Encore une journée de passer dans cette nouvelle prison à ciel ouvert. Et encore une fois, Ryan quittait le boulot après s’être ennuyée une bonne partie de l’après-midi. Même si la texane faisait souvent le clown en comparant Ellia à une colonie de vacances, il fallait bien avouer qu’elle se demander depuis quelques jours comment un endroit pareil pouvait réellement tenir debout. Et l’ironie de la chose étant quand même que ce soit un homme noir qui soit à la tête d’un campement où la ségrégation était omniprésente…

Quoi qu’il en soit, elle était en train de traverser la place publique du camp, ayant l’intention de rejoindre sa femme, quand le visage d’un homme qu’elle venait de croiser attira son attention. Fronçant légèrement les sourcils, elle se retourna alors pour se permettre de fixer de nouveau l’homme en question. Il devait avoir tout juste la trentaine à tout casser. Brun, le teint légèrement matte, Ryan était sûre de l’avoir déjà vu quelque part. Mais où ?

- Non mais je rêve ?

Murmura-t-elle quand elle finit par le reconnaître. Ou du moins qu’elle crut le reconnaître. Car pour être honnête, elle n’avait plus la tête de cet homme depuis le début de l’apocalypse. Et les gens changent en 6 ans. Surtout dans des conditions pareilles. Avec son aplomb naturel, Ryan se mit pourtant à parcourir les quelques mètres qui la séparaient du jeune homme pour aller lui demander confirmation.

- Tucker ? Saïd Tucker ? Le joueur des Bruins ?

Oui parce que même si Ryan restait une éternelle supportrice des Stars de Dallas, elle avait quand même fait ses études à côté de Boston. Si elle en avait profité pour aller régulièrement voir les Bruins jouer à ce moment-là, elle avait continué à garder un oeil sur l’équipe une fois de retour au Texas. Bah oui que voulez-vous ? C’est ça quand on aime le hockey. Et même une apocalypse ne vous empêche pas de continuer à aimer ce sport. Et à potentiellement reconnaitre un joueur pro aussi mais bon, ceci reste un détail.

Le soleil était entrain de se coucher, la dernière heure de cours allait donc sonner... ENFIN. Saïd a beau être le prof de la jeunesse d'Elia, et aimer leur enseigner tout ce qu'il sait, à l'aide parfois de manuels, de temps en temps, il apprécie regagner tranquillement un coin de nature un peu à l'écart et tranquille. Généralement, c'est vers le lac qu'il se dirige, il faut sortir du camp, mais ça vaut le coup. Il bute deux trois rôdeurs sur son chemin - quoi qu'ils semblent plus nombreux dernièrement - et gagne la rive, les galets, la rivière chantante. Cette eau glacée qui offre une véritable piste de danse pour quiconque oserait mettre le pied dessus, à cette époque hivernale de l'année. Les températures avoisinaient les -30. Mais Saïd était bien emmitouflé dans ses multiples couches de vêtements, protégé des morsures mortelles du froid. Cependant, il était à peine arrivé à la clôture qui borde l'ouest du village qu'il entendit quelqu'un l'appeler. " Tucker ? Saïd Tucker ? Le joueur des Bruins ? " woh... ça faisait une paye qu'on ne l'avait pas interpelé ainsi. Et son nom complet lui paraissait étrange à ses oreilles, comme si, ce n'était plus lui cet homme. Et pourtant. Le basané, interloqué par cet aplomb, et tout de même curieux, se retourna pour faire face à une jeune femme. Assez belle, si on l'imaginait sans sa crasse, et très brune. " C'est moi oui. " avait-il affaire à une fan ? C'est vrai qu'il y a six ans, il signait régulièrement des autographes, des gosses portaient des t-shirt avec le numéros 7, le sien et son nom de famille en lettres capitales dans le dos. Des vagues de souvenirs venaient de surgir du fin fond de son inconscient en à peine quelques secondes, des souvenirs heureux. Mais Saïd les chassa. " Et qui le demande ? Une fan en délire ? " questionne-t-il donc, armé de son fidèle sourire au coin des lèvres, l'humour en étendard, comme toujours. Saïd ne se prenait pas réellement au sérieux. " Si tu aimes le hockey, je te conseille de me suivre, je connais un endroit pas loin d'ici qui y ressemble. " ça faisait un peu le pervers menteur qui essaye d'attirer sa proie à l'écart pour lui faire toute sorte de choses ignobles. Et pourtant, l'arabe est on ne peut plus honnête. N'attendant pas sa réponse, il escalada la barrière et passa de l'autre côté. Le lac n'était qu'à quelques minutes de marches. La dague au poing, le pas agile, il croisa comme prévu, quelques monstres sanguinolents qu'il écarte de gestes habiles et habitués de son chemin. Bataillant efficacement face à leurs gueules immondes et putrides. Les morceaux qui tombaient au sol bougeaient parfois encore... Puis, dans la plus grande des sérénité, il alla se poser devant le lac gelé. Celui-ci semblait rayonner sous les lumières sélénites. Le soleil s'est couché, les étoiles prennent leurs aises... Et les loups hurlent à la nuit. Saïd se sent bien.

Ryan et son aplomb naturel avaient encore frappé. La texane n’était même pas totalement sûre d’elle quand elle avait interpelé le jeune homme et elles e mit d’ailleurs à douter un peu quand elle vit l’expression de surprise sur le visage du brun. Mais finalement, la réponse positive de Saïd lui tira presque un soupir de soulagement. Non, elle ne s’était pas trompée et avait bien face à elle l’un des joueurs les plus prometteurs de la LAH ! Enfin, avant que la Ligue ne disparaisse en même temps que tout le reste de la civilisation mais cela restait une autre histoire. Ryan laissa échapper un léger rire quand elle entendit Tucker lui demander si elle était une fan en délire.

- Fan, j’avoue. En délire, non. Il aurait fallu que vous signer chez les Stars de Dallas pour ça. Mais bon, j’avais rien contre les Bruins non plus.

Bon sang, depuis combien de temps n’avait-elle pas parler de hockey comme ça ? Bah, la réponse était simple : depuis que le monde s’était écroulé. Et pourtant, face au joueur professionnel, cela devenait presque naturel d’en parler, malgré la situation… Quoi qu’il en soit, le jeune homme finit par lui proposer de le suivre, disant connaître un endroit sympa qui ressemble à une patinoire. Oh, vraiment ? Ryan prend ! Enfin, bien sûr, une petite voix dans sa tête se dit que ça sonne quand même un peu bizarre comme proposition, limite même dangereuse mais… Hé ! Qu’est-ce qui n’est pas dangereux dans ce nouveau monde ? Et puis au pire, elle sait se défendre maintenant. Merci Leïla pour ça.

- Pourquoi pas ?

Finit simplement par dire la texane avant de commencer à suivre Saïd Tucker, LE Saïd Tucker, qui ne l’avait pas vraiment attendu pour commencer à partir d’ailleurs. Assez surprise de le voir passer aussi facilement à l’extérieur du campement, elle ne tarda pas à l’imiter pour passer par-dessus la barrière tout en notant mentalement l’emplacement de celle-ci. Ça peut clairement lui servir pour plus tard.

Une fois de l’autre côté, il faut avouer que Ryan se sentit un peu désemparée quelques secondes. Elle venait de se rendre compte qu’elle n’avait aucune arme sur elle pour se protéger, s’étant faite dépouillée lors de son arrivée à Elias. Mais il en faut plus pour dissuader la texane qui finit par attraper une grosse pierre dans sa main au cas où. Ça peut toujours servir si jamais. Et puis elle avait pu voir le reflet de la lumière sur la dague de Saïd donc au final, ça devrait le faire. La nuit commençait à tomber et ils marchèrent en silence jusqu’à un lac un peu plus loin qui était gelé. Rien d’étonnant vu les températures. Mais il faut avouer que malgré tout, Ryan se sentit bien en voyant ce paysage.

- J’avoue que c’est superbe.

Lâcha-t-elle, plus pour elle-même que pour l’ancien joueur professionnel. Elle tourna pourtant son regard sur lui alors qu’il venait de se poser devant le lac.

- Tu gardes vraiment ce petit coin de paradis juste pour toi ? plaisanta-t-elle avant de s’avancer jusqu’à arriver à côté de lui. Et maintenant ? Tu vas me dire que t’as aussi réussi à planquer deux bâtons de hockey et un palet dans le coin ?... Je te préviens, si tu fais, je hurle au scandale et au complot !

Continua la texane, toujours avec le sourire et son ton plaisantin habituel. Mais c’était vrai que s’il avait réussi cet exploit, elle se serait sentie vraiment jalouse pour le coup.

Le hockey sur glace, au-delà d'un métier, c'était une vraie passion chez toi. " Les Stars de Dallas ? Allons, ne commençons pas dans les insultes. On était bien meilleurs qu'eux. J'aurais jamais vendu mon âme au diable pour aller chez eux. " ça te faisait rire parce que les réminiscences de ces conflits n'avaient plus cours aujourd'hui. C'était des guerres d'équipe, la compétition. Les championnats. La coupe de Calder. Tous ces souvenirs pourraient être heureux s'ils n'étaient pas entâchés par l'envahisseur zombiesque.

Vous vous échappez, l'un après l'autre, de cette prison dorée. Depuis quelques jours tu as récupéré dans la plus grande clandestinité une arme, ta dague. C'est tout de même bien plus sécurisant de la détenir dans ton poing. Plutôt qu'elle soit perdue dans un ramassis d'armes de seconde zone tout juste bonnes à couper des saucisses. Et surtout, tu t'es habitué toutes ces années à ce qu'elle soit l'extension de ton bras. Alors, forcément, la retrouver te procurait un intense sentiment de satisfaction.

Une fois dans les bois, les deux pieds dans les fourrés, tu t'aventures sur ces chemins éteints par la nuit, les créatures grognent et rôdent, bien sûr, mais ce n'est pas si effrayant. C'est devenu la normalité, le quotidien. Et si Ellia transforme ta vision du monde, elle n'occulte pas pour autant ta conscience des choses et leur réalité. Quoiqu'on en dise, les zombies sont toujours là.

La supporter des stars de Dallas te suit, tu l'entends  à son pas léger qui fait bruisser la neige. En quelques minutes à peine vous parvenez au lac, solidement gelé d'un bord à l'autre en cette saison glaciale. J’avoue que c’est superbe. C'est au-delà de superbe, c'est miraculeux. Et paisible... Et presque... Paradisiaque. Si tu devais mourir quelque part, ce serait bien que ce soit ici. Tu gardes vraiment ce petit coin de paradis juste pour toi ? Un sourire éclaire tes lèvres, et celles-ci se craquellent légèrement, par le manque d'habitude ou le froid, tu l'ignores, alors que tes yeux caramel n'ont pas quitté l'horizon. " ça ne restera pas longtemps secret de toute manière. " les excursions vont se multiplier au fil des semaines et des mois, et un jour ou l'autre quelqu'un d'autre tombera dessus. Mais pour l'instant, il te semble que personne ne soit au courant. C'est une véritable réserve naturelle d'eau à proximité. Alors d'un point de vue purement pratique, cet endroit est un trésor absolu. Tu rives tes yeux amusés dans ceux dans la survivante. " Mais sinon, j'ai déjà emmené mon fils ici. Il n'a pas ton goût pour la glace malheureusement. "Gale préfère marcher dans les bois, ou gravir des rochers. C'est ton p'tit macaque.

Et maintenant ? Tu vas me dire que t’as aussi réussi à planquer deux bâtons de hockey et un palet dans le coin ?... Je te préviens, si tu fais, je hurle au scandale et au complot ! Faut le reconnaître, cette survivante est amusante. Ton rire résonne dans la nuit noire. " Eh non... Mais ça ne nous empêche pas de glisser... " rétorques-tu avec un sourire malicieux aux lèvres, et une envie palpable de mettre en pratique l'idée. Tu n'as pas encore essayé de poser le pied sur la glace, alors tu ne sais pas, dans le fond, si elle est assez solide pour supporter le poids d'un homme, mais bon... Qui ne tente rien n'a rien, n'est-ce pas ?

D'un bond tu te lèves du sol, puis tu t'avances un peu, pour aller poser un premier pied sur la surface lisse... avec tes chaussures de randonnées usées qui ne sont absolument pas faites pour de tels enfantillages. Et puis, bah, ça te semble relativement compact, alors comme un gamin, tu t'élances sur la piste, tu trouves ton équilibres aisément, tu décris un cercle assez bien fait sur le givre qui te ramène à deux mètres de la jeune femme. " Qui a dit qu'on avait besoin de patins pour bien glisser ? Allez, viens, tente. " proposes-tu avec un sourire encourageant, et de pure gamin. Le temps de quelques instants tu renouais avec ta passion, et avec l'ancien toi. C'est temporaire bien sûr, mais parfois ça fait du bien. De tout oublier. Comme si vous n'aviez que ça à faire... Sans doute que s'il y avait plus de lumière, tu saurais qu'à 10 centimètres de couche de glace, se trouve un véritable cimetière sous tes pieds. Des morts vivants qui sentent cette agitation, et qui commencent à taper, gratter, mordre, pour refaire surface et goûter à la chair humaine. Mais pour l'instant la glace est trop dur, elle résiste.

Bien sûr, il ne fallut pas longtemps pour que les pseudos rivalités entre différentes équipes de hockey refassent naturellement surface dans la conversation. Mais plus par taquinerie qu’autre chose, cela se voyait facilement au ton et au sourire de Saïd. Alors forcément, Ryan se retrouva obliger de répondre de la même façon à cette pseudo attaque.

- Heeeey ! Attention à ce que vous dites jeune homme ! On n’insulte pas des texans comme ça sans conséquences ! Et en plus, même si vous étiez bon, vous auriez eu de la chance qu’ils vous proposent un contrat chez eux !

Son sourire amusé montrait clairement qu’elle disait ça juste pour continuer les taquineries. Surtout que les deux équipes évoluaient chacune dans une division différente, géographie oblige.

- Surtout que je vous l’ai dit ! J’ai rien contre les Bruins. J’allais même les voir jouer régulièrement quand je faisais mes études à Boston.

Ajouta rapidement Ryan, toujours avec un sourire aux lèvres. Bon, il était clair que cela était arrivé bien avant que Saïd n’intègre l’équipe des Bruins. Ah, ça ne nous rajeunissait pas tout ça.

Les deux passionnés de hockey finirent par sortir du camp d’Ellia. La texane suivit en silence Saïd en dehors, regrettant quand même de ne pas avoir d’armes sur elle. Mais une fois arrivée là où le joueur pro l’avait guidé, elle ne regrettait absolument rien. L’endroit était juste magique et faisait presque oublié tout le bordel autour d’eux depuis 6 ans. Mais le jeune homme la ramena sur terre quand même en lui disant que le coin n’allait pas rester secret bien longtemps. Il lui avoua même avoir déjà amener son fils ici, mais que ce dernier n’était pas trop patin à glace.

- Avec un père comme toi ? Pff, fils indigne !

Plaisanta Ryan, avec un grand sourire amusé sur le visage. A croire que malgré une apocalypse zombie, certains préjugés restent bien encrés chez les Hommes. Comme le fait par exemple de penser que le fils de Saïd devait le voir comme un héros et vouloir absolument tout faire comme lui, hockey sur glace comprit. Même si d’un autre côté, la texane était bien placée pour savoir que les clichés étaient parfois bien loin de la réalité. Mais ceci était une autre histoire.

Pour se sortir de ses pensées, elle finit par demander à l’ancien joueur des Bruins s’il avait réussit à planquer du matériel de hockey pas loin. Et bien sûr, la réponse fut négative, comme elle le pensait déjà, même si cela eu le mérite de faire rire Saïd. Elle le vit d’ailleurs se relever d’un coup avant d’aller tester la solidité de la glace. Et il ne lui fallut pas longtemps pour se mettre à glisser sur le lac autant que le permettait ses chaussures. Mais malgré ça, on sentait parfaitement l’aisance du jeune homme sur la glace, arrivant à faire un cercle à peu près correct avant d’inviter Ryan à le rejoindre.

- Ok mais je te préviens ! Même avant toute cette merde, ça faisait un moment que j’avais pas remis un patin sur la glace ! Et je sais pas ce que mes godasses valent.

Commença-t-elle à dire, toujours avec le sourire et amusée par la situation. C’est vrai qu’elle avait fini par délaisser un peu la pratique du hockey les quelques années avant tout ce merdier. Par manque de temps en partie, parce qu’elle avait priorisé les moments avec sa femme aussi, leurs emplois du temps étant parfois assez chargées chacune de leur côté. Et c’est vrai que maintenant qu’elle se lançait à son tour sur la glace, elle se rendait compte de combien cette sensation lui avait manqué. Il ne lui fallut pas longtemps à elle aussi pour trouver son équilibre et se déplacer assez facilement.

- Ouais en fait, c’est vraiment comme le vélo. On oublie pas comment faire.

Plaisanta-t-elle en achevant elle aussi un cercle pour se poster aux côtés de Saïd. Mais c’était vrai, malgré les conditions. A croire que ce genre de choses était ancré quelque part en soi. Elle se rappela même quelques instants les paroles de son père, quand elle était adolescente et qu’elle doutait avant un match important. Tu as ça dans le sang. Pourtant, elle avait été la seule de sa famille à y jouer. Mais il faut croire qu’il y avait une part de vrai malgré tout.

- Putain, ça fait du bien… Tu crois qu’on pourrait aménager un peu le coin ? Se faire une patinoire, même si elle est plus petite que l’officielle ?... Enfin, sauf si tu veux garder cet endroit comme ça, bien sûr.

Elle avait demandé ça un peu sans réfléchir et elle s’en était rendu compte avant de laisser une possibilité à Saïd de garder ce petit coin pour lui. Mais bon sang, ce que cela pouvait faire du bien de se vider la tête aussi simplement qu’en renouant avec sa passion. Juste quelques minutes, le temps de quelques glissades sur ce lac, sans se soucier de rien d’autre que de son équilibre.