Je ne pense pas avoir perdu de proches. Tout au fond de mon coeur persiste l'espoir que Sharon soit vivante. Je suis persuadé, intimement persuadé même, qu'elle pardonnera tous mes actes. De l'abandon de sa personne et de l'enfant à mon départ précipité de la maison sans lui expliquer que je suis bel et bien vivant, à la tromperie qu'il y'a eu en la compagnie de cette inconnue je reste persuadé que l'amour qu'elle a su me porter jusque à présent l'amènera à me pardonner. C'est une combattante, elle a la niaque, la force et la rage de vivre. Nos retrouvailles seront merveilleuses. Et auquel cas, ma peau est marquée à l'indélébile pour sa personne.  

J’étais heureux. Très sincèrement. Avec ma femme tu sais. On avait un appartement puis une jolie maison. On en a chié, on en a sué elle est moi mais l’amour a toujours triomphé. On a mis le bébé en préparation avant l’invasion et avant que ces monstres viennent décimer nos terres. Qu’il était beau notre petit. Qu’elle était belle, ma femme. Mais l’invasion a tout ravagé. J’ai perdu la tête. La simple idée de les perdre m’a effrayé, m’a apeuré. Et Sharon m’a enfermé. Elle aussi a changé. J’en suis intimement persuadé. Lorsque elle m’a enfermé dans le bunker souterrain à notre maison, son regard n’était plus le même. La lueur d’amour que j’y lisais au fil des jours s’était effacée au profit d’une haine indescriptible. L’instinct maternel s’était réveillé et le premier à en subir les aléas n’était autre que moi.

Protéger son bébé, envers et contre tous. Contre son propre père… Tel devait être la volonté de cette mère aimante. Elle m’a laissé croupir. Durant des jours et des jours dans ce bunker sans même se rappeler que nous avions un double des clefs à l’intérieur. Avec prudence, j’en suis sorti. Et sans un bruit, sur le pas de la porte, je l’ai écouté fredonner des mélodies à notre enfant. Je l’ai écouté durant des heures entières avant de m’échapper. Lâchement, j’ai erré durant des jours et des jours. Il paraît que l’herbe est plus verte ailleurs, n’est-ce pas ?

J’ai eu durant ce laps de temps un semblant de femme-folle. Eprise par ma personne, elle me suivait partout. Et puis, j’ai été confronté réellement à une meute de morts. Ils nous ont coursés. Et il a fallu faire un choix : c’était elle… Ou moi.

Je suis revenu bien des jours après chez moi pour constater que la maison demeurait atrocement vide. Plus personne et plus le moyen de mettre la main sur mon ex-femme. Alors je l’ai cherché. Nuit et jour. Jour et nuit. Jusqu’à en perdre haleine, jusqu’à en perdre la notion du temps. Je rentrais, tous les soirs, dans l’espoir ultime de la recroiser.

J’ai ressortis mes vieilles aiguilles à tatouage. Semblant de jeunesse retrouvé. Je me suis senti tout bêtement bien. Tu sais, j'ai délaissé tout ça pour être l'avocat même du diable.

Mais aujourd'hui, qui peut se vanter d'être avocat du diable lorsque défilent dans nos rues des milliards de morts ?

J’ai marqué à vif ma peau dans des conditions d’hygiène douteuse. Pour toi, Sharon, je l'ai fais. Je lui ai signalé, par ce simple tatouage sur ma peau, qu’elle serait mienne à vie. Car nous sommes mariés, ainsi va la vie malgré la tromperie que j’ai pu lui causer, n'est-ce pas ?
J’ai vu des morts déambuler avec uniquement la chair sur les os. Parfois, elle subsiste, parfois, elle s’efface, tombe, s’émiette. Alors j’ai pris soin de marquer mon dos de son prénom et de notre nom de famille. Ainsi, lorsque la mort viendra me cueillir, elle parviendra à comprendre si elle me croise au détour d’une ruelle que je ne lui en veux pas. Que je ne lui en ai même jamais voulu et que je l’aimerais quoi qu’il arrive.

Fou à lier.

Pour survivre, je marque les dos, les bras des gens qui croisent mon chemin. Je leur explique ma démarche et la plus part se laissent conquérir en échange d’une ou deux boîtes de conserve. Certains me traitent de fou, d’autres admirent le courage qui subsiste au tréfonds de mon estomac pour me battre envers cette vie faite d’injustices.