle qui comble les quelques centimètres qui les séparent, que Ezeckiel venait tout juste de réinstaurer entre eux. Elle s'installe de nouveau contre lui et au diable tout le reste !

Elle ne cherche même pas à savoir pourquoi il s'est éloigné au départ. Elle ne cherche même pas à savoir s'il veut conserver une certaine distance entre eux : elle ne lui laisse pas le choix, plus ou moins de la même manière que lui un peu plus tôt. A la différence près qu'elle, a une main toujours enfouie dans ses cheveux alors que l'autre est fermement accrochée à celle d'Ezeckiel. « Arrête de t'excuser tu veux ? » Enfin non, qu'il le veuille ou non, il ne doit pas continuer sur cette voie là. Ou Aileen risque fort de perdre son calme et de commencer à le frapper de toutes ses forces, aussi maigres soient-elles. Ça lui apprendra à raconter des conneries plus grosses que lui ! « Tu m'as sauvée la vie Ezeckiel. Plus d'une fois. Sans toi, je ne serai pas là. » Et pas seulement parce qu'elle aurait refusé d'aller dans un endroit sécurisé et bondé de monde. Mais parce qu'il lui a sauvé la vie. Sa voix n'est qu'un murmure, tant les mots peinent à sortir de sa bouche. « Et ... pas seulement physiquement s'entend. » Elle n'était qu'une loque lorsqu'il est tombé sur elle. Et elle a fait des progrès absolument fantastiques depuis, même si cela peut encore paraître dérisoire à côté de ce qu'elle est, ou en tout cas de ce qu'elle laisse paraître. Si Ezeckiel n'était pas entré dans sa vie, il ne fait absolument aucun doute qu'elle n'aurait pas survécu aussi longtemps. Ou qu'elle serait devenue une espèce de machine à tuer terrifiante et inhumaine. Dans un grognement à peine perceptible, Aileen enfouit son nez dans le cou d'Ezeckiel. Elle ne sait ni quand, ni comment, mais elle sent que quelques unes de ses barrières se sont écroulées. Ezeckiel lui a laissé voir ses faiblesses ce soir et sans vouloir en arriver là elle aussi, elle accepte de se dévoiler un peu. Rien qu'un peu. Parce qu'elle ressent le besoin d'apaiser la conscience surmenée du jeune homme, et son cerveau apparemment dépassé par les événements. Cela dit, ce n'est malheureusement pas aussi simple que cela ... Sinon, cela fait bien longtemps que Aileen se serait lancée.

Retirant sa main des cheveux d'Ez', Aileen la laisse négligemment traîner sur son épaule. Elle a peur d'aller trop loin, mais elle ne s'était pas sentie aussi apaisée depuis ... et bien, beaucoup trop longtemps. Ezeckiel n'avait jamais possédé cet étrange pouvoir ... Jusqu'à aujourd'hui. La peur de le perdre semble avoir ravivé d'autres sentiments plus sombres qu'elle ne tient pas à éclaircir pour le moment. Mais qui sont bien là, tapis, prêts à surgir à tout moment et à tout dévorer sur leur passage. En attendant, elle n'a aucune envie de quitter l'étreinte d'Ezeckiel, et elle a encore moins envie de s'arrêter en si bon chemin. « Ne te blâme pas pour ce que tu n'aurais pas pu empêcher. Ce qui doit arriver arrive. Et les gens meurent, c'est comme ça. » Fataliste, mais incroyablement vrai. Les vies sont ôtées en une fraction de seconde. Les gens disparaissent sans qu'il soit possible de les rattraper. Ce n'est plus comme avant, tout est sombre, tout est relié à la mort. Et puis ... il y a certaines lueurs. Certains espoirs, qui surviennent d'on ne sait trop où et qui ne nous abandonnent jamais réellement. Ezeckiel est la seule lueur d'espoir qu'Aileen possède depuis le départ, ou presque. Il est celui qui a tendance à voir le verre à moitié plein plutôt qu'à moitié vide. Il est celui qui l'empêche de laisser son asociabilité toute fraîche la tuer. Il est celui qui lui rappelle, inconsciemment certes, que la vie vaut d'être vécue. Peu importe à quel point elle est moche et tâchée de sang. Ils sont vivants. C'est tout ce qui compte. « C'est moi qui suis désolée pour ... Tu sais, ces derniers mois. » Ils sont aussi expressifs l'un que l'autre. Décidément, cette conversation est bourrée de sous-entendus plutôt que d'explications nettes et précises. Mais Aileen, pour sa part, ne peut pas faire beaucoup mieux. Si ce n'est lever légèrement la tête pour déposer un baiser furtif sur la joue mal rasée d'Ezeckiel, avant de retourner à sa place initiale. L'air de rien.

(c) AMIANTE

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Ne vous demandez pas pourquoi les gens deviennent fous. Demandez-vous pourquoi ils ne le deviennent pas. Devant tout ce qu’on peut perdre en un jour, en un instant... Demandez-vous ce qui fait qu’on tienne le coup...

La nuit semble propice aux confessions, à celles qu'ils n'ont jamais eu le courage de se partager l'un l'autre. Tout est dit à demi-mots, sous-entendu. Parce qu'ils ne sont pas capables de faire mieux. Parce qu'ils ont perdu toutes ces notions, au fil des mois, des années. Pour Aileen, il est on ne peut plus difficile de s'exprimer sur ses ressentis, sur ses sentiments. Elle n'a pas toujours été comme cela, fut un temps où elle était très expressive, mais ce temps est révolu. Aujourd'hui, il ne reste d'eux que des carcasses à demi vides, des personnes tout juste bonnes à la survie. Mais pour Ezeckiel, elle veut bien faire un effort. Après tout ce qu'il vient de lui dire, après tout ce qu'il a fait pour elle et ce qu'elle lui a fait subir en retour, elle lui doit bien cela. Peu importe qu'il ne soit pas du même avis, elle est persuadée qu'ils ne sont pas quittes et qu'elle lui doit énormément. Elle lui doit toute sa survie, en fait. Sans lui, elle ne serait pas là. Sans elle, il serait encore dans la zone. C'est là que se trouve toute la différence. Pourquoi est-ce si facile de réduire la distance et de se retrouver contre lui ? Elle devrait trembler, crever d'envie de se sortir de cette étreinte. Mais il n'en est rien. Elle ne s'était pas sentie aussi bien depuis longtemps et elle ne veut surtout pas perdre ce sentiment devenu trop rare. Étrangement, même la main d'Ezeckiel, qui'l pose pourtant sur sa hanche, ne la dérange pas le moins du monde. Là, tout de suite, elle se sent en sécurité. Preuve ultime, si elle était nécessaire, qu'elle fait une confiance aveugle au jeune homme contre elle. Un sourire étire les lèvres d'Aileen face à leur maladresse apparente. Putain que c'est ridicule tout ça. Ils ne sont pas capables de dire les choses clairement, Aileen, notamment, a besoin de cacher son visage pour prononcer quelques mots pourtant logiques.

Bien sûr qu'elle est désolée d'avoir agit aussi stupidement. Elle réfléchit toujours avant de faire quelque chose, elle calcule les situations, mesure celles dans lesquelles elle va se retrouver. Avec Ezeckiel, c'est différent. Parce qu'elle sait, elle sent, qu'il pourrait lui faire perdre les capables très facilement. Trop facilement. Ça la terrifie, la pousse à faire des trucs complètement cons qu'elle regrette, après coup. Elle n'aurait pas dû se tenir de lui alors qu'il a tant fait pour elle. Elle aurait dû ... elle aurait dû faire des efforts et se positionner pour s'expliquer. Enfin. Mais c'est trop tard, c'est du passé, et il n'est pas possible de revenir en arrière. C'est con qu'elle se rende compte de tout cela, maintenant que la zone est finie. Aileen sent les mains de Ezeckiel glisser autour et elle sent que leur proximité est plus grande encore. Mais tout cela n'a pas d'importance. En particulier lorsque ses doigts caressent sa joue et que ses lèvres viennent se poser sur son front. Est-ce normal si elle n'a plus la moindre envie de le tenir à distance ? Pour une personne normale, non, absolument pas. Mais pour elle, ça l'est. Inconsciemment, la pression de ses doigts sur la nuque d'Ezeckiel se fait plus forte. Et un peu plus encore lorsqu'il glisse sa jambe sur les siennes. Putain. Ses mots la touchent au plus profond de son cœur, bien qu'elle s'efforce de ne rien en montrer. Mais c'est plus fort qu'elle, elle sent sa gorge se nouer. Pourquoi a-t-il fallu qu'ils se retrouvent tous les deux dans un tel état d'esprit ? Ce ne sont pas seulement ses mots qui l'atteignent plus que de raison : c'est un tout. L'obscurité, leur proximité, ses caresses, la peur viscérale qu'elle a eue de le perdre.

Plongée dans un tel état d'esprit, Aileen ne parvient même pas à sourire à sa blague. Elle est juste ... mal en point et la tête pleine de pensées en tout genre. Pas forcément joyeuse les pensées, bien sûr. « Je sais tout ça ... maintenant. » Non, ça n'a pas toujours été le cas. Au départ, elle était méfiante avec lui comme elle l'était avec toutes les autres personnes autour d'elle. Pourtant, il a vite acquis sa confiance. Sans qu'il s'en rende compte. Sans qu'elle-même se rende compte de quoi que ce soit. Elle s'est juste efforcée de ne jamais le montrer par peur ... de tout un tas de trucs sur lesquels elle n'est pas sûre d'être capable de mettre le doigt. Elle hoche la tête à sa question : il a raison, ils doivent dormir. Parce qu'ils ont besoin de récupérer un peu pour le lendemain, mais aussi - et surtout - parce que leur conversation prend des tournants dangereux. Elle ne sait pas du tout s'il le sent lui aussi, elle en doute d'ailleurs, mais il a raison. Ils ne peuvent pas continuer comme ça. La main d'Aileen se déplace de sa nuque à sa mâchoire, pour mieux garder son nez enfoui dans son cou. Même si elle se doute, dans le fond, que c'est surtout parce qu'elle ne veut pas faire disparaître leur proximité. A présent qu'elle y a goûté, hors de question de s'en dépêtrer. Pour ce soir, en tout cas. « La prochaine fois, on fait des tours de garde. » Lâche-t-elle dans un murmure. Putain, ta gueule Aileen. Pourquoi ressent-elle encore le besoin de l'ouvrir ? C'est le moment de dormir, pas de sortir des trucs aussi cons. Enfin, Aileen réussit à se convaincre de fermer les yeux. Il est grand temps.

(c) AMIANTE