Le feu crépite devant moi. J'ajoute quelques branchages et remue les braises. Les écarts de température dans cette région sont impressionnants. J'imagine que c'est ça, ou bien je suis devenu frileux. Je regarde un instant la danse des flammes avant de m’asseoir confortablement sur ma chaise de camping.

À mes cotés, Eliisa est plongée dans la lecture d'un roman que l'on a trouvé dans une caravane. Je lui demande si sa lecture est intéressante. Le grognement qui lui sert de réponse semble indiquer que non. Je n’insiste pas. La journée a été longue. Elle comme moi sommes fatigués.

C'est amusant dans un sens. Une bonne journée est tout aussi agaçante qu'une mauvaise de nos jours. Ne rien trouver d'utile est toujours aussi pénible que de devoir transporter le résultat d'une bonne fouille. Je remue à nouveau les braises.

J'ai un peu perdu la notion du temps. La montre que je porte au poignet ne fonctionne plus depuis longtemps, ça n'aide pas vraiment. Pourquoi est ce que je la porte encore ? Les habitudes ont la vie dure j'imagine. Je me fais violence et me relève. Les deux lapins qui se sont pris dans nos collets durant notre « trek » sont au menu ce soir. Le coin regorge de gibier. C'est un bon point, mais ça ne me donne pas vraiment l'envie de rester par ici. Ce coin ne me revient pas.

Je remonte les manches de ma chemise et je commence à cuisiner les deux bêtes. J'ai remarqué un truc amusant récemment : les 'ricains ne pillent pas les épices quand ils fouillent les supermarchés. Tant pis pour eux j'imagine. Au moins, le repas de ce soir aura du goût. En plus, les fines herbes et autres trucs séchés se conservent plutôt bien.

Alors que je vérifie que j'ai bien vidé les bestioles, j'entends du bois craquer. Et le son ne vient pas du feu à mes pieds. Je repose les lapins. D'un pas rapide, je rejoins notre véhicule et récupère ma carabine que j'ai laissé sur la place du mort. Eliisa me rejoint. Des pas se rapprochent également. Un léger râle ne laisse pas de place au doute. Un ou plusieurs mordeurs nous ont suivi. Je m'empare d'une pelle que j'ai laissé à coté de notre feu de camps. Plus vite on finira ces cochonneries, plus vite on soupera.

Eliisa et moi éliminons sans trop de mal les premiers assaillants. Avec un bon outil, c'est un jeu d'enfant. Je suis heureux d'avoir lu « All quiet on the western front ». Le coup de la pelle aiguisée comme arme, c'est une idée de génie.

Ils sont plutôt nombreux. Mais la végétation les a forcé à se disperser un peu. Alors que nous réglons leur compte à ces pauvres diables, nous nous éloignons progressivement du camps. Hemel! C'est que nous sommes populaires dites-moi! Ça ou bien ils ont appelé leurs amis. Il nous faut bien dix bonnes minutes pour nous occuper de la vingtaine de mordeurs.

Je vérifie que ma chemise et ma veste soient propres. Pour les chaussures, c'est un peu cuit vu qu'un sous-bois humide, c'est plutôt du genre boueux. J'ouvre un bouton de chemise et reprend mon souffle. Espérons que ce soient les seuls emmerdeurs de la soirée. Ma moitié me rejoint enfin. Elle me répond par un sourire lorsque je lui demande si tout va bien. J'aurai dû prendre mon appareil photo, ce sourire devrait être immortalisé.

Nous retournons vers notre feu de camps. Entre chien et loup, il n'est pas trop difficile à repérer. Je m'arrête soudainement. Il y a quelqu'un. Là, à moins d'une centaine de mètres de nous. Entre le feu et nous. Je me baisse, pose la pelle et épaule mon arme. Eliisa m'imite. Cette personne nous a t'elle vu ?

Je repousse le cran de sûreté. Je reste calme. Je sens monter en moi une poussée d'adrénaline. Comment est ce que ça va finir cette fois ?  

La personne qui nous fait face est une jeune femme. Enfin, « jeune », par rapport à nous quoi. Avec mes cheveux qui tournent gris, j'ai l'impression que je pourrai être son père. Je sais pas ce que j'ai avec ces idées de paternité en ce moment, je dois être fatigué.

Je garde les mains fermement agrippé sur ma carabine. Ça a l'air de la rendre nerveuse, mais c'est pas comme si je m'en foutais un peu. Oh, attendez, si, je m'en moque. J'échange un regard avec ma moitié pour le moins perplexe. Que va t'on faire de cette demoiselle ?

Bon, visiblement je suis seul sur ce coup. Eliisa ne semble pas vraiment intéressée par la situation. Elle contourne la randonneuse que nous venons de rencontrer en gardant une certaine distance et retourne auprès de notre feu de camps. Merci mon cœur, ton aide m'est précieuse. Je soupire. Bon, gardant l'arme pointé vers elle, je lance un simple :

« 'Pouvez baisser les bras. Mais je suis fatigué, alors je ne réponds de rien si vous faites un geste brusque. »

Mon accent afrikaner coupe chaque syllabe de manière claire. Je doute qu'elle n'ait pas compris le sous entendu. Je ne sais pas si elle est armée, mais j'ai du mal à imaginer que non. Par les temps qui courent, je ne crois pas qu'il soit possible de croiser encore beaucoup d'objecteur de conscience. Dans son dos, Eliisa a repris sa place sur son banc de fortune. Elle garde son arme sur ses genoux, par mesure de précaution j'imagine.

J'hésite. J'avoue ne pas avoir vraiment envie de gaspiller une cartouche. Mais je suis pas non plus intéressé à l'idée de bavarder des plombes avec une locale. Il va encore falloir qu'on bouge. Seigneur, quelle journée de merde. Allons, au moins je peux peut-être en tirer quelques informations. Si y a moyen d'avoir des renseignements pour éviter les sauvages du coin, ça en vaut la salive j'imagine.

Je reste néanmoins sur mes gardes. Elle a beau dire qu'elle voulait nous prévenir, j'y crois pas trop. La bonté humaine, c'est pas vraiment un phénomène courant en ce bas monde. À d'autres.

D'une voix lasse, je demande  :

« On doit s'attendre à d'autres visiteurs ou vous êtes seule ? Ça m’empêcherait pas de dormir de tirer dans un buisson, mais il paraît que c'est mauvais pour les nerfs ce genre de frayeur. » puis pointant en direction de notre bivouac : « vous désirez vous joindre à nous pour le souper ? Le repas est frugal, mais il paraît que c'est le geste qui compte. »

Un peu d'hospitalité armée, rien de mieux pour délier les langues. Ça a un coté un peu suisse. Espérons qu'elle voit bien cela comme un échange de bons procédés.