Et merde. Merde. Elle s'était évadée. À quoi pensait-elle ? Je lui aurais mis ma main en pleine figure, une belle gifle. La marque rouge aurait pu être visible durant plusieurs jours. Est-ce que cela aurait été productif ? Aucunement... Comment Vance verrait cela ? Mal. Très mal.  Dasha ne comprenait pas la situation. Je regardais Thena, son berger australien. J'avais réussi à la garder. À quel prix ? Travailler plus ? Il fallait bien la nourrir. C'était un ticket de nourriture en plus. La vie était devenue si dure. Le campement pouvait fonctionner si tout le monde y mettait du sien. Il fallait se l’avouer. Comment elle ne pouvait pas comprendre cela, cette tête de mule ! Je mettais rendu dans ma petite parcelle de fleur de camomille... Même cela avait été dur à négocier. Dans quelques jours, il faudrait les cueillir pour les préparer à en faire de la tisane. Cela permettrait au moins d'apaiser les douleurs d'estomac, calmer l’anxiété et pour les maux de gorge. Je pourrais peut-être planter des fleurs d’hibiscus après…

Mon visage grave, je travaillais sur ma parcelle. J'avais soif sous ce soleil. J'avais oublié de m'hydrater durant la journée. Le plus important était de faire mon travail pour Athéna et ma sœur... Si je voulais recevoir leur ration... il fallait bien que je donne tout et montre à Vance que je pouvais être dans ses bons papiers. Je défilais la liste de noms dans ma tête de ceux qui étaient dans ses petits papiers. Il y avait lui... Mais je ne lui demanderai jamais... Et si ma sœur restait dans ce trou durant plusieurs mois... Voir toujours... Il n'y avait pas de bonne influence. Et si elle réussissait à s'enfuir sans rien avec son chien ? Je sentais petit à petit l'angoisse m'envahir. Merde. Qu'est-ce que je pouvais faire ? Cela faisait longtemps que je n'avais ressenti cela. C'était ma sœur, bordel. Je me sentais coincé. Avais-je eu la bonne idée. Je me sentis légère, perdant la sensation d'apesanteur. Crise d'angoisse, sérieusement, je me retrouvais très vite assise en tailleur. Ça tourne. Si quelqu'un me voyait comme ça, ce n'était pas bon.

La chienne était venue vérifier si j'allais bien. Je mis ma main sur sa tête en lui murmurant : « ça va aller. Ne t'inquiète pas. ». Je le disais plus pour moi qu’elle. Je ne survivrais plus pour moi, mais pour elles. Il fallait que je sois forte. Il fallait que je crée des alliances. Je devais plus être ouverte. Je soufflais en fermant les yeux. Tout allait bien se passer. *Tu as le contrôle. * Pensai-je. *Tu verras. Elle va sortir de là rapidement. * Continuai-je dans ma tête. Je ne pouvais pas lui rendre visite. Je devais attendre comme tous les autres. Ce n’était pas comme si la prison était un open-bar. Je ne m’étais même pas rendu compte qu’il s’était approché de moi. J’étais là au milieu de mon champ tel un animal blessé. J’avais cette pression sur mes épaules. Qu’est-ce que je pouvais faire ? Puis, j’entendis sa voix sans entendre le sens de ces mots. Ma tête se tourna vers lui… Lui, il était dans les bons papiers de Vance… Lui, il pouvait m’aider. C’était un homme… Je ne pouvais pas lui faire confiance, mais il pouvait peut-être m’aider. « Je… » commençai-je… « Je crois que… je n’ai pas bu assez d’eau… » dit-elle blafarde. C’était déjà un début. « Tu peux m’aider ? » murmurai-je ces mots. C’était le monde à l’envers.

Tu ne fais pas parti de la sécurité intérieure du village. Mais ça ne t'empêche absolument pas de faire le tour de temps en temps. Juste comme ça, pour t'assurer que tout va bien entre les "murs" de Ellia. C'est généralement le cas. Même avec les nombreux "suspects" qui traînent ici et là une fois hors de leur cellule. Ce qui n'est pas une raison suffisante pour ne pas être prudent. Toi tu l'es. Parfois de façon un peu démesurée et tu le sais bien. Mais il faut au moins ça pour être certain qu'il ne t'arrive pas une bricole.  Et que tout continue de bien aller pour ta fille également. Levy a beau être une battante et tout ce que tu veux, tu veilles sur elle. Plus ou moins de façon discrète. Et de plus ou moins loin. Parce que ça reste ta fille et que s'il venait à lui arriver malheur, t'es pas certain toi même que tu t'en relèverais. Mais tout se passe bien à Ellia. Pour toi entre autres, ça se passe même plus que bien. T'as su gagner la confiance de Vance et tu sais que ça, ce n'est pas donné à tout le monde. T'en profites largement, tu dois bien le reconnaître. Tu déambules sur les chemins terreux du village non sans une certaine fierté. T'es pas un mauvais bougre pour autant. Tu passes ton temps à proposer ton aide. Même quand tu te fais envoyer chier, t'es pas capable de ne pas revenir à la charge.

Avec la minette que t'aperçois là, au milieu du champ, toute seule à cette heure ci. T'es persuadé qu'elle va encore une fois t'inviter très cordialement à aller te faire voir. Elle te déteste et tu ne sais même pas pourquoi. Mais dans les faits, ça n'a pas grande importance. Tu t'approches quand même un peu et tu proposes naturellement ton aide, sait-on jamais. Et alors que tu t'apprêtes à devoir passer ton chemin parce qu'elle refusera, sa voix faible et son hésitation te font piler net. T'as le sourcil qui se fronce et le regard qui se pose sur elle. Un truc cloche, t'en es bien certain et conscient. Elle n'a pas le ton aussi froid et sec que d'ordinaire. Et elle t'avoue manquer d'eau. Bouge pas. T'attends pas pour faire demi tour. Le pas un peu plus rapide que précédemment, pour aller attraper et remplir une gourde du côté de la ferme où bossent d'autres personnes. Tu reviens aussi rapidement et t'accroupis pour te mettre à sa hauteur. Tu prends le risque d'entrer un peu dans son "espace vital" pour lui donner la gourde. Il fait pas un peu chaud pour bosser en plein soleil ? Que tu demandes/fais remarquer, en l'observant un peu. Sans surprise, elle est bien pâle. Mais tout ce que t'espères, c'est qu'elle n'est pas en train de se taper une insolation. Y'a  plus agréable qu'un coup de soleil sur le crâne et un gros coup de chaud, en plein été. Tu lui conseillerais bien d'aller se rafraîchir un moment au bord du lac. Mais il ne faudrait pas agacer la jeune femme et sa fierté.

Comment pouvait-on catégoriser une crise d'angoisse ? Comment je pouvais être sûre qu'il s'agissait de ça ? Je me refaisais le schéma dans ma tête. J'étais terriblement anxieuse depuis que Dasha était en cellule. Si j'avais un souci avec les hommes... Elle, c'était avec l'être humain. Ce n'était pas dans mes habitudes. J'étais devenue une tueuse de zombie indépendante ! J'avais besoin de personnes. Et là, je savais intérieurement que cela ne pouvait plus continuer comme ça. Je m'étais retrouvé agenouillée dans le champ à demander de l'aide à mon pire ennemi. Qu'est-ce qui m'avait fait de mal ? Rien. C'était juste sa tête que je ne pouvais pas encadrer. J'avais l'impression de manquer d'air. Je sentais mon cœur battre si vite dans ma poitrine. Cette sensation de vertiges me clouait au sol, incapable de faire quoi ce soit. Mon visage était devenu aussi pâle que celui d'un zombie. J'essayais de cacher mes tremblements du mieux que je le pouvais. Il s'était avancé. Mon regard n'était pas à sa rencontre. J'avais trop honte de lui demander à lui. En fait, j'étais énervée contre moi-même. Je m'étais pourtant juré de ne jamais accepter son aide. C'était un homme... Un connard. Un incapable. Un sal... « Bouge pas » me dit-il en me coupant dans mes insultes intérieures. Malgré mes efforts, je l'entendis partir rapidement. Et voilà, c'est ce que je me disais. Je lui demandais de l'aide. Il me laissait en plan, vu comment je l'avais traité... Il avait bien raison. J'essayais de me lever sans succès... Je retombais sur mes fesses. Il revint avec de l'eau s'approchant de moi prudemment... *T'approche pas. Je peux prendre mon eau toute seule* pensai-je. Cependant, je savais très bien que J'AVAIS BESOIN DE LUI. Et merde. Luttant toujours intérieurement, j'avais tellement envie de l'envoyer valser ailleurs. Ma main tremblante rentrait en contact avec la sienne pour prendre la gourde et la porter à mes lèvres. Je buvais tout en essayant de me calmer. Mon père m'avait toujours donné un verre dos durant mes crises de pleurs. Selon lui, cela aidait à faire passer la peine. Cette pensée m'apaisa légèrement, l'oubliant une micro-seconde.

« Il fait pas un peu chaud pour bosser en plein soleil » semblait-il demander. Je me fis fureur de ne pas lui répondre sèchement. J'avais besoin de lui. *Soit gentille* m'ordonnai-je. Mon regard se leva pour le voir. Il n'était pas très loin de ma personne. Je constatais que jamais je ne l'avais autorisé à être aussi proche. Mon subconscient se demandait pourquoi il n'avait pas essayé de poser ses mains baladeuses sur moi... Il fallait tout de même que je sois vigilante. « Je ne me suis pas rendue compte... » répondis-je assez sèquement. Ce fût plus fort que moi. Je soupirais lentement. « Je... suis... désolée. Je voulais être sûre que les fleurs restent en bonne condition. Et... » m'intérrompis-je. Pourquoi c'était aussi dur de lui parler... Nom d'un zombie poisseux ! C'était le moment où je lui disais que j'étais inquiète pour ma soeur. Et qu'est-ce qu'il en aurait à battre sérieusement... «  Tu pourrais m'aider à me lever... Je pense que c'est raté pour le reste de la journée. »  concluai-je en essayant d'être plus douce et déviant du sujet à nouveau. Il m'aidait... Ce n'était pas le moment pour l'envoyer balader.