I'm crying cause they coming for me

Cela fait maintenant quatre jours que je suis arrivé à Ellia. Quatre petits jours et pourtant, j’avais l’impression qu’un mois entier s’était écoulé. Autrefois, quand j’étais seul dans la nature, il pouvait m’arriver de ne croiser personne des semaines durant, n’ayant que mes pensées pour me tenir lucide, ou la compagnie de quelques rôdeurs, bien qu’ils ne soient pas du genre bavards. Mais ici, j’ai eu le plaisir de faire quelques retrouvailles avec des personnes qui m’étaient proches et aussi d’apprécier la rencontre de nouvelles têtes. Les premiers jours je n’avais pas dormi, pas trop mangé non plus. J’enchaînai les rencontres avec les uns et les autres, les discussions, les disputes aussi. Depuis mon entretien avec Vance, les instants qui ont suivis n’ont pas été de tout repos. Et puis faut dire, que tout m’avait semblé compliqué au début. D’abord parce que j’étais tiraillé entre l’envie d’échapper à mes ravisseurs (et en général, tout le monde à le même instinct primitif de vouloir retrouver sa liberté ainsi volée), et en même temps, j’avais cette lueur au fond de moi, me laissant croire que ce projet avait du sens, qu’une refonte d’une civilisation pouvait être possible. Du coup, je me disais qu’il m’était possible de parler avec Vance, que c’était un type censé, que j'pouvais le convaincre que j’étais quelqu’un d’honnête, que je pourrais participer avec son groupe aux recherches extérieurs, que je pourrais concilier et mon envie de retrouver Danielo, et celle d’aider ce campement. Et puis au final, je n’avais pas besoin de prouver quoi que ce soit, parce que la personne que je recherchais depuis toujours se trouvait justement entre ces barrières. Au fond, je me disais que ce n’était pas si mal de m’être fait prendre au piège ce jour-là… moi qui chassait ce groupe de ravisseurs avec une fille qui leur avait échappé, je m’étais fais prendre par surprise. D’ailleurs, je ne l’ai pas revu depuis, je me demande si elle s’en sortie. Enfin, au final ce ne serait pas si mal qu’elle se retrouve ici. Quoi que, ça ne plaisait pas à tout le monde d’être là. Je sais que pour Danielo, c’était la pire chose qui lui était arrivé. Il le vivait très mal. Et ma présence semblait avoir compliqué les choses pour lui. Ouais au final toute cette histoire était un gros bordel et je ne savais plus où me situer. Il faut dire que j’ai passé six années à le chercher, lui et sa sœur. Qu’un beau jour, le hasard nommé Vance, nous a réunis tous ici… Mais pourtant je n’ai pas eu l’impression d’avoir atteint mon objectif., je n’étais pas pleinement satisfait. J’avais l’impression d’avoir un vide à l’intérieur de moi. Toutes ces années à n’avoir qu’une seule idée en tête le matin au réveil, le retrouver, et voilà qu’à présent, je n’avais plus de but, plus de projet de vie. Pire encore, j’avais perdu mes repères, notre éloignement nous avait certainement changé, l’apocalypse y était aussi pour quelque chose. On ne se comprenait plus lui et moi. Et l’ascenseur émotionnel ne m’aidait pas à y voir plus clair. Je me sentais mal et j’avais l’impression d’être en deuil perpétuel, sans vraiment savoir de quoi. Alors pour ne pas le blesser davantage, et pour me protéger moi aussi, j’avais enfilé une armure invisible, refermant mes émotions et agissant comme un robot impassible, et la plupart du temps je préférais me concentrer sur mes petites tâches du quotidien, me rendre utile auprès des autres.


Me focaliser sur un projet, c’était en effet pour moi le meilleur moyen de lâcher prise sur ce que je ne pouvais pas contrôler ni comprendre ; un moyen aussi de reprendre contact avec la réalité qui parfois me semblait si ambiguë et indécelable. Et ça fonctionnait, du moins pour l’instant. J’enchaînais les rondes et les petits services aussi. J’avais notamment aidé à défaire la petite estrade qui avait servi de scène pour le petit concert du banquet y’a trois jours de ça, j’ai même été refaire une petite séance de boxe avec Jimmy-Jo. Et puis je crois bien que ce qui m’a fortement aidé à calmer mon mal-être intérieur, c’était d’avoir retrouvé un vieil ami, il y a deux jours, Mason ! La dernière fois qu’on s’était vu, c’était à la caserne, juste avant que je ne parte pour ce fameux week-end qui a basculé le monde dans la terreur. Et bizarrement, entre nous, c’était comme si les années ne s’étaient pas écoulées, seul le contexte avait changé. Il n’y avait pas de bar et de jolies filles autour de nous. Mais à part ça, c’était pareil, on s’était raconté quelques anecdotes, on avait rit. Et puis, on était retourné à nos missions respectives, en essayant de se capter à un moment dans la journée. D’ailleurs nos postes se ressemblaient un peu, il était aussi gardien, mais on avait pas le même terrain de jeu. Du coup, je savais qu’avec lui, je pouvais passer un moment tranquille, sans prise de tête, sans avoir à me questionner sur des possibles sous-entendus, ni d’essayer de déchiffrer un message caché et encore moins de faire attention aux mots que je pouvais employer. J’étais juste moi-même. Et j’avais besoin de ces petits moments de décompressions. Et en parlant du loup… Alors que j’arrivai sur le fameux centre-ville, je m’étais arrêté un instant pour tenter de repérer le bar dont tout le monde me parlait. Je n’avais encore pas eu l’occasion d’aller le tester et je voulais vérifier la véracité de leur propos concernant la réserve d’alcool qu’il possédait. Bref. Je m’arrête donc, regardant les boutiques quand soudain, une paire de main vient me cacher les yeux. Si d’abord mon ventre s’était contracté d’instinct, j’avais fini par me détendre et sourire à l’entente de cette voix. Le loup c’était lui. « Quelle voix mélodieuse.. » commençais-je amusé avant de reprendre le petit jeu de devinette. « Mince, faut pas que je me trompe alors.. hmm que vous avez de longs doigts.. » mère-grand « Je dirais, Pope, l’aguicheur ! » J’en rigole, c’était un de ses surnoms à l’époque, avec sa bouille il arrivait toujours à séduire qui il voulait, c’en devenait même un jeu, de savoir jusqu’où il pouvait aller, ou si quelqu’un pouvait lui résister. Lorsqu’il retire ses mains, je plisse un peu les yeux, légèrement perturbé par le retour à la lumière avant de lui taper l’épaule avec mon poing, à l’entente de ses paroles. « Bah ça tombe bien je suis libre là ! » Je désigne la rue commerçante d’un signe de la tête en enchaînant aussitôt « ‘Paraît qu’il y a un vrai bar dans le coin, avec serveuse et tout, et puis de l’alcool surtout ! T’as déjà testé ? » Voilà qui ferait un cocktail des plus explosifs. De l’alcool et Mason. Qui dit mieux.  

Codage par Libella sur Graphiorum