- Je ne veux pas rester pourrir ici. Laisse-moi partir !
Ce fut un choc sourd au rez-de-chaussée qui la fit tressaillir et dressa ses cheveux sur sa nuque. L'enfant déglutit et se leva. Ses petites poupées étaient encore éparpillées sur son tapis rose de princesse. Alixen fixa la porte de sa chambre sans oser l'ouvrir, se rapprochant d'elle à petits pas, les yeux écarquillés et le nez frémissant. Elle avait peur. Sa petite main se posa sur la poignée et l'actionna tout doucement. La petite fille ouvrit le battant de bois et son regard plongea en bas des escaliers. Tout était calme. Rien ne bougeait derrière les carreaux, aucune ombre ne dansait sur les murs à la tapisserie fleurie. Alors elle fit un pas, puis deux. Une latte craqua tandis qu’elle appela d'une petite voix : « M-Maman... ? » Seul le tic-tac de la grande horloge rythmait le silence assommant. « Maman ? », appela-t-elle à nouveau en descendant une marche après l'autre. La fille posa son petit pied sur le palier, la main crispée sur la boule de bois qui finissait la rampe, tendant l'oreille. Rien sinon la pendule et les mugissements du vent sur la toiture. Alors elle s'engagea dans le couloir, la gorge serrée, se dirigeant à pas de loup vers le salon. Alixen pénétra dans le salon et son regard bleu se posa sur le fauteuil en osier où son père était vautré. C’est en suivant son regard rivé sur la fenêtre, que la jeune brune vit la voiture de sa mère s’en aller.
***
Alixen était allongée sur le tapis du salon, le menton posée sur un gros ours en peluche. Elle regardait son père lire la Bible avec l'expression butée d'une gamine qui avait des questions et qui tient absolument à ce que ce fait soit clair pour tout le monde. Cela ne semblait pas émouvoir le pasteur plus que cela, cependant, puisqu'il continuait à tourner de temps en temps la page sans lui prêter attention.
- Papa ? Est-ce que maman est partie à cause de moi ? Est-ce que j'ai fait quelque chose de mal ? Est-ce que c'est parce que j'ai oublié de faire ma prière l'autre jour ? Ou parce que dimanche je suis rentrée à la maison avec ma robe blanche toute sale ? Parce que ce n'était pas de ma faute ! C'était les jumeaux McGonagall, ils ont commencé une bataille de boue. Moi je ne voulais pas jouer avec eux et je leur ait dit que je ne voulais pas salir ma jolie robe et ils m'en ont quand même envoyés... Mais c'est vrai que j'aurais pu faire plus attenti..
- Alixen arrête avec tout ça. Ce n'est absolument pas de ta faute. Ne t'inquiètes pas. Tu n'as rien fait de mal. Maman est partie parce que ça ne lui convenait plus de vivre comme nous le faisons. C'est tout.
La conversation sur ce sujet était terminé, la jeune brune n'en saura pas plus. Le visage fermé le pasteur referma soudain son livre, et, se levant à moitié:
- Tu veux des cookies ? Ou un cheesecake ?
- Oui ! Des cookies, extra chocolat !
Forcément, il la prenait par les sentiments, c'était facile. La gourmandise avait beau être un péché, c'était ce qui sauvait le père d'Alixen d'une discussion sur un sujet qui était encore douloureux pour lui. Il a toujours été profondément amoureux de sa femme. Le coup de foudre au premier regard. Cette fille inaccessible qu'il avait rencontré durant son adolescence. Ils n'étaient pas du tout du même milieu et pourtant il avait réussi à la conquérir, à en faire sa femme et surtout avoir Alixen avec elle.
***
- La paroisse vous ouvre grand les bras. Votre périple prends fin ici. Restons ensemble afin de surmonter cette dure épreuve que Dieu nous envoie. Ce n’est qu’un enfer passager pour un avenir plus radieux. Ces créatures de démons finiront par revenir d’où ils sont. En attendant de la nourriture est à votre disposition ainsi que de l’eau.
Cela faisait des jours et des jours que le pasteur répétait ces mêmes mots à tout ceux qui faisaient escale dans la paroisse. Depuis le début de l’épidémie, lui et sa fille offraient l'hébergement et l’accès à leurs ressources, à divers survivants. Malheureusement, à force de donner sans compter, leur stock s’épuisait vite et ils se virent obliger de restreindre les dons pour pouvoir garder un minimum pour eux.
- Non, je vous en pris. Ma fille et moi avons besoin de cette nourriture.
Le pasteur était tenu en joue par un des deux hommes qui après s'être fait offert l'hospitalité, décida de prendre beaucoup plus. Son regard sombre et sans pitié détaillait le vieil homme qui était à genoux devant son sourire carnassier. Le père de famille n‘en démordait pas même si il savait que c’était perdu d’avance, il devait se battre jusqu’au bout pour sa fille. Cette dernière était tenu fortement par l’autre homme de façon à ce qu’elle ne s’échappe pas. Croisant le regard de sa fille apeurée et son frêle corps secoué par des tremblotements, il décida de jouer le tout pour le tout en fonçant droit vers son agresseur.
Un cri de désespoir.
Un coup de feu.
Des pleurs.
Tout était fini en l’espace de quelques secondes. Le corps du pasteur gisant au sol et se vidant de tout son sang, ses yeux vitreux rivés sur la représentation de Jesus sur sa croix, qui ornait les murs. Alixen se précipitait vers lui, son cœur battant à tout rompre, son corps traversé par des sanglots.
- Papa, je t’en supplies regarde-moi. Ne meurs pas, ne me laisse pas toute seule. Ne me laisse pas comme maman nous a laissés.
Aucune réaction. De sa main tremblante, elle chercha son pouls. Rien. Aucun battement. Alixen pleurait à chaudes larmes suppliant Dieu d’être clément, de faire revenir son père, ce n’était pas son heure, il ne devrait pas mourir maintenant, pas de cette manière. Mais la seule réponse qu’elle reçut fut le claquement brutal de la grande porte de la paroisse par le départ des deux hommes qui avaient volés la vie de son père. Ils avaient tous pris. Son père. La nourriture. Tout. Il ne lui restait plus rien.
Son regard suivit celui sans vie de son père. Cette emblème religieux… Comment Dieu pouvait tolérer une telle chose ? Un enfer passager pour un avenir plus radieux… Une épreuve… Que des foutaises ! Le grand seigneur n’existait pas, voilà tout. A mesure que la foi d’Alixen s’envolait, sa colère la possédait de plus en plus. Dans un élan de folie, elle se levait pour aller chercher un bidon d’essence, le déversant à travers toute l’immense pièce et craqua une allumette. Sa silhouette se découpant dans l'obscurité de la nuit alors que les flammes se reflétaient dans son regard vide.
***
Les voilà. Ces deux hommes qui avaient tués sans pitié son pauvre paternel. Ces deux idiots étaient tous les deux endormis, se pensant sans doute trop invincibles pour qu’il ne leurs arrive quoi que se soit. Ils ne s’étaient même pas donnés la peine de s’éloigner réellement du lieu saint où ils avaient commis leur meurtre. Pathétique. Un léger sourire vint se loger le long de ses lèvres, assez effrayant sur son visage de poupée, tandis qu’elle s’approchait silencieusement d’eux. C’est dans un geste vivace que sa main ayant saisi un bout de verre – assez imposant – l’enfonçait délicatement au creux de la gorge du premier se vidant de son sang. Néanmoins, aussi cruel que cela puisse paraître, elle se délectait de la terreur qui saisissait les yeux qu’il fixait, ses bras qui s’agitaient dans tous les sens, brassant l’air. Elle admirait son teint devenir pâle et son souffle s’éteindre lentement sous son poids et la pression qu’exerçait sa main. Ce ne fut que quelques temps ensuite que Alixen se redressa, le souffle bref, balayant les alentours du regard avant de le poser sur l’autre homme qui s’était réveillé. Mais avant qu’il n’ait le temps de se relever, la brune prit le revolver de celui qu’elle venait de tuer et tira en pleine tête sans ciller. En l’espace de quelques minutes son innocence s’était envolé. Ses mains étaient souillées du sang des agresseurs de son père. Elle était allée à l’encontre de tous ses principes, de toutes les valeurs que sa famille lui avait inculquée. Cependant, aucune lueur de culpabilité, de remord ne traversa son regard d’un bleu glacial.
***
Ça et là s’élevait le chant d’un grillon solitaire. Hormis cela, tout n’était que silence, ce silence profondément triste, qui permet aux pensées refoulées de s’exprimer enfin. Soudain un bruit venait déchirer le silence. Une plainte vive et déchirante se fit entendre. Des sanglots. Dans la pénombre incertaine, on pouvait distinguer sur le bord de la route une silhouette qui pleurait, assise sur un gros rocher. Un piège, un traquenard. C’était tout ce que c’était. Mais le groupe qui s’approchait d’elle ne le savait pas. Dans un élan de compassion, ils l’emmenèrent avec eux. Cette petite fille aux allures innocentes n’avaient certainement besoin que de compagnie. Néanmoins, c’est ce qu’elle leurs faisait croire. A tous. A tous les survivants qui se sont arrêtés sur son chemin dans l’espoir de consoler cette petite fille esseulée. Ce qu’elle attendait surtout, c’est ce moment où leurs gardes se retrouvent baissés et qu’elle puisse tout leur volés.