Encore une journée de plus dans cette ville qui n’avait absolument aucun sens. A force de ne pas être armé, les survivants devaient surement commencer à ne plus savoir manier des armes et certains devaient même venir à oublier les réelles menaces extérieures.  Il avait déjà vécu cela dans un camp avant d’atterrir ici. A force de ne plus avoir de contacts avec l’extérieur en pensant que tout va bien, et que le groupe est intouchable les gens perdent la notion de menace et se relâchent. C’est la dernière chose à faire actuellement. Lorsque ce camp en question a explosé, ce fut une hécatombe. Les gens ne savaient plus rien faire par eux même, eux qui étaient tant en sécurité à travers de murs et de belles paroles. Matthew quitte le garage, revenir à ce train de vie avant l’apocalypse ne lui plaisait pas du tout. Qui voudrait revenir à tout cela ?  Si toute la civilisation était partie en fumée, ce n’était certainement pas pour revenir comme avant quelques années plus tard. Plus de lois, plus de policiers, plus de juridiction. Chacun était finalement libre d’aller et venir comme bon lui semblait, et pour le Sanders, c’était hors de question que de perdre cette liberté. En fait, il se sentait un peu comme un Hors la loi à l’époque de la fin du Far West qui tentait d’éviter les nouvelles villes en fuyant vers des endroits plus calmes et opportuns à mener cette vie si libre à laquelle il aspirait.

Il erre dans les ‘’rues’’ de cette ville d’Ellia, scrutant chaque recoin du camp, observant chaque potentielle faille, chaque petite chose qui pourrait faire s’écrouler toute cette ville. Trouver des failles c’était visiblement compliqué ici. A croire qu’ils n’avaient absolument rien laissé au hasard et que tout était orchestré au poil de cul. A regarder les gens, tout cela semble convenir. Est-ce que c’était lui qui débloquait tout seul dans son coin à vouloir absolument voir chuter la hiérarchie, ou alors les gens n’osaient pas prendre les choses en main et du coup continuaient à vivre tout cela comme si de rien n’était ?

Il arrive au poste de sécurité, observant le bâtiment en question, ce truc-là, ce serait probablement le premier à faire tomber si jamais il y avait besoin. Et puis, théoriquement, les armes devaient toutes être dans le poste de sécurité et pas quelque part d’autre. Mais ça il ne pourrait le savoir que grâce à Ezekiel, après tout, c’est lui qui était assigné à la sécurité. Il pourrait très certainement aider à obtenir quelques informations. Juste derrière, l’isoloir, il aimerait vraiment y accéder pour voir comment tout cela était à l’intérieur, voir un peu quel type d’énergumènes pouvaient s’y trouver. C’est vrai ça, est-ce que ces gens étaient ici par ‘’divergences politiques’’ ou parce qu’ils avaient commis une énorme bourde ? Il ne pourrait pas le savoir non plus. Le seul moyen c’est d’y rentrer mais bon, comment être sûr d’en ressortir ?

Sa route le mène derrière la zone de rassemblement, généralement c’est ici qu’il se rend pour s’entrainer un peu et se couper des habitants. En arrivant sur place il souffle un bon coup. Il s’étire lentement, sa jambe lui fait toujours un peu mal, ses côtes semblent se remettre à un bon rythme. Il ne sent presque plus la douleur. Il ne lui reste que sa jambe dans un piteux état désormais. Encore un peu et il sera de nouveau opérationnel à cent pourcent. Il saisit sa canne comme une épée. Ce n’était pas grand-chose, mais il valait mieux savoir se servir d’un bout de bois que de rien du tout. Ça lui laissait déjà un petit quelque chose pour se défendre. C’était déjà ça. Il fait donc quelques mouvements avec cette arme de fortune, le tout le plus discrètement possible afin de ne pas éveiller les soupçons.

Depuis le temps qu'elle bosse (contre son gré) à l'isolement, Anissa sait parfaitement quelle cage (et quel occupant) éviter. Elle est déjà elle-même peu stable mais y'a de sacrés cas là-bas quand même... A côté de certains, elle passerait (presque) pour une sainte. Et puisqu'elle a pu passer pas mal de son temps dans l'isolement et à côté, la jeune femme connaît aussi très bien les alentours. C'est pour cette raison qu'elle sait où aller lorsqu'elle a envie d'être seule. Aujourd'hui, c'est le cas. Son besoin d'être tranquille n'est pas nouveau, alors qu'elle est en parallèle quelqu'un de très... Sociable, dirons-nous. Elle aime bien être accompagnée en général... Mais pas tout le temps. Et à Ellia, il est quasi impossible d'être seule plus de quelques minutes, alors elle savoure ce temps qui lui est accordé. Enfin, qu'elle s'accorde à elle-même. Dans les faits, elle devrait être en train de travailler. Mais elle a décidé la veille de prendre un jour de congé. C'est bizarre de pouvoir dire un truc pareil... Même dans sa vie d'avant, elle n'avait pas cela. Ici, les tickets sont gagnés assez aisément et elle en profite. Sans non plus en abuser, histoire de se laisser parfois la possibilité d'un petit truc (ou deux) exceptionnel. C'est toujours plaisant. Et aujourd'hui, elle avait besoin de ces quelques heures. Peu de personnes viennent jusqu'ici. A la fois parce qu'ils ne connaissent pas l'endroit, et en même temps parce que cela ne donne pas très envie, d'aller près de l'isolement. Derrière l'isolement en réalité. C'est la deuxième ou troisième fois qu'Anissa vient s'installer ici, et elle n'a encore croisé personne. Tant mieux. Elle sait d'avance que cela sera de courte durée. Elle n'est pas folle (pas totalement en tout cas), et encore moins stupide.

Cela doit bien faire quarante minutes qu'elle est là, assise dans un coin isolé (sans pour autant être dans une cage comme tant d'autres, notons-le !), lorsqu'un truc inhabituel se produit. Il y a du mouvement là, à quelques mètres de l'endroit où elle s'est tapie dans la semi-pénombre. En veillant à ne pas faire de bruit histoire de ne pas (encore) se faire remarquer, Anissa se penche légèrement en avant. Elle plisse les yeux aussi, et essaye d'observer plus attentivement les alentours. Un homme se tient non loin de là. D'abord très peu mobile, il ne tarde pas à commencer à... Faire quelques mouvements. Comme s'il se battait avec quelqu'un, alors que ce n'est de toute évidence qu'un bout de bois qu'il tient entre ses mains. Ses mouvements sont précis, et Anissa croit bien deviner qu'il est en train de... S'entraîner. Mais qui est-il et que fait-il ? C'est suspect, tout ça. La jeune femme sent (et son instinct la trompe rarement !) qu'un truc est en train de se passer, un truc qui a son importance si elle y prête suffisamment d'attention. Mais elle a aussi très envie de faire connaître aux yeux de son mec sa présence, d'autant que cela lui apportera peut-être plus de réponse. Alors elle se penche encore plus en avant, au point de poser ses coudes sur ses cuisses. « Tiens, tiens, tiens... Que se passe-t-il ici ? », demande-t-elle sur un ton très volontairement ironique. Parce que, comme pourra sans doute le deviner cet homme (ne serait-ce que par le regard qu'elle lui lance alors), elle sait très bien ce qui se passe ici. Peut-être pas totalement, mais assez pour la mettre de bonne humeur.

Il continue longuement à faire ses moulinets, bien souvent dans le vent, mais discrètement il frappe de temps à autre sur l’arbre face à lui. Après tout, donner des coups dans le vent ne lui serait pas vraiment très utile. Il peut sentir sa jambe qui se crispe, qui se raidit, la douleur ne se fait pas attendre avant de parvenir jusqu’à son cerveau. Il grince des dents, serrant si fort qu’il en est presque à s’exploser l’émail. Il décide tout de même de continuer avec sa douleur. S’il devait un jour avoir besoin de se défendre il ne pourrait pas vraiment prendre le temps de mettre sur pause son combat pour mieux se reposer. C’était avant tout ça la philosophie de vie du Sanders. Toujours se dépasser, aller au-delà de ses compétences. Une voix sortie de l’ombre le ramène à la réalité, il cherche la source du bruit jusqu’à apercevoir une femme assise qui visiblement semblait l’observer. Il saisit fermement la canne avant de se tenir à nouveau droit. Si l’apocalypse lui avait appris quelque chose, c’est qu’une balle pouvait régler ce genre de petits soucis de discrétion, et il serait de nouveau seul. En revanche, ce qu’il avait appris de cette ville, c’est que premièrement il lui manquait l’arme pour faire son coup, et secondement il serait abattu comme un chien à la seconde même ou le coup partirait. Au lieu de ça, il fait un signe de tête à la survivante. « Visiblement j’ai l’air de me faire un peu de vent avec mon éventail, non ? » Le cynisme était vraiment sa nouvelle religion depuis qu’il survivait dans les rues.

Il se rapproche de cette femme, sa canne à la main, claquant contre le sol. « Je me doute que tu sais parfaitement ce que je fais ici. Et toi, ça t’arrive souvent d’espionner les honnêtes citoyens de cette ville de merde ? » Léger sourire aux lèvres, il gratte délicatement sa barbe, ne quittant pas la survivante du regard. Il ne savait pas vraiment ce qu’il pouvait lui arriver si quelqu’un de haut placé apprenait ce qu’il était en train de faire ici, mais bon, il pourrait toujours prétexter qu’il souhaite rester en bonne condition physique et que du coup, il s’entraine pour garder la ligne ? Non ? Ok, lui-même savait pertinemment que cette excuse bidon ne duperait personne. Sa respiration est lente, il semble oublier la douleur de sa jambe.

Il ne sait pas vraiment comment réagir à tout ça, ni même quelle attitude choisir. Il ne souhaitait vraiment pas se faire mettre au trou et laisser sa fille toute seule dans ce camp, c’était hors de question. Il croise les bras sur sa poitrine, la survivante ne lui disait vraiment rien, il ne l’avait sûrement jamais croisée ici avant. En même temps, il faut dire qu’il ne quittait très rarement le garage, c’était un peu le seul moyen pour lui de s’évader ailleurs. « Désolé, j’me suis pas présenté. Moi c’est Matthew. T’es dans cette ville depuis combien de temps au juste ? » Après tout, cette rencontre était sûrement le meilleur moyen pour obtenir des infos sur des choses qu’il aurait pu manquer en ville, il ne supportait vraiment pas l’idée de ne rien connaître ici. Ne rien connaître de son lieu d’habitation c’était vraiment la mort assurée selon lui.

Tout est dans l'art et la manière. Anissa l'a appris des meilleurs, elle le sait. Et elle en joue, parce qu'elle se sait particulièrement douée dans ce domaine. Un sourire ironique, presque moqueur gagne donc son visage, alors qu'elle fait savoir à l'autre sa présence. Celui-ci ne met pas longtemps avant de réagir, ses gestes se font moins précis puis carrément inexistants et sa réplique, cinglante, fend l'air. Au lieu de s'en offusquer, Anissa rigole légèrement. La blague est bonne. « Par ces températures c'est ce qu'il nous faudrait tous ! » Il ne fait pas si chaud que cela, en réalité. Mais pour quelqu'un qui vient de Boston (et de Paris avant cela), c'est limite supportable. L'homme se rapproche d'elle, et Anissa peut le détailler avec plus d'attention. Il ne lui semble pas l'avoir déjà vu à Ellia. Si c'était le cas, elle se souviendrait de cette barbe et cette chevelure pour le moins inoubliable. Elle est donc désormais certaine que c'est leur toute première rencontre. De nouveau, la voix de l'homme s'élève entre eux et, pour ne rien changer à ce qui pourrait vite devenir une habitude entre eux, Anissa rit légèrement. Elle a l'impression d'avoir le pouvoir et c'est terriblement grisant pour quelqu'un comme elle. « Les honnêtes citoyens, vraiment ? » Elle ne veut pas partir dans les stéréotypes et compagnie... Mais si elle doit en juger rien que par son allure, elle ne le classe vraiment pas du côté des "honnêtes citoyens". « Mais oui, cela m'arrive. C'est toujours... Très intéressant. » Et profitable mais tout cela, il le découvrira en temps et en heure.

Toujours sans bouger, Anissa ne lâche pas du regard cet homme qui n'a pas non plus l'air de savoir où va les mener cette discussion. Elle le comprend très bien, la jeune femme. Mais elle ne fera rien pour soulager son possible embarras. C'est bien trop grisant. Et elle doit avancer pas à pas, prudemment. Histoire de ne pas trop vite perdre son semblant d'avantage. « Oh je suis là depuis plusieurs mois », répond-elle sobrement, avant de se repencher légèrement en arrière, juste assez pour que son dos touche (de nouveau) le mur derrière elle. Là, c'est bien plus confortable. Et cela ne l'empêche pas de, toujours, le voir. Elle garde un oeil sur lui : avec cette carrure, et cette canne dont il se servait pour s'entraîner (ce n'est toujours pas dit à voix haute mais bien sûr qu'elle sait ce qu'il faisait), il pourrait faire des dégâts. Non pas qu'elle en ait peur cela dit, Anissa n'a jamais été dérangé par le fait d'être blessée et de souffrir. Etrange, elle ? Si peu ! « Moi c'est Anissa », ajoute-t-elle après un petit instant de silence qui ne pourra que leur avoir fait du bien à tous les deux. Cela lui laisse surtout le temps de réfléchir à la suite, à la manière d'amener les choses. « Mais du coup, toi, ça fait combien de temps que tu es là ? Pas assez pour savoir qu'il n'est pas vraiment conseillé d'avoir ce genre de... Pratique à ce point à découvert visiblement... » Est-ce qu'elle le cherche ? Peut-être... Mais alors rien qu'un peu !