Décembre 2016.
«Will… Le bébé… »Je sens la panique m’envahir. Je prends une grande inspiration et rejoins Riley dans la pièce d’à côté. Elle est allongée sur le lit double et se tient le ventre à deux mains. Le livre qu’elle lisait traine sur l’oreiller et la vision du sang qui tache son pantalon me fait frémir. Je savais que ça risquait d’arriver. Nous avions voyagés pendant plusieurs jours sans vraiment arrêter. Elle était épuisée mais on ne prend pas une pause quand on veut lorsqu’on est entouré de millier de dangers. Je savais que c’était trop risqué, que nous aurions du prendre des précautions. Et voila que le pire arriva.
« Riley… »« Ta gueule Ashby ! J’ai pas envie de t’entendre dire que t’avais raison ! »Je la fixe d’un regard noir. Riley est le genre de fille à être chiante à tout instant, même celui la. À ma défense, je n’avais pas eu l’intention de lui rappeler à quel point sa situation était précaire. Elle le savait déjà. Il fallait nous concentrer sur elle maintenant. Le fœtus n’avait pas survécu. Elle continuait de l’appeler le bébé mais je ne l’avais jamais suivi sur cette appellation. Elle n’avait pas passé le cap du deux mois. C’était désolant, mais je me disais en mon for intérieur que c’était probablement mieux ainsi. Je ne répétais rien de cela à voix haute, sachant que je me ferais vilipender par Riley. Mais comment un poupon pourrait survivre dans un tel environnement ? Avec le rythme de vie que nous menions ? C’était loin d’être le bon moment. Lorsqu’elle m’avait apprit qu’elle était enceinte, je m’étais tout de suite demandé ce que nous allions devoir faire. On ne peut pas être sur la route constamment avec un bébé sur les bras. Je m’étais d’abord dit que c’était une blague cruelle et Riley avait d’abord pensé comme moi. Puis après quelques semaines elle disait complètement le contraire. C’était horrible ce qui lui était arrivé. J’aurais préféré que rien de cela ne lui arrive, mais c’était mieux ainsi.
« On doit repartir dès demain. On a presque plus d’anti douleur et j’ai pas réussis à trouver de nourriture dans les environs. »« On pourrait pas attendre encore un peu… » Je savais qu’elle souffrait et qu’elle ne voulait pas me l’avouer. Autant physiquement que mentalement. Elle ne parlait presque plus de l’enfant qu’elle avait perdue il y a presqu’une semaine de cela. Elle ne parlait que de survivants que nous avions rencontrés et des lieux visités. Et comme je suis loin d’être le meilleur psychologue en ville, je me taisais également sur le sujet, me disant que c’était encore trop à vif pour que nous ayons une discussion.
« Demain, à l’aube. Pas plus tard. » C’était ma décision finale.
Décembre 2012
Je suis assis au comptoir du casse croute, un journal ouvert devant moi. Je ricane en regardant les bandes dessinées et je vois Elena m’approcher du coin de l’œil. Elle s’arrête devant moi et sans même me sourire me dit :
« Cheeseburger avec frites et un coke ? »« Tu me connais beaucoup trop bien. »Que je lui réponds avant de retourner à mon journal. Elena est ma sœur de 5 ans ma benjamine. Elle travaille au casse croute pour payer ses études universitaires. Et… elle connait ma commande par cœur. C’est la seule chose que je mange ici. Et c’est la seule chose que je mangerais constamment. Mais il faut de la variété dans l’alimentation, c’est ce que ma mère me répète depuis que j’ai 12 ans.
« Merde Ashby ! T’as encore trainé tes bottes crasseuses dans le resto ! »Je n’ai même pas besoin de me retourner pour savoir qui vient de m’invectiver. Je lève lentement le regard de mon journal une fois de plus pour regarder Riley qui passe en coup de feu derrière moi, un plateau dans les mains. Riley est la meilleure amie de ma sœur, c’est elle qui a permis à Elena d’avoir un job au casse croute. Elles vont toutes les deux à l’université, sauf que je peux dire sans gêne que Riley ne met pas vraiment d’effort à la tâche. Je ne réponds pas au commentaire de la jeune femme sur mes bottes sales et continue ma lecture. Il m’arrive souvent d’arrêter manger au casse croute en revenant du travail. Et comme je suis souvent au garage pour réparer la machinerie, je suis loin d’être un exemple de propreté. Comme si j’avais le temps de faire un tour chez moi me nettoyer avant d’aller manger. Riley s’arrête en repassant derrière moi, me met une main sur l’épaule et me dit à voix basse.
« Tu passeras ce soir si t’as le temps. »Je savais que j’oubliais un détail. Elle n’est pas ma copine, que ce soit officiellement ou officieusement. Disons que… ça clique physiquement ? Ouais c’est ça. Personne n’est au courant, pas même Elena. Et parlant d’Elena.
« Mais lâche moi saleté !! »Je lève les yeux de mon papier et fronce les sourcils. Il se passe quoi en cuisine ? Est-ce qu’elle est en train de se battre avec la friteuse ? Je jette un coup d’œil par la porte reliant la cuisine au resto et la vois, retenant quelqu’un de ses bras, essayant de le repousser. Mais il n’y a pas qu’un assaillant, j’en compte au moins 5 là-dedans. Je me lève de mon tabouret et le journal tombe au sol, s’éparpillant sur le plancher. Je pose les mains à plat sur le comptoir.
« Elena ?! »Elle hurle. La personne ou plutôt, la chose vient d’enfoncer ses mâchoires dans son cou. J’ai l’impression de regarder un film. C’est terrifiant et dégoutant. Je ne sais pas comment réagir mais mon premier réflexe est de prendre un élan pour sauter de l’autre côté du comptoir. Il faut que je les arrête. L’un d’entre eux est en train de tuer ma sœur, de lui arracher le cou. Elle hurle encore. J’ai le cœur qui bat à deux milles à l’heure et c’est la panique dans le casse croute. Je m’apprête à sauter quand deux mains s’appuient fermement sur mes épaules.
« Il est trop tard Will ! Vient vite ! »Riley a toujours eu un sang froid qui nous a sauvés la vie à plusieurs reprises. J’agis souvent par impulsion et elle a toujours réussis à me faire reprendre mes esprits. Mais je me souviens avoir grandement hésité. C’est ma sœur quand même. Je ne peux pas la laisser se faire dévorer vivante. Et Riley d’un autre côté qui me cri de la suivre. Je finis par écouter ma raison et me retourne non pas sans jeter un dernier regard derrière moi. C’est cette dernière vision qui m’obsède encore aujourd’hui. Celle de ma sœur, sans vie, qui se fait dévorer par un groupe de rôdeur. La mort la plus atroce qu’on peut vivre. La sortie du casse croute est bouché par les clients qui ont décidés de tous quitter en même temps. Je fais signe à Riley de se placer derrière moi et je pousse les gens paniqués qui se trouvent dans mon chemin. En quelques secondes nous nous retrouvons dehors et je me rends compte que c’est la même terreur qui règne à l’extérieur. Le chaos. Je pointe mon pickup du doigt pour que Riley comprenne où je voulais en venir et elle se met à courir à côté de moi. Une fois dans le véhicule, je démarre au quart de tour et roule sur l’accotement pour réussir à sortir du stationnement. Connaissant les environs, j’opte pour la route menant au garage que moi et mon père possédons. Nous sommes associés dans une entreprise forestière et je sais que le garage est l’endroit le plus sécuritaire où nous pouvons nous trouver présentement. Du moins c’est ce que j’espère.
2015
« Je te l’avais dis que c’était pas sécuritaire. Y’a aucun endroit de sécuritaire dans ce foutu pays. Faut faire confiance à personne. »Riley avait le regard vide et me suivait depuis tout à l’heure sans dire un mot. Je l’avais écouté et j’avais accepté pour la première fois de rejoindre un endroit sécurisé. La zone 51. Riley avait été persuadé que c’était parfait, qu’il ne nous arriverait rien et qu’on n’aurait plus besoin de voyager. Et bien devinez quoi ? C’était faux, encore une fois. Rien ne dure à notre époque et on ne peut s’arrêter nulle part sans qu’un danger ne nous saute à la gorge. Quelle idée de merde aussi de s’arrêter dans un endroit où vivait un groupe de survivants. Il n’y avait plus personne de sain d’esprit aujourd’hui. J’essayais de garder mes idées claires à travers toute cette frénésie mais c’était de plus en plus difficile.
« On n’arrêtera plus jamais nulle part. Les gens sont tous cinglés et détruisent toujours tout derrière eux. »« Tu vas la fermer deux minutes. Tu vas attirer les rôdeurs sur nous si tu continues de chialer comme ça.
»Je m’apprête à répliquer quand je sens ses doigts s’entremêler entre les miens. Je sers ma main autour de la sienne et ravale ma réplique colérique. Nous continuâmes de marcher dans la forêt sans dire un mot pendant plusieurs heures, espérant seulement être suffisamment loin de la zone pour ne pas subir de dommages collatéraux. Nous n’avions pas été blessés dans cette explosion, mais nous avions perdus des ressources à l’intérieur de la zone. C’était presque comme repartir de 0. Nous n’avions suivi aucun groupe, ayant décidé de recommencer notre périple seuls. C’était la manière la plus sûre pour ne pas se faire voler ou tuer pendant notre sommeil. Je savais que Riley aurait préféré rejoindre un groupe ou un campement mais je préférais le contraire. Elle croyait être plus en sécurité en rejoignant d’autres survivants et de mon côté, je lui répétais constamment qu’on ne pouvait plus avoir confiance en personne. Et l’événement que nous venions de vivre me réconfortais dans mes croyances. Même si j’aurais préféré que ce soit le contraire.
Avril 2017
« Ils sont censés faire quoi sur cette plage ? »« J’en ai aucune idée. »De la forêt, nous regardions un campement établi sur la plage. Il y avait plusieurs tentes et l’endroit grouillait de militaire. J’essayais de comprendre ce qui se passait et pourquoi ils étaient là. Riley tourna la tête dans ma direction et je savais déjà ce qu’elle allait me demander.
« On pourrait aller voir non ? Qu’est-ce qu’on risquerait à aller demander ? »« Pas question. Qu’est-ce qui nous dit qu’ils ne nous tireront pas à vu ? »Elle soutint mon regard quelques secondes, semblant réellement réfléchir à ce que je venais de lui dire. Puis l’étincelle revint dans ses yeux et je su que j’allais passer un mauvais quart d’heure. Je commençais déjà à m’éloigner de la plage, retournant dans la forêt sans jeter un regard derrière moi. Riley me suivait de près, allongeant ses pas pour me rattraper.
« Il serait temps qu’on arrête de courir comme des évadés de prison. J’en ai marre de dormir que d’un œil la nuit, pas toi ? »« Oui, j’en ai marre. Mais je me souviens de ce qui est arrivé la dernière fois qu’on s’est posé quelque part. »L’explosion et les gens qui avaient péris. Je ne voulais pas revivre la même histoire en boucle.
« Et moi je me souviens de ce qui est arrivé quand j’ai perdu notre bébé et que nous n’avions aucune aide médicale pour nous aider. »Je m’arrête subitement, blessé par cette dernière remarque. Je fronce les sourcils et la fixe du regard. Est-elle allée trop loin en me rappelant ce drame que nous avons vécus pour me faire culpabiliser ? Parce que c’est exactement ce qu’elle vient de faire. Elle baisse les yeux et tente d’essuyer subtilement une larme qui lui coule sur la joue. Elle n’avait pas reparlé de sa fausse couche depuis des mois. Pourquoi maintenant ? Soudainement gêné par mon attitude, je m’approche d’elle et la prend dans mes bras. Elle pose la tête contre mon épaule.
« Excuse-moi. » Que je l’entends chuchoter.
« T’as pas à t’excuser. C’est à moi de m’excuser pour être chiant. »« Je suis juste fatigué. »« Écoute. Si on décide de rejoindre un campement, il faut y penser sérieusement avant. Et analyser toutes les possibilités. On peut pas faire ça sur un coup de tête. »Je la sens hocher la tête. J’ai pas du tout envie de rejoindre un groupe. Mais j’oublie parfois que je ne suis pas seul dans cette escapade. On verra bien ce que le temps nous apportera.
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