Il y avait comme un profond vide qui se créait au fond de moi. D’humeur à jouer les félins, j’étais avec une tasse rempli d’eau au bord d’une fenêtre et j’admirais la pluie ruisseler sur les carreaux crasseux. Dire que Théodore me manquait serait un euphémisme. Cela me dévorait l’âme. Mais il me semble que lorsque les bombes étaient tombées, non… Même bien avant… Je n’avais pas su remplir ce rôle que je tenais auparavant près de lui. Je m’étais promise que l’on se protégerait mutuellement, pourtant je fixais encore ces gouttes d’eau plutôt que d’aller le retrouver sur le champ et d’essayer de sauver nos maigres recherches. Enfin, ce qu’il en reste. Tout le problème est là, je pensais perdre pieds, pire, je perdais même tout espoir. Ce qui n’était pas du tout dans ma façon d’être. Plus que jamais, j’avais besoin de Théodore… Plus que jamais. Mais je ne pouvais me le permettre. Accepterait-il de me pardonner cette absence ? Ce moment de pilote automatique ? J’avais désespérément besoin de lui, mais si lui avait besoin d’autre chose, il fallait que je parvienne à le lâcher pour qu’il puisse lui-même respirer et ne pas tomber dans ma propre spirale.

Toutes mes pensées étaient tellement penchées sur les Leucos que j’en avais oublié ma seule raison de vivre. Au moment même où je me réveillais de nouveau, la nouvelle peur était la suivante : est-ce que lui m’avait oublié ? Bien sûr, c’était une grande question qui l’aurait perturbé si je lui avais posé directement. Sans nul doute, il n’en aurait pas compris les tenants et les aboutissants. Pour lui, la réponse aurait été claire : non. Mais pas dans le sens sentimental, dans le sens pragmatique. A moins qu’il ne devienne amnésique, il ne pouvait pas m’oublier, seulement quelques moments de vies communes qui lui encombraient l’esprit… Peut-être. Quoi qu’il en soit, plus que jamais, je comptais me battre pour le deuxième et dernier homme de ma vie. Parce que je n’abandonnerais jamais, même s’il tombait amoureux d’une autre âme. Je voulais être sa seule âme sœur intellectuelle, faute de l’être aussi sur le plan physique. Vivre avec lui m’avait permis de comprendre qu’il y avait tellement plus à donner à l’amour de sa vie qu’un simple baiser.

« - Ambroisie ?
- Oui ? Disais-je tout en me retournant et faisant face à une scientifique que je connaissais peu.
- J’aurais besoin d’aide… Je ne comprends pas la moitié des papiers que j’ai pu rassembler sur des recherches antérieurs. »

Tel un bon soldat, je m’exécutais sur le champ et allait voir si je pouvais rétablir certains faits. Ce qui était certain, c’est qu’il ne s’agissait pas de l’écriture fine de Théodore. C’était bien dommage, cela m’aurait permis de le retrouver et de lui demander des explications.  Penchant la tête sur le côté, je m’apercevais que moi-même avait du mal à décrypter ces gribouillis qui ressemblaient bien à un paresseux qui ne veut se faire comprendre que de lui-même. Tout l’opposé de mon propre professionnalisme. D’un soupir excédé je souriais à ma nouvelle collègue, lui affirmant ainsi que je trouverais ce que cela signifiait.

Une bonne partie de la nuit s’avançait alors que la personne qui me réclamait de l’aide avait dû s’assoupir. A moins que sa sieste d’une vingtaine de minutes signifiait d’une vingtaine d’heures. C’était peut-être moi qui avait mal compris ses propos.

« Est-ce que tout ceci a encore de l’importance ou du sens ?... »

Mes pensées franchissaient la barrière de mes lèvres alors que ma vision se faisait trouble sur les formules que j’écrivais au propre sur un autre papier. Pourquoi et qui au juste ? Pourquoi cette attaque ? Pourquoi détruire encore plus ? A mon sens, seul Théodore trouverait peut-être un jour la solution et la réponse à toutes mes questions qu’étaient les miennes. Ainsi plongée dans mon désarroi, je ne sentis même pas la présence qui s’était fait une place dans la pièce et qui fixait ma nuque qui ne faisait qu’être penchée sur la paperasse. Ami, ennemi ou être parfaitement indifférent à moi-même, je n’étais plus seule dans ce laboratoire improvisé.