Lenny s'observe dans le miroir fissuré et sale. Il ne se reconnaît même plus. Il a l'étrange sensation de ne pas tout à fait être la personne qui se reflète dans la glace, comme s'il y avait un décalage, suffisamment faible pour que l'illusion persiste, mais trop fort pour qu'il ne le détecte pas, entre cette enveloppe corporelle et son esprit. Pris d'une angoisse soudaine qui lui serre les entrailles, il lève la main – le reflet lève la main à l'identique. Il recommence à respirer mais ça n'est pas assez. Il tire la langue, tente de sourire, se penche en avant, articule son prénom – toujours, le reflet l'imite parfaitement. Cela ne change rien à ce qu'il ressent dans son ventre, mais ça le rassure rationnellement. Il existe toujours. D'une manière qu'il ne comprend pas, qui ne le satisfait pas, mais il existe malgré tout. Cette certitude plus ou moins acquise, il reprend l'examination de son portrait. Il a les yeux rougis par les pleurs qui l'ont tiré de son sommeil à l'aube une nouvelle fois, encadrés par des cernes qui creusent son visage. Sa peau n'est plus caramel ou halée par le soleil, mais d'une teinte olive, pale, maladive. Il repère une fine cicatrice sur le haut de sa pommette, une éraflure sur son front, du sang coagulé aussi, mais il n'essaie même pas de l'enlever. Ca n'a aucune espèce d'importance.
Un bruit le tire de sa contemplation et son visage se durcit immédiatement. Un voile sombre ternit la lueur dorée de son regard. Sa main vole se poser sur le manche de son sabre qu'il retire silencieusement de son étui avant d'avancer hors de la salle de bain sans un regard pour le sac rempli des quelques médicaments qu'il a pu trouver, ouvert, à même le sol. Il reviendra plus tard pour le récupérer. Il analyse son environnement et fronce les sourcils, rendant son expression encore plus sévère et indéchiffrable. Les battements de son cœur sont réguliers et tranquilles, sa respiration mesurée ; il a prit l'habitude de cette vie à toute vitesse au début de l'épidémie, et il l'a reprit avec la même aisance depuis qu'ils ont quitté la Zone. La survie est un mode confortable pour Lenny. Il s'avance encore et ferme les yeux quand le parquet sous ses pieds grince. Il n'a même plus la force de grimacer ou de pester contre les aléas de cette vie pourrie. Il continue donc à avancer quand une voix se fait entendre. Féminine, joueuse, familière, il ne parvient pourtant pas à déterminer ce qu'elle dit. Immobile, il tend l'oreille quelques secondes avant de recommencer à marcher un peu plus vite. Personne n'a répondu, il espère que cela signifie que l'inconnue qui s'est aventurée dans la même maison que lui est seule. Cela ne veut pas dire qu'il va baisser sa garde pour autant, et d'ailleurs son sabre est toujours érigé devant lui. Il passe enfin le pas de la porte de la pièce d'où il pense que le son vient, et la vision qui se présente à lui le prend au dépourvu.
Il y a une silhouette fine et longiligne qui brandit ses deux bras en l'air pour se protéger, un canapée, et une armoire. Lenny cligne des yeux et baisse son sabre avant de s'avancer, indécis quant à l'attitude à adopter. Une part de lui veut demander à la jeune femme comment elle va, s'inquiète de son sort et de ses blessures. Une autre part lui intime de se barrer sur le champ pour éviter à la fois une potentielle menace et une quelconque interaction sociale. Il devrait retourner au campement de fortune où Isaac doit l'attendre avec impatience. Il devrait penser à sauver sa carcasse plutôt que montrer de la compassion envers l'autre survivante. Si ça se trouve, elle fait partie des humains qui sont encore en vie au dépend des autres, en les arnaquant, il a entendu parler de ce genre de cas. Mais à quoi ça sert, de sauver sa peau ? Il repense au sentiment d'aliénation qui l'a submergé quand il regardait la glace. Il est encore plus confus maintenant, parce que le pied qui se pose à vingt centimètres de la brune est le sien, il le sait, mais il ne le sent plus au bout de sa jambe. D'ailleurs, il ne sent plus sa jambe, et la poigne sur le manche du sabre n'est pas la sienne. Il a envie de se rouler en boule sur le vieux canapée, tant pis pour l'épaisse couche de poussière qui a été remuée par la chute de l'armoire. Puis la fille relève la tête, se redresse à peu près, avant de le saluer. Un silence de quelques secondes s'installe. Lenny fronce les sourcils, sa tête s'avance encore et se retrouve inconfortablement près de celui de la brune. Il pourrait l'embrasser s'il le voulait. Mais il ne veut rien. Pourtant, l'épais voile tremble et ses yeux reprennet un peu de leur teinte chocolat. Il parvient même à soulever le coin de sa bouche en une mauvaise imitation du vieux sourire qui était sien. « Aleks ? » Il questionne, plutôt comme un gamin désorienté que comme un survivant de l'apocalypse qui retrouve contre toute attente une personne de son passé. Ce n'est pas comme s'il n'avait pas vu Aleks depuis des années, cela fait à peine quelques semaines puisqu'ils étaient enfermés ensemble dans les ruines de la Zone 51. Mais ils ont prit un chemin différent en sortant de là, puis Lenny a quitté son groupe et il a commencé à oublier tout le monde. Il a commencé à se perdre dans l'obscurité de sa solitude, malgré la compagnie d'Isaac, aussi enfermé que lui dans une cage invisible, les clés détenues par leurs démons intérieurs. Mais il reconnaît ce visage qui l'a fait rire, et il sent les souvenirs qui tentent d'émerger. Il finit par remettre son sabre dans son étui et tend les bras vers la jeune femme pour qu'elle y prenne appui si elle en a besoin. « Ca va ? » Sa voix résonne d'une soudaine urgence, comme s'il était pressé de retrouver celui qu'il était en sa compagnie. Le faux sourire est toujours collé à ses lèvres, il essaie vaguement de le rendre plus sincère mais tout ce qu'il parvient à produire est une mauvaise réplique d'un smiley à l'expression factice. « Qu'est-ce que tu fais là ? » demande-t-il finalement en stationnant sur place, plaçant son poids sur l'un puis sur l'autre de ses pieds en une répétition agaçante.  

Aleks lève la tête et commence à essayer de se redresser un peu et voilà que… En fait elle connaît le propriétaire des pieds. Elle n’avait pas trop de doute mais quand elle l’entend dire son prénom elle en est sur. C’est le petit Lenny! Enfin petite… façon de parler il est bien plus grand qu’elle et même en âge il n’est pas beaucoup plus jeune.

Hey Lenny! Contente que ce soi toi!

Elle aurait pu tomber sur un zombie ou pire un gars mal intentionné, mais non, encore une fois elle a de la chance dans sa maladresse et au moment le pire qui soit elle tombe sur un gars sympa qu’elle connaît. Elle est vraiment soulagée, s’enfuir ou tenter de se battre après être passé à travers un toit et s’être presque pris une armoire dessus, c’est pas le top. Bon ils ne sont pas à l’abri de devoir le faire dans 5 minutes, mais ça fait 5 minutes pour reprendre son souffle au moins.
Avec l’aide de Lenny, Aleks finit pars complètement se relever en grimaçant légèrement. C’est vraiment pas agréable de passer à travers un toit.

Ça pourrait aller mieux, mais c’est le choc, d’ici quelques minutes je serais comme neuve. Aleks sourit à Lenny et fait le signe « ok » avec sa main droite pour souligner ses dires. Ou quelques jours. Ajoute-t-elle un peu plus doucement comme si elle se le disait à elle-même. Oui dans quelques minutes elle pourra courir partout, mais les difficultés pour le faire disparaitrons dans quelques jours.

Quesque je fais là? Ben… pfff….

La version courte ou la longue? Comme si Aleks allait prendre le temps de réfléchir à ça. Non, elle réfléchira après avoir parlé.

J’me suis dit… Tiens! Si je passais par le toit! Mais, c’est moins marrant que c’quon peut penser, surtout quand y’a une voiture en dessous et que, sa tête rebondit dessus avant de finir sur le sol.
Mais ça va, j’pense pas avoir de traumatisme crânien, c’est le nez qui a tout pris.

Bon, la question ne devait pas être pour ce qu’elle a fait ses dernières minutes, mais plutôt la raison qui l'a poussé à venir se ramasser ici.
Coup sur la tête ou pas, Aleks parle toujours aussi vite pour dire pleins de trucs inutiles. Entendre sa propre voix la rassure tellement, tant qu’elle peut parler c’est qu’elle va bien.

Non, en fait je suis partie en éclaireur pour… ben, pour éclairer le chemin pour les autres, t’sais pour voir si la voie est libre et puis voir au passage si je trouve des vivres et tout ça. Mais je suis tombé sur plusieurs zombies, donc je suis partie en courant et puis y’a eut d’autres zombies et puis entre deux zombies j’ai dû me faire peur toute seule avec le bruit de mes pas et puis j’étais sur le toit de la maison d’à côté et j’ai sauté et… hop, quelques rebonds plus tard me voilà.
Enfin tu m’connait, je suis pas du genre à passer par les portes quoi qu’il arrive.

C’est vrai que la petite Aleks passe bien souvent par les fenêtres, et quand il y a des étages, elle passe toujours par la fenêtre la plus haute. Tout le monde commence par le bas, donc quoi qu’il y arrive il n’y a jamais rien d’intéressant dans les premiers étages. Les trésors comme les endroits les plus surs sont toujours en haut, dans les endroits les plus Inaccessibles. Bon, des fois c’est aussi là où il y a le plus de zombies, s’ils sont pris aux pièges en haut, personne n’a pu nettoyer avant donc ça fait des mauvaises surprises.

Et toi, tu fait quoi là? Ca va?

Aleks passe une fois de plus sa main sous son nez alors qu’elle sent un liquide sur ses lèvres.

Tu sais où est la cuisine? Y’a peut-être un torchon que je pourrais me coller sur le nez avant d’en mettre partout. Et pour compresser avec autre chose que mes doigts.

En disant ça, Aleks regarde ses doigts et elle a l’air un peu dégouté.

J’en ai déjà partout, c’est horrible j’ai mon sang sur les doigts, je déteste voir mon propre sang.

Elle devrait avoir l’habitude pourtant, mais non. C’est déjà bien elle ne vomit plus, mais quand même.

Lenny détaille Aleks du regard, incapable de détourner les yeux. Il fronce les sourcils. Il a du mal à y croire. Cette journée est beaucoup trop bizarre, comme si le monde n'était pas assez mal foutu comme cela. Cette rencontre ne fait que renforcer son sentiment d'alienation. C'est la preuve ultime qu'il est en décalage par rapport au monde, à la réalité qui s'offre à lui. Il ne parvient pas à être celui qu'il était avec Aleks il y a à peine quelques semaines, la présence de la jeune fille ne le met plus à l'aise. Il danse d'un pied sur l'autre comme pour externaliser son inconfort, et l'observe de son regard mort. Il ne sourit même pas quand elle le salue, ne retourne pas le commentaire, il se contente de hocher la tête maladroitement. Tout ce qu'il parvient à faire, c'est aboyer une question qui a vaguement du sens. Et elle se met à parler, à parler, à parler... Les sourcils broussailleux du mexicain se rejoignent et marquent son visage d'une expression inimitable d'incompréhension. Il tente de visualer la scène que décrit la brune, secoue vaguement la tête, se demande un instant si elle va bien avant de la considération ne soit balayée par un coup de vent. C'est seulement à la mention d' « autres » qu'il réagit enfin, ses yeux s'écarquillant. Il hoche la tête à la description qui s'ensuit, parce qu'il compatit malgré tout avec l'infortune de son ancienne amie, mais cela s'arrête là.
Aleks lui retourne alors la question, mais il n'a pas le temps de répondre qu'elle enchaine. Il commence à se souvenir qu'elle est un véritable moulin à paroles. Ca l'amusait, avant, dans la Zone. Elle enchainait les bêtises et il rebondissait avec des blagues ou des commentaires inappropriés. Il l'imitait souvent, et ça agaçait la jeune femme, sans l'énerver franchement. Maintenant, ça le fatigue seulement. Tellement d'informations inutiles. Il hausse les épaules et, sans un mot, quitte la pièce en l'invitant implicitement à le suivre. Il est passé par la cuisine et a récupéré un sac de farine pourri et du vinaigre blanc. Il n'est pas sur que cela puisse servir, mais c'est un miracle qu'il ait trouvé quoi que ce soit, alors il s'est dit qu'Isaac leur trouverait peut-être une utilité, ou parviendrait à en faire un truc à peu près comestible. « T'es avec qui ? » demande-t-il finalement, brisant le court silence installé entre eux. Il ne sent pas la gêne de sa compagne, ignorant les sentiments. Il s'est trop habitué à l'espèce de mort qui règne dans son campement avec Isaac. Aucun rire ne résonne jamais, aucune parole n'est échangée au-delà du minimum. La dépression l'engloutit tout entier et le rend aveugle à la souffrance de son ami. De toute façon, le brun a été très clair : s'ils ont quitté le groupe dans lequel ils étaient initialement, c'est pour la survie, pas pour la vie. « J'ai quitté mon groupe avec Isaac, » ajoute-t-il après une courte hésitation. Peut-être que ça l'intéresse, elle, ce genre de truc ? Il hausse les épaules, comme si cela n'avait aucune importance, parce que cela lui fait mal au ventre de parler des autres, des survivants, des humains qui peuplent encore cette terre. Il inspire lentement, il a peur de laisser ses sentiments remonter à la surface, et tout à coup il sent qu'il risque de s'effondrer en larmes alors il accélère, et fouille dans un placard. Il ne veut pas qu'Aleks le voit, parce qu'il ne veut pas de ses tentatives pour le consoler. Le silence froid d'Isaac est désormais la seule chose qu'il supporte, par habitude.
« Tiens. » Il lui tend un torchon à peu près propre, avant d'ajouter : « Il y a un peu d'eau croupie là-bas, si tu veux, mais j'éviterais à ta place. » Il pointe un lavabo, probablement bouché quand l'épidémie a commencé, une grimace de dégoût au visage. Le sang, l'odeur morbide des rôdeurs, cela ne le dérange plus, mais il ne supporte toujours pas l'eau croupie. Cela lui donne envie de vomir, rien que d'y penser, et il se redresse lentement. Il s'éloigne du lavabo en question en quelques pas mesurés. « Hm, tu sais comment les retrouver ? Ton groupe je veux dire. » Il finit par se décider. Ce n'est pas comme s'il allait l'accompagner comme un baby-sitter, ou l'accueillir dans son campement de fortune, ce qu'Isaac ne tolèrerait de toute manière pas, mais il ne peut pas tout à fait refouler son inquiétude pour autant.

Après son petit discours, Lenny quitte la pièce, invitant Aleks à faire de même, elle le suit donc sagement en cherchant quand même du regard un torchon ou un morceau de tissus quelconque pour son nez.
Elle a un petit moment d’arrêt quand il lui demande avec qui elle est. Comment il pourrait connaitre les gens avec qui elle est? Ha oui, c’est vrai qu’ils étaient ensemble dans la zone 51. Elle a parfois l’impression que ça fait des années que c’est fini. Les souvenirs dans la zone 51 deviennent de plus en plus flous.

J’suis entre autre avec Aileen.

Les autres disons qu’elle leur parle moins. Enfin… Aleks parle énormément avec tout le monde, mais il y a des gens avec qui on aime mieux parler. Et dans le groupe qu’elle a suivi après l’explosion de la zone, Aileen est surement la personne qu’elle apprécie le plus.
Lenny a quitté son groupe avec Isaac. Ça veut dire qu’il est tout seul maintenant? C’est pas cool d’être tout seul. Avant de recommencer à parler, elle prend quand même un petit moment pour attraper le torchon de Lenny. Merci. Elle se le colle sous le nez et appuis dessus pour stopper le saignement.
Ho ouai de l’eau croupie, moi qui adore ça!
Ton ironique bien entendu. non elle n’ira pas se servir de cette eau. Entre-temps Aleks a oublié la question qu’elle voulait poser et c’est lui qui en pose une.

Ouai bien sur. J’suis comme les animaux, j’peux aller super loin, je retrouve toujours le chemin de la maison.

Faudrait qu’elle arrête de se comparer à un animal. Ça lui arrive un peu trop souvent. Mais c'est vrai, elle a tellement l'habitude de courir partout, qu'elle sait toujours où elle est. C'est assez simple pour elle de se repérer dans l'espace. Quand elle part courir, c'est comme si un plan se traçait dans sa tête. Encore une petite chose pour elle. Elle est maladroite mais elle court vite et avec un GPS dans le crâne.

Mais du coup tes tout seul? Enfin tout seul avec Isaac? J'suis sûr qu’il y a une ou deux places dans le groupe que j’ai suivi. Si vous avez besoin d’aide ou de compagnie…

Si Lenny acceptait de venir avec elle, ça lui rendrait peut-être le sourire. Elle passe son temps avec une bande de rabat joie, donc retrouver son pote marrant serait une très bonne chose. Mais elle a bien l'impression que tout ça est derrière lui. Ce n'est pas le même Lenny qui est là en face d'elle, celui-là semble si... fade. Elle a envie de se jeter sur lui, de lui secouer la tête et de le voir rire, comme avant.