Je fixe le paysage dénaturé, d'un air maussade et sans dire un mot. Ça vaut mieux comme ça, histoire de ne pas rajouter de l'huile sur le feu qu'est cet automobile depuis que nous y cohabitons, Naël et moi. Cela fait un moment que le silence pèse dans la voiture, d'ailleurs. Un semblant de paix, mais qui n'augure rien de bon pour ma part. J'en peux plus, en fait. De cette vie, de toujours devoir fuir. Et pour quoi ? Pas grand chose. On échappe de justesse aus rôdeurs, et les rencontres avec les autres survivants ne sont franchement pas des parties de plaisir. Non ... j'en finis par ne plus comprendre la raison de notre acharnement à la survie.
Je lève les yeux au ciel quand il prend la parole, mais est finalement surprise d'entendre la voix de Clarke qui lui rétorque
« Tu peux le dire plus clairement si t'as envie d'aller pisser. Ce genre de chose, on comprend. » Pour le coup, cela a le mérite de me faire rire. Et de retirer le semblant de crédibilité qu'il aurait pu avoir. Je les regarde tous les deux, un peu plus détendue qu'avant. À croire qu'à force d'être ici je suis plus...réceptive. Un peu. Clarke me sourit et je rétribue son sourire, sentant la pression qui me tiraillait se retirer un peu. C'est pour ça, qu'on tâche de survivre. Pour ce semblant d’humanité...de rires.
Sans crier gare, il s'arrête. Aussitôt, je me crispe, prête à sortir de la voiture pour prendre l'air et, surtout, m'assurer qu'on ne va pas se faire attaquer tout en restant piégées dans ce simulacre d'aquarium.
« Parce que tu penses qu'en est en sécurité à l'arrêt, assises dans une boîte de ferraille ?! » Mais Naël ne m'entend même pas (ou bien il fait semblant) et il referme la porte...nous enfermant ainsi dans la bagnole. J'espère que le juron qui s'échappe de mes lèvres reste indistinct, je détesterais me mettre Clarke à dos. C'est le dernier bruit qui vient interrompre le silence, et je me mets à triturer nerveusement mon couteau de chasse, le poignard Buck que je garde toujours sur moi, fomentant un plan au cas où l'on se ferait attaquer de surprise par des rôdeurs. Encore, là ce serait gérable, s'ils ne parviennent pas à casser les vitres. Tomber sur des survivants ne me réjouirait pas non plus des masses, on ne sait jamais quelles sont leurs intentions. Par précaution, je décide que toute visite fortuite de quelqu'un d'autre que Naël ou Clarke est considérée comme une menace. Je jette un coup d'oeil dans le rétroviseur. Je veux m'assurer d'une part que l'adolescente est bien là (mine de rien, je me suis attachée à cette petite... je nierai juste tout en bloc s'il venait à me le demander !), mais aussi qu'il n'y a pas d'attaquants qui nous guettent.
„C'est dans ce genre de moment que je regrette de ne pas pouvoir te demander de mettre la radio ...“ « De toute façon de la musique, en ce moment, ce serait signer notre arrêt de mort. » Trop bruyant ; pas assez sécuritaire ... selon moi on ne devrait pas brise certains principes de sécurité, tels que de garder le silence quand on est à l'arrêt dans une bagnole, enfermées par le propriétaire. S'il se fait bouffer, je me ferait une joie de lui balancer un coup de flingue dans le crâne pas pure vengeance.
Le regard que me jette la blonde à travers le rétro ne me rassure pas des masses, car je réalise que je n'ai en rien aidé à son anxiété, c'est plutôt le contraire. Je mords ma lèvre. Merde...
« Enfin... excuse...» Maintenant je vais devoir rattraper le coup.
„Est-ce que tu sais où est ce qu'on va ?“ De mal en pis. Je secoue la tête, frustrée au possible. Je pense même pas que Naël soit au courant, et c'est lui qui tient le volant.
„Est-ce qu'il t'a dit s'il avait un plan …?“ Un plan ? Naël ? C'est l'idée la plus absurde qui n'ait jamais été verbalisée. Je pince mes lèvres pour ne pas le dire à haute voix, histoire qu'elle ne me déteste pas totalement, et la fixe d'un regard neutre. J'ai envie de la rassurer, mais que faire quand la situation est désespérée et que l'on a réponse à rien ? Y'a pas mille solutions.
« Il ne m'a rien dit. » Je sais que la réponse n'est pas satisfaisante, loin de là. Et je commence à trouver que sa pause pipi s'éternise, ce que je déteste. Ça me rend nerveuse, tout ça. À force d'être 24/24 sur le qui-vive. Je ne voudrais pas qu'il lui arrive quoi que ce soit à ce gars, malgré tout l'agacement qu'il provoque en moi.
« Mais en même temps tu nous connais. Tu sais que si on commence à se parler trop longtemps, les tours montent ... ça doit pas être agréable de devoir assister à cela. » Je la regarde, la compassion voilant mon regard. Assister à toutes ces engueulades, depuis l'arrière, ça ne doit pas être une partie de plaisir. Loin de là... Mais en même temps s'il était moins ... lui... ce serait plus facile. S'il était moins lui et que j'étais moins moi.
« Il a rien dit mais ça ne veut pas dire qu'il n'ait rien en tête. Ça veut juste dire qu'il ne l'a pas encore partagé avec nous. » J'ai un vague sourire, complice, et me mets à prier intérieurement pour que oui, il ait effectivement un plan. Parce que moi je sais pas ce qu'on va faire s'il n'en a pas.
« Si tu l'avais toujours, cette radio, tu voudrais entendre quoi comme genre de musique ?» Je meuble le silence. J'essaie, du moins. Parce qu'il devient oppressant. Parce qu'il
est oppressant. Et je n'ai pas le don de Naël pour sortir des imbécilités à haute voix à longueur de journée ou sur commande...