« ... C'est trop dangereux ! Vous ne pouvez y aller en si petit groupe ! Et avec une enfant ?! »
 
« Et mourir de faim est une meilleure option, peut-être ?! », m'écriais-je, les mains sur les hanches.
 
« Molly... Écoutes... Tu n- »
 
« Non !! Toi écoute-moi ! Cela fait deux jours entiers que je laisse mes repas à ma fille ne serais-ce que pour qu'elle se nourrisse comme il se doit et que je partage le peu de nourriture restante avec mon mari ! Je ne me laisserai pas crever simplement parce que des chochottes comme vous ne veulent pas nous aider ! » Hurlais-je d'un ton ferme.
 
Mon visage se faisait dégouté. À dire vrai, j'étais tout simplement dégoutée. Cela faisait bientôt deux jours que moi et Aaron n'avions comme repas que quelques morceaux de pain que nous avions trouvé dans un marché, il y avait quelques semaines de cela. Nous donnions toujours à notre petite Marie ce qu'il restait de protéine afin de la garder en forme, quitte à ne pas manger du tout. Ma croissance était terminée, mais la sienne ne faisait que commencer, elle en avait besoin beaucoup plus que moi... Du moins, c'était ce que je cessais de me répéter afin de ne pas jouer les égoïste. Chaque jour, je mesurais le poids perdu avec un certain dédain. Pour tout dire, jamais n'avais-je été aussi maigre... Peut-être pas à en voir mes os, mais je pouvais sentir mes muscles qui faiblissaient à chaque instant. Heureusement pour moi, j'étais plus têtue que je ne le paraissait, ce qui faisait que je réussissais constamment à me relever. Aujourd'hui, cela fut la goutte qui fit déborder le vase. Lorsque nous nous étions réuni pour la distribution de nourriture, il ne restait plus rien pour nous, ni même pour Marie, qui ne cessait de me répéter à quel point son ventre lui criait à l'aide. Bien évidemment, les autres survivants n'étaient pas d'accord. Après tout, eux n'étaient pas à notre place. Eux avaient mangé. J'étais décidée et rien ne changerais cela. J'agrippai donc Marie par la main, puis je me penchai pour la soulever dans mes bras. Je savais que ce petit périple serait dangereux, mais nous n'avions plus de choix.

Les autres survivants se firent silencieux après mon léger discourt, puis je tournai les talons. Je pu sentir ma fille se tourner légèrement alors qu'elle était toujours dans mes bras pour faire une petite grimace au groupe de survivants qui nous regardaient partir. Un sourire s'afficha sur mes lèvres. Autant avait-elle ce petit côté artistique que je possédais, autant avait-elle le caractère de son paternel. Toujours apte à faire des blagues, souriante et elle n'avait pas froid aux yeux.
 
Nous nous éloignâmes donc, jusqu'à arriver devant une vieille Chevrolet Impala 1967 noire. Le soleil plombait sur celle-ci, rendant presque difficile de toucher les poignées métalliques qui permettaient d'ouvrir les portières. Je fis donc vite, ouvrant d'abord celle de l'arrière afin d'asseoir Marie et de m'assurer que celle-ci attachait bien sa ceinture. Nous n'étions jamais trop prudents de nos jours. Et puis, avec ces bêtes qui rôdaient un peu partout ici et là, un accident de voiture était si vite arrivé. Je lui déposai donc un baiser sur le front au passage, caressant sa longue chevelure brune et je lui fis un sourire auquel elle me répondit, en plus d'ajouter un « Je t'aime » enfantin. J'y répondit à mon tour puis je me reculai pour fermer la porte. Enfin, je sorties les clés de la poche de ma vieille veste de cuir que je portais et je vins m'asseoir sur le siège conducteur. C'est lorsque je sentis un regard rivé sur moi, en plus d'entendre un raclement de gorge forcé que je tournai la tête. Je vis alors Aaron, me regardant de haut en me faisant les yeux ronds et en me tendant la main. Je soupirai et roulai les yeux.
 
« D'aaaaccord ! J'ai compris ! » Dis-je, d'un ton désespéré.

 

On aurait dit qu'il n'aimait pas que je conduise. Non pas qu'il ne me faisait pas confiance, mais j'avais cette impression qu'il se sentait plus en sécurité si c'était lui qui tenait le volant. Je ne m'en plaignais donc pas. Je me relevai puis vint prendre place sur le siège passager. Nous ne mîmes pas de temps à partir et lorsque nous croisâmes les quelques survivants, je ne put m'empêcher de sortir ma main par la fenêtre pour faire un doigt d'honneur plutôt gratuit à ceux-ci. Lorsque j'eut terminé, je remontai ma vitre puis je croisai le regard de Marie par le rétroviseur.
 
« Ne fais pas ce que maman viens de faire, d'accord ? », lui dis-je d'un ton faussement sérieux.
 
La gamine aussitôt se mit à hocher la tête et je ne put que lui sourire. Seigneur qu'elle était mignonne. Au final, peut-être que cela ne serait pas un si mauvais voyage malgré tout. Je vins donc délicatement poser ma tête contre le bras de mon mari, fermant les yeux un court instant.

Je ne put m'empêcher de rire aux paroles de mon mari et de ma fille après que j'eut fait un doigt d'honneur. Ces deux-là avaient décidément le tour pour me faire sourire et me ramener à cet état jovial qui m'emplissait chaque jour. C'était comme si une certaine partie de moi revenait pendant un très court instant, me rappelant ce qu'était la vie avant l'arrivée des morts. Je restai la tête posée sur l'épaule d'Aaron presque tout au long de ce court périple, somnolant à certains moments. Le soleil plombait sur le pare-brise de la chevrolet, offrant donc une chaleur agréable à l'intérieur de la voiture. Lorsque je sentit finalement la voiture s'arrêter, mes paupières s'écarquillèrent presque soudainement, m'arrachant à ce rêve éveillé que je vivais à l'instant. Je me frottai le visage de mes paumes pour finalement apercevoir une vieille maison abandonnée dans un chantier. Seigneur que je n'aimais pas les forêts... Ces bêtes pouvaient y rôder partout sans que l'on ne s'y attende. Je soupirai. Je jetai un coup d'oeil sur ma fille qui continuait de dessiner et un léger sourire couvrit mes lèvres. Une âme si innocente et si courageuse. L'état de notre monde ne semblait pas l'atteindre le moins du monde.
Aaron nous dit de rester dans la voiture et je m'occupai de verrouiller le porte le temps de son absence avant de détacher ma ceinture et de me retourner vers Marie. Celle-ci leva les yeux vers moi avec le plus brillant des sourires.

« Tu veux voir ? », me demanda-t-elle d'un air fier.

« Bien sûr ! Qu'as-tu dessiné cette fois, ma beauté ? »

Je pris alors le petit carnet de dessin et j'y vit un gros lion maladroitement dessiné. Les lignes trop raides et ces formes irréaliste ne pouvaient en effet être l'œuvre que d'une enfant. Mais je pris toutefois cet air stupéfait, en plus d'y ajouter un grand hoquet de surprise.

« Oh wow ! Tu as fais ça toute seule ? »

« Mmm-hmmm !! » me fit-elle.

« Je deviens de plus en plus impressionnée avec toi, ma chérie ! »

Elle était contente, et ce large sourire ne put que me rendre heureuse. Enfin, elle retira sa ceinture à son tour puis s'approcha pour me faire un faux miaulement de chat, auquel je répondis de la même manière. Nous nous échangeâmes donc des bruits de félins amusés, juste avant que la jolie fillette ne se stoppe en voyant son paternel ouvrir la porte et nous faire signe que tout était sécuritaire. Avant que je n'eu le temps de faire quoi que ce soit, elle ouvrit sa porte et accouru dans les bras d'Aaron. Je pris alors le carnet et le stylo puis je sorti à mon tour, fermant les deux portières. Lorsque je rejoins les deux amours de ma vie, j'écoutai les paroles de mon mari, qui nous signifiais qu'il y avait de l'eau chaude et de la nourriture. Pourtant, mon inquiétude ne s'effaça point. J'attendis qu'il dépose Marie au sol et je me penchai à sa hauteur.

« Tu veux bien aller dessiner à l'intérieur, ma chérie ? Maman doit parler à papa seul à seul. »

Elle hocha la tête et alors qu'elle tourna les talons, je lui donnai de petites tapes sur les fesses pour la faire accélérer en rigolant. Elle éclata de rire et entra à l'intérieur en courant. Aussitôt qu'elle fut parti, mon visage reprit un ton un peu plus sérieux, laissant ainsi voir mes joues un peu plus creuses et mes cernes noires.

« La voiture sera bientôt à sec... Les stations d'essence ont déjà toute été siphonnées de leur gaz jusqu'à la dernière goutte... Bientôt, nous nous retrouverons à pied... Et tu sais autant que moi qu'avec Marie qui n'aura pas la force de marcher aussi vite et aussi longtemps que nous, nos chances seront limitées... »

Je soupirai, passant une main dans ma longue chevelure noire et sur mon visage, avant de venir retirer le petit élastique qui avait remonté le tout en une queue de cheval pour l'accrocher à mon poignet. Le problème avec notre famille, et il n'y en avait pourtant pas beaucoup, c'étais qu'Aaron tentait constamment de nous rassurer en tentant de nous dire que le problème allait s'arranger, qu'il était moins pire qu'il ne semblait l'être. Ainsi donc je ne lui laissai pas le temps de parler et j'agrippai son chandail au niveau de son torse d'une main tremblante, les yeux presque suppliants.

« ... Et ne fais pas comme si tout allait bien, je t'en conjure... Tu as une fille et une femme. Mon sort m'importe peu, mais je ne supporterai pas de voir Marie, la chair de ma chair, mourir de fatigue. » Mes yeux se remplirent de larme que je ravalai presque immédiatement. « Mais semblant que tout va bien pour elle.. mais pas pour moi.. s'il te plait.. »

Puis je relâchai son vêtement, essuyant rapidement mes yeux et je vins m'asseoir près de Marie, retirant ma veste de cuir et la posant sur le sofa où elle était assise pour me retrouver en débardeur blanc. J'entourai mon bras autour d'elle et je ne pu m'empêcher de jeter un regard vers mon mari.

Je voyais bien qu'il tentait de toutes ses forces de me calmer. Qu'il tentait simplement de me faire voir le bon côté des choses. Malheureusement, je ne pouvais que m'inquiéter face à tout cela. Nous n'avions plus de gaz, j'étais épuisée et affamée, je sacrifiais tout pour mon petit amour qu'était Marie et la peur ne faisait que me ronger chaque jour. Oui, chaque journée, je perdais un peu plus espoir, alors que cette petite flamme qu'était ma vie mourrait peu à peu, laissant place à l'ombre de ma peur. J'écoutais le son de l'eau heurtant le sol alors que je pouvais entendre la petite brunette se mettre à chanter sous la douche, marmonnant quelques paroles enfantines qui lui venaient. Un petit sourire se forma sur mes lèvres et il fut vite élargit lorsque j'entendis la voix de mon mari m'annoncer qu'il m'aimait. Des paroles me semblant toutefois plus que réconfortantes. Je m'approchai, m'apprêtant à déposer un doux et tendre baiser sur ses lèvres lorsque j'entendis soudainement Marie venir interrompre ce moment de tendresse par un léger rire.

« Ah non ! Je suis pas là que deux minutes et déjà vous vous donnez des bisous ! C'est dégueulasse ! »

Je ne put m'empêcher de rire à ces paroles. Ce côté immature et presque enfantin de ma fille n'était que la seule chose qui pouvait illuminer mes journées dans ce monde de merde. Mais toutefois, mon sourire disparut assez rapidement lorsque je vis le sien en faire de même, en plus de prendre une expression de peur soudaine, me pointant la porte du doigt. Lorsque je tournai la tête, je put apercevoir un mort contre une fenêtre... Mais mon coeur sembla prêt à flancher malgré tout. Il s'agissait d'une petite fille, la mâchoire arrachée, le visage meurtrit alors qu'un bras lui manquait. Je ravalai ma salive, posant ma main sur mes lèvres dans une expression de surprise. Elle était seule, mais mieux valait-il s'en débarrasser plutôt que d'attendre qu'un incident ne se produise. Je me levai donc dans le silence, alors que la petite Marie vint se blottir dans les bras de son père, et je vins poser mes mains sur le couteau accroché à ma botte de cuir. Je le serrai à l'intérieur de ma paume de main puis je vint me redresser pour m'approcher davantage de la porte. Le monstre trompeur continuait de m'observer à travers la fenêtre, jusqu'à ce que ma main ne touche la poignée de porte. J'hésitai, ma tête se tournant pour jeter un regard sur mon mari et ma fille qui, tout deux, semblaient inquiets. Je savais qu'Aaron détestait que je ne prenne les devants dans une telle situation, mais je me devais de le faire. Je ne pouvais me résigner à rester celle qui se faisait protéger constamment par un homme. S'il advenait que quelque chose devait arriver à Aaron, alors je devrais être en état de protéger ma petite fille de toute éventualité. Ainsi donc je murmurai entre mes dents.

« 1... 2... 3 !!! »

Puis j'ouvris rudement la porte, faisant face à la petite fille qui se rua soudainement sur moi telle une petite tigresse, les dents claquant à la simple idée de m'arracher ma chair. Lorsqu'elle fût à proximité, je l'agrippai par la gorge avec une froideur qui me surpris moi-même, puis la lame de mon couteau vint trouver son chemin à travers l'oeil de la fillette qui se figea d'un seul coup, son corps devenant aussi mou qu'une limace. L'effort avait été simple et minime vu le petit corps maigre de la pauvre enfant. Je vint retirer mon arme de son orbite, relâchant mon assaillant et la jetant au sol avant de laisser mon regard balayer les alentours.

« Aaron... ? »

Ma voix se faisait tremblante et appeurée. Pourtant, le sang sur mon visage n'y était pas pour quelque chose. Au contraire. Autour de moi, je pouvais voir une quinzaine de morts s'avancer vers la voiture à travers les bois, tous aussi défigurés les uns que les autres. Ma respiration se fit plus rapide et j'échappai presque le couteau de chasse que j'avais en main pour finalement me retourner d'une manière plus que paniquée.

« AARON !!!! Il faut partir !! » hurlais-je.

Ils approchaient davantage et si nous attentions, entrer dans la voiture ne serais désormais plus possible.