“Touch me, yeah, I want you to touch me there, Make me feel like I am breathing, Feel like I am human, Dancing through the night, A vodka and a sprite, A glimpse of the silhouettes, A night that they never forget.”

Parfois, lorsqu'elle se réveillait dans le froid et l'humidité de sa petite tente, Lucy avait l'impression de sentir la chaleur pernicieuse des flammes qui venaient lui lécher la gueule, crâmer ses cheveux roux, insensibiliser ses doigts. Le souffle court, elle restait alors assise quelques minutes en regardant autour d'elle : ses tas de ferrailles, sa manette, son petit tas de fringues, une carotte. Dans les pires des cas, elle devait se retenir de hurler le nom de Noah ou de courir le déranger dans sa tente. Sinon, elle retrouvait simplement un rythme respiratoire normal. Puis elle se rallongeait et tentait de retrouver le sommeil. Ayant le moral qui rampe derrière son ombre, elle se trouvait alors dans l'impossibilité de se rendormir, et songeait à la préciosité de la vie. L'apocalypse, les zombies, tout ça : ça l'avait déjà un peu sensibilisée à la question. Mais depuis qu'elle avait trouvé Noah, assez tôt au cours de l'épidémie, elle s'était accrochée à lui comme une moule à son rocher. Entre la sécurité – relative, certes – du groupe qu'il dirigeait, puis la Zone 51 – et ce malgré son échec – et l'installation à Yosemite parmi d'autres survivants, Lucy était restée convaincue qu'une sorte de vie en communauté, une sorte de vie « normale » restait possible. L'incendie qui avait eu lieu une dizaine de jours auparavant avait agi comme une réelle piqûre de rappel pour la rouquine.
La vie est super courte.
Les obstacles se trouvent à chaque coin de rue.
Et cela faisait longtemps qu'elle n'avait pas vécu.
Elle observait de loin Noah qui retrouvait une joie plus tranquille depuis qu'il était avec Auregan. Elle était sincèrement heureuse pour son meilleur ami. Mais la contre-partie, c'était qu'elle n'avait plus le blond rien que pour elle, qu'elle ne pouvait pas aller l'embêter n'importe quand, n'importe comment. Parfois, elle devait bien se l'avouer, elle jalousait la relation des deux géants du groupe. Alors ce jour-là, elle se força à se lever du petit tabouret croulant sur lequel elle était assise, occupée à observer le ciel. Elle se força à mettre un pied devant l'autre jusqu'à atterrir devant la jolie asiatique qu'elle avait repéré le deuxième jour qu'ils avaient passé dans le parc de Yosemite. Arcboutée sur ses deux jambes, elle resta plantée devant elle un long moment avant de prendre la parole. Elle avait vraiment perdu l'habitude, elle qui savait très bien s'y prendre avec les femmes quand elle sortait de sa tanière et sortait dans les bars de Los Angeles. Les temps avaient décidément changé. « Salut. » Et c'est tout.

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“Touch me, yeah, I want you to touch me there, Make me feel like I am breathing, Feel like I am human, Dancing through the night, A vodka and a sprite, A glimpse of the silhouettes, A night that they never forget.”

Tandis qu'Iseul semble faire des petites bulles sous son nuage, Lucy la dévisage. C'est moins discret que d'habitude, vu qu'elle est plantée devant elle, à moins d'un mètre. Elle remarque que ses longs cheveux noirs sont un peu fourchus, que ses yeux ne sont pas parfaitement symétriques, que ses doigts sont abimés par leurs conditions de vie actuelles. Mais cela ne contribue qu'à accentuer la sensualité qui se dégage de tout son être. Un sourire peu assuré étire les lèvres de la rousse lorsqu'elle relève la tête de son livre pour la saluer en retour. Elle se trouve idiote, à pas avoir prévu de punchline ou de sujets à aborder, au moins. Pour un peu, elle aurait les nerfs qui se croisent sur l'estomac tant la timidité et la nervosité l'envahissent. Ce sont des sensations très étranges. Etranges, d'abord, parce que la Lucy pré-apocalypse, contre toute attente, n'avait aucun mal à aborder les créatures les plus sexy qui soient dans les bars gays qu'elle fréquentait. Etrange, aussi, parce qu'elles semblent déplacées, hors de propos dans le contexte dans lequel le monde évolue désormais. On envisage l'autre en terme de collaboration ou de confrontation, d'allié potentiel ou d'ennemi éventuel. L'amour, le désir, sont des principes bourgeois qui n'ont pas survécu à la destruction de l'ordre social pré-existant.
Son retour divague, observe la plaine étendue où le campement s'étire paresseusement. Elle croise du regard Noah, qui n'a pas l'air de comprendre pourquoi elle est face à Iseul, mais qui est trop pris dans sa conversation avec Auregan pour s'en soucier davantage. Elle repère l'endroit où Conrad et son ami avaient établi leur campement avant de déguerpir, lors de l'incendie, avec un des sacs qu'elle avait préparé pour son groupe à elle. Son estomac se tord et son expression s'assombrit avant que son attention ne soit à nouveau attirée par Iseul. « Tu veux quelque chose ? » Lucy sent ses joues rosir tandis que son cœur prend un rythme effréné pour ne rien aider. Le ton presque administratif emprunté par la jolie asiatique lui faire un peu peur et elle craint un instant d'avoir confondu le pichet avec la baignoire, avant qu'une réalisation ne la frappe : évidemment, qu'elle a tout confondu. Ou plutôt, seule son imagination prospective lui fait songer à des choses qui ne se passeront jamais comme si elles s'étaient déjà réalisées. Qui ne tente rien, n'a rien, autrement dit, et si Iseul n'a jamais semblé la remarquer, elle ose espérer qu'elle-même n'a pas été repérée du haut de son observatoire – comprendre, le seuil de sa tente, où elle s'asseyait en tailleur pour regarder la jeune femme discrètement. « Euh, rien de particulier, je... Je te trouve très jolie, c'est tout. » Ses taches de rousseur se noient sous le rouge de l'embarras. « Le... le feu, tout ça... Ca m'a rappelé des trucs, » continue-t-elle sans entrer dans les détails les plus glauques de son cheminement de pensée : « et je me suis dit que j'étais stupide de ne pas t'avoir déjà parlé. » Elle lui envoie un joli sourire, avant d'ajouter, avant qu'elle ne puisse l'envoyer balader : « Je veux pas t'embêter, mais... Je peux m'assoir ? » Elle désigne du bout du doigt le sol. L'herbe ne doit plus être humide à cette heure-ci de la journée, et de toute façon, Lucy ne fait plus tant de différence à ce niveau. Elle n'est jamais totalement bien. Le confort n'existe plus.

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