Le vent soufflait fort en ce mois de Mai. Les premières chaleurs pointaient le bout de leur nez, mais le froid de l'hiver persistait. Heinrich était venu se ressourcer près d'une petite rivière traversant la forêt. Il se souvenait avoir vu cet endroit dans un guide touristique il y a des années. Dans une autre vie probablement. Il avait toujours voulu venir ici, tremper ses pieds dans le courant frais de l'eau pendant que le soleil lui réchaufferait la peau. Il avait voulu venir ici, goûter à la tranquillité des lieux. Mais, alors qu'aujourd'hui il avait enfin pu venir, il était loin de l'atmosphère tranquille qui lui donnait tant envie quelques années plus tôt. En effet, les morts étaient revenus à la vie et était loin d'être tranquilles.

A l'allée, Heinrich, qui s'était garé soigneusement pour cacher son véhicule, avait croisé le chemin d'une petite dizaine de rôdeur. Il les avait tous tué avec soin et désintérêt total. L'habitude de fracasser des crânes pourris était rapidement apparut chez chacun. Au début, c'était dur. On se demandait qui étaient ces gens, quel avait été leur nom, quel âge avaient-ils, qu'est-ce qu'ils avaient dans leurs poches, qu'est-ce qui leur était arrivé. Aujourd'hui, Heinrich se contentait de les achever définitivement, en ne pensant rien. S'il avait continuer à se poser toutes ces questions sur l'identité des morts, il seraient sans doute en train de pourrir quelque part, une balle logée dans sa cervelle, avec un petit mot à côté de lui expliquant qu'il n'en pouvait plus de vivre dans ce monde. Mais ça n'avait pas été le cas. A la place, Heinrich s'était forgé une carapace. La même carapace que tout le monde s'était construite pour éviter de devenir dingue.

C'était un nouveau monde. Et l'homme, ayant toujours eu cette capacité d'adaptation, c'était adapté à ce monde de morts qui marchent. S'il n'avait pas leur air décomposé, il partageait avec eux une odeur loin d'être agréable. Heinrich ne s'était, en effet, pas lavé depuis un moment. Par manque d'occasion, surtout. Aujourd'hui, alors que son véhicule était convenablement rempli de diverses boites et de quelques animaux morts, il avait décidé qu'il était grand temps de se faire un brin de toilette. Et il n'avait rien trouvé de mieux qu'un endroit qui lui avait toujours donné envie plutôt que de se laver à Yosemite.

Il venait de boucler son pantalon, propre comme un sous neuf (ou presque), quand il entendit une branche craquer derrière lui. Torse nu, quelques gouttes d'eau longeant son dos, il se retourna vivement pour prendre sa Mare's Leg d'une main habile et visa l'origine du bruit. Rien ne vint. Aucun autre bruit accompagna la branche écrasée. Mais quelqu'un, ou quelque chose, était là. Heinrich en était sûr. Il ne pris pas le risque de tirer. Pour plusieurs raisons évidentes : il ne savait pas qui ou quoi se cachait derrière les arbustes, il ne pouvait prendre le risque d'appeler une horde à lui sachant que l'endroit semblait plutôt bien infesté et, enfin, il ne prendrait pas la liberté de perdre une balle contre du vent. La possibilité que ce soit un animal lui échappa, ou du moins ne l'intéressa pas. Il pris le temps de s'accroupir en douceur pour récupérer l'un de ces couteaux resté dans sa seconde ceinture, qui portait ses armes, qu'il avait pas encore eu le temps de remettre. Il se releva, toujours dans un calme olympien et il se contenta d'attendre, le bras levé, son arme à feu au bout ; son autre main tenant le couteau se contentant d'attendre le long de son corps. Il ne pris pas la peine de demander qui était là. Si ça avait été un mort, il y avait toujours la possibilité que celui-ci ne l'ai ni vu ni sentit (merci le bain!) et qu'il continue son chemin. Cela aurait été stupide d'attirer l'attention sur lui

Et puis l'auteur des bruits apparut un peu plus en amont du court d'eau. Heinrich se figea et, doucement, descendit son arme, sans vraiment y réfléchir. Il reconnaissait ce visage. Il l'avait connu à la base militaire, dans son autre vie, et cet homme était rapidement devenu un ami. Heinrich n'en croyait pas ses yeux. C'était la deuxième personne, qu'il connaissait avant que tout parte en couille, qu'il retrouvait. Abasourdi, il ne pu y croire au premier abord. Il cligna brièvement des yeux, mais l'homme était toujours là, et lui posa même une question composée de son nom. Maintenant il en était sûr, c'était Seth Frances, le gars de l'armurerie qu'Heinrich avait pu croiser à plusieurs reprises et avec qui il s'entendait bien. Il n'avait jamais eu l'occasion de pouvoir le voir en dehors du boulot, mais pourtant, une familiarité évidente vint le prendre. Comme si Seth et lui avait partagés des repas les soirs d'été, des promenades en forêt pour parler entre hommes. Il soupira. Un soupire soulagé de ne pas avoir à lutter contre un revenant et d'avoir un visage connu en face de lui.

« Scheiße... Seth... Si je m'attendais à ça »

Il se pencha pour ramasser sa ceinture d'armes pour se l'attacher et ranger ce qu'il avait dégainé puis enfila son t-shirt qui traînait à côté. Puis, d'un pas agile, il vint rejoindre son ami. Il lui sourit légèrement et lui tendit la main. Sur son visage, la surprise avait disparue. Maintenant, seul le soulagement de voir une personne connue saine et sauve se lisait sur ses traits.

Il aurait voulu lui dire à quel point il était soulagé de le voir en vie et à quel point il était content que leurs chemins se soient croisés. Mais Heinrich savait qu'il n'avait pas besoin de le dire. Entre Seth et lui, une relation particulière c'était installée depuis le début. Pas besoin de parler, ils arrivaient aisément à se comprendre par les simples jeux de regards, de sourires, les gestes des mains. Bien qu'à présent, Heinrich était devenu moins à l'aise pour faire comprendre ses sentiments positifs. La perte de sa femme et de sa fille l'avait profondément renfermé sur lui-même et il espérait réussir à reprendre sa relation avec Seth là où elle s'était arrêtée, sans créer de barrière qui n'aurait jamais vu le jour si tout c'était déroulé autrement. Il tenta tout de même d'instaurer le dialogue.

« Qu'est-ce que tu fais ici ? »

Pas besoin de reprendre les politesses du genre « oh, tu es vivant ! Je suis tellement heureux si tu savais ! » car, oui, il le savait. Tout comme Heinrich savait que son ami serait heureux de le voir sain et sauf. C'était déjà ça, Heinrich était sûr de lui à ce niveau là. Il reprendrait rapidement l'aisance qu'il avait à l'époque de la base militaire.

A l'entente du prénom de Skye, Heinrich ne pu retenir un sourire. Cette femme qui avait été une autre de ces collègues et qui s'était finalement mariée avec Seth, était en vie. Mieux encore, les deux amoureux s'étaient retrouvés, ou ne s'étaient jamais perdus, et étaient toujours ensemble. Ils avaient réussit à braver les dangers pour rester souder. Il hocha la tête, faisant comprendre à son vieil ami qu'il était heureux de savoir Skye en vie elle aussi. Décidément, le monde c'était véritablement rétréci avec l'apolacypse.

« La façon dont tu dis "propre" décrit parfaitement bien l'état dans lequel je me trouve. L'eau est bonne, mais clairement tu vas sentir la vase et le poisson. »

Il lui sourit à nouveau. Bien que sentir la vase et le poisson ne soit vraiment pas agréable et qu'il donnerait cher pour une douche chaude avec du savon et du shampoing. Oh oui bordel, ça fait rêver ! Mais il ne fallait pas trop en demander dans ce monde en perdition, et trouver cette rivière avait été une chance. Imaginez, devoir se laver à l'eau de mer ou encore dans une eau stagnante trouver derrière un jardin ? Oui hein, ça ne donne pas envie. Souvenez-vous, la prochaine fois que vous tomberez sur de l'eau, que la vase et le poisson vaut mieux que l'eau boueuse à l'odeur de vomit mêlée à la putréfaction. Et que dans ce monde où la nature a reprit ses droits, vous trouverez toujours une rivière quelque part et que ça vaut le coup de puer un peu plus longtemps. Après tout, on ne vous attends pas pour un rendez-vous important.

Heinrich ne voulait pas retenir son ami qui avait besoin de se faire propre pour sa demoiselle, mais passer du temps avec une tête connue lui manquait. Tiraillé par l'envie de rester avec lui et par celle de le laisser tranquille, il n'y vint pas par quatre chemin, et demanda directement à l'intéressé.

« Je vais peut-être te laisser te laver tranquillement. Mais ça me ferait bien plaisir de passer un salut à Skye, t'en pense quoi ? Sauf si vous avez des choses prévues. T'inquiètes, je me tourne le temps que tu te frotte. »

Débarquer comme un cheveux sur la soupe n'était pas trop le genre d'Heinrich.

Un SPA... A ce mot, Heinrich eu un moment d'absence. Il était allé une fois dans un SPA et il se rendit compte qu'il ne se souvenait même plus de la sensation que ça faisait de s'y trouver. Tout comme il se souvint ne plus savoir ce que ça fait de se faire masser. Ou de manger un poulet grillé avec cette petite sauce dont il ignorait les ingrédients mais qui était divine. Avec un petit goût pimenté, très léger. Il se rendit compte qu'il salivait et chassa toutes ces pensées d'un coup de main imaginaire. Tout cela appartenait au passé et ce n'était pas le moment de se laisser prendre dans le piège des regrets. La vie avait changée. Le monde n'était plus ce qu'il avait été et y repenser était inutile. Sauf si vous vouliez vous foutre un coup de cafard impossible à faire passer.

« Et même pas de jacuzzi non plus ! »

S'exclama t-il. Il se surprit a avoir un petit rire comme s'il venait de dire un truc hilarant. Alors que c'était juste terriblement triste. Il se rendit compte qu'ils avaient à présent des vies de pauvres. De personnes sans emplois, voués à errer. Et sans personne pour leur donner de petites pièces. Mais au fond, les petites pièces ne leur aurait servit à rien. Peut-être, finalement, qu'ils n'étaient pas tant à plaindre que ça. Personne ne jugeait personne pour son statut social, et c'était un sentiment nouveau et agréable. Heinrich pris note de ce que son compagnon lui dit et décida de le laisser.

« Super, je vais aller la rejoindre et on va t'attendre. Je serais ravie de rester un peu avec vous mais je ne vous embêterais pas longtemps. »

Parce que tu est devenu un putain de solitaire mon gars. La perspective de rester quelques heures, voire une nuit avec Seth et Skye l'enchantait. Vraiment. Mais il s'était conditionné à être seul et l'idée de rester trop longtemps avec eux le gênait pour une raison qui lui échappait. Bordel, ce sont tes amis. D'une autre vie, certes, mais tu adorais partager des repas avec eux. Alors qu'est-ce qui a changé ? Le monde est parti en couille, voilà ce qui as changé. Rien n'est plus comme avant, les gens ont changés. J'ai changé... Il lança un sourire à son ami, camouflant toutes ces questions qui le torturait stupidement.

« Je vais te laisser du coup, on va pas faire trop attendre la dame. A toute Seth, profite bien de ton bain quatre étoiles. »

Il lui donna une petite tape sur l'épaule en gloussant et parti en direction du Sud avec ses affaires sur le dos.

Il trouva rapidement le campement et s'arrêta lorsqu'il vit Skye occupée à ses affaires. Il eu la sensation étrange de pénétrer dans une maison sans avoir frapper s'il faisait un pas de plus. Il resta donc immobile, bêtement, attendant que la jeune femme le voit et le laisser pénétrer entre leurs quatre murs invisibles.

Skye ne tarda pas à remarquer la présence d'Heinrich. Il avait su se faire plus discret à une époque. Il nota dans un coin de son esprit qu'il ferait attention dans d'autres circonstances. Car si cela ne le dérangeait pas que Skye détecte sa présence (c'était aussi un peu ce qu'il voulait à la base), c'était déjà plus embêtant face à des inconnus ou des rôdeurs. Malgré la présence brève du couteau -ce qui était justifié- Heinrich adressa un sourire à la jeune femme lorsqu'elle le reconnu. Elle s'avança vers lui tout en gardant une distance secure. Heinrich aurait pu mal le prendre, mais c'était un homme très réfléchit et prudent à son tour, et il apprécia presque que Skye reste prudente face à lui, le temps d'être sûre qu'il n'ai pas changé -ou pas trop (il se dit, d'ailleurs, qu'il devait rester prudent lui aussi). Il apprécia cet instinct qui avait dû lui sauver la vie à mainte reprises et qui faisait qu'elle se dressait face à lui aujourd'hui. C'était d'ailleurs très étrange. Que ce soit Seth un peu plus tôt, ou Skye maintenant, l'allemand se retrouvait face à des amis qu'il avait connu avant que tout ce produise. Combien de pourçentage de chance y avait-il que 1. Seth soit en vie, 2. Skye soit en vie, 3. lui-même soit en vie et enfin -et non le moins important- 4. qu'ils se croisent au milieu d'une forêt dans un pays si immense qui était le leur. Combien de chance minime il y avait-il pour qu'ils se retrouvent à nouveau tous les trois au même endroit. Vraiment très peu. Sur ce coup là, tous les trois avaient une chance innouïe.

« Oui je l'ai croisé, il m'a indiqué votre camp. Il lui sourit à nouveau et enchaîna. Je veux bien rester un peu avec vous ce soir, mais je ne resterais pas, je ne veux pas vous embêter. »

Et puis tu sais, je ne suis plus très social, je suis mieux tout seul dans mon coin. Un petit silence s'installa pendant lequel Heinrich fixait Skye et une réalité complètement loufoque vint lui traverser l'esprit. Aucun d'eux ne parût franchement surpris de voir l'autre. Bon, Heinrich avait été prévenu par Seth, alors forcément il s'attendait à la voir. Mais Skye donnait l'air d'avoir croisé Heinrich la semaine dernière. Le monde dans lequel nous vivons est tellement étrange et irréel qu'on ne se rend plus compte de rien. Au fond, nous sommes tous un peu déconnectés. C'est pour ça que Skye n'a pas tant réagit. J'aurais pu croiser son cadavre que je me serais simplement dit « oh... dommage »... C'était ça la réalité à présent, l'impression d'être dans un rêve immense où rien n'est censés, pas même notre comportement.

À la première remarque de Skye, le sourire qu'affichait le visage amical d'Heinrich s'effaça et il baissa un moment les yeux, faisant mentalement l'inventaire de ce qu'il possédait dans son sac à dos. Il s'assied, et quand Skye le rejoignit il retira son sac de son dos et le posa à ses pieds. Il entreprit de l'ouvrir mais ne découvrit pas grand chose question vivres. Il sortit néanmoins une vieille boite de haricot périmé qu'il avait trouvé il ne savait même plus quand, et encore moins où.

« Tiens ! Il est hors de question que je pique dans vos réserves sans participer un peu. Ils sont périmés, mais j'ai mangé une de ces boites il n'y a pas longtemps, ça a été. »

Il lui sourit et lui tendit la boite. Ce n'était pas négociable, il tenait à participer au repas. Il n'y avait pas de raison qu'il profite des provisions des autres et économise ainsi les siennes. Il n'était pas comme ça. Et puis il se décida ensuite de répondre à la question de Skye. Elle lui aurait juste demandé comment il allait, il aurait pu dire qu'aujourd'hui ça allait. Mais « depuis le temps » on ne pouvait pas dire qu'Heinrich avait la grande forme. Certes, depuis le temps il s'était habitué à cette « nouvelle » vie (qui, finalement, devenait habituelle, et non nouvelle) mais il fallait bien l'avouer, il n'était plus le Heinrich que Skye avait connu dans le monde d'avant. Il était toujours l'homme serviable et sympathique qu'il avait été, mais une part plus sombre et solitaire c'était imposée en lui. Il regarda un instant Skye qui attendait sa réponse et décida de jouer le mieux possible au mec pas trop cabossé. Parce qu'il ne voulait pas faire peur à la femme à côté de lui et qu'il ne voulait pas non plus lui faire de la peine.

« Oh tu sais, ça va comme dans un monde infesté par la mort. Il émit un léger rire. Et toi ? Je suis content de voir que vous êtes en vie avec Seth. »

Il lui sourit à nouveau. Oh ça oui il était content, savoir ses amis vivants était toujours une idée réconfortante, mais avoir la chance de les revoir, ça c'était la chose la plus précieuse de toutes.