Assise sur le fauteuil de son cabinet de fortune, Kate consultait son agenda. Cela pourrait paraitre étrange qu'elle ait encore besoin de ce genre de chose à notre époque mais vous allez vite comprendre à quel point cela était en réalité essentiel. Tout du moins pour elle. Sachez d'abord, qu'avant toute cette merde, environ 4% des Américains, un peu plus de 8 millions de personnes, souffraient de troubles psychologiques. Et le monde tournait encore à peu près rond à ce moment là... Imaginez donc, aujourd'hui, dans ce monde post-apocalyptique, où rien ni personne n'a été épargné, l'étendue des dégâts. C'est simple, si les psychiatres pouvaient encore se faire payer, ils seraient les rois du monde. Le carnet de Kate était presque toujours plein. Entre les troubles de l'humeur, les troubles de la personnalité, les états de stress post traumatique, les souffrances morales, les troubles psychotiques et les addictions diverses et variées, elle en avait du boulot la rouquine. Oh elle ne se plaignait pas, elle était là pour ça, pour aider ceux et celles qui en avaient besoin. Mais elle déplorait tout de même le fait de voir autant de personnes affectées par les dégâts de ce nouveau monde. Elle aussi avait failli sombrer, jusqu'à espérer trouver la mort plus tôt que prévu, alors elle savait de quoi elle parlait. Elle comprenait ses patients et espéraient pouvoir tous les sauver. Bien évidemment les taux de réussite de 100% sont très rares, en général, mais c'est encore plus vrai lorsque l'on parle de psychiatrie. Certains patients, malgré leur volonté, ou malgré les apparences, sont déjà perdus d'avance avant même d'avoir passé le pas de la porte. Les méandres de l'esprit sont complexes et impitoyables. Voilà le dur constat qu'avait dû faire Kate en exerçant à Boston durant plusieurs années. Cependant, elle n'était pas du genre à baisser les bras, même si durant les quatre premières années de survie elle avait choisi ce chemin là... Alors, elle s'était promis que tous ceux qu'elle pourrait aider à Ellia, même ceux qu'elle ne pouvait guérir complètement, elle le ferait. Ne serait-ce que pour les soulager et leur permettre de vivre dans un minimum de décence et d'honneur.

Assise sur le fauteuil de son cabinet de fortune, installé dans une des salles de consultations médicales, lorsqu'elles n'étaient pas occupées, Kate consultait donc son agenda. Il y avait quatre noms sur la page d'aujourd'hui. Le premier, tout en haut de la liste, était celui de Saïd Tucker. Ce nom là, Kathleen le connaissait bien, ce n'était pas la première fois qu'elle recevait ce patient. Il s'agissait même d'un patient qu'elle gardait précieusement à l’œil. Présentement membre des "Acceptables", elle se demandait parfois s'il ne devrait pas être rétrogradé au rang de suspect. Mais une telle décision pouvait avoir de lourdes conséquences. Surtout si elle se trompait. Elle se devait donc de poursuivre la thérapie dans l'espoir d'y voir plus clair, pour lui comme pour elle. Saïd, s'il était ponctuel aujourd'hui, ne devait pas tarder à arriver. Kate s'emparait alors de son précieux carnet de notes, un carnet qui n'avait vraiment pas intérêt à tomber entre de mauvaises mains, et cherchait la partie consacrée à Saïd. Elle relisait alors rapidement ce qu'elle avait écrit sur lui, histoire d'avoir toutes les cartes en mains. Et bien oui, elle a tout de même pas mal de patients et se souvenir de tous les détails pour chacun d'entre eux, c'est tout de même compliqué. D'ailleurs, il n'était pas conseillé pour un psychiatre d'enregistrer ce genre d'informations dans son esprit car cela avait tendance à créer un lien affectif entre le patient et le praticien. Chose absolument déconseillée et même interdite dans la profession. Toujours garder une distance avec chaque patient. Se montrer à l'écoute, attentionnée, concernée, bienveillante, mais ne jamais se montrer amicale, familière, affectée ou avenante. Tout peut si vite basculer avec ce genre de patients.

Saïd Tucker
30 ans
Méfiance accrue
Tendances suicidaires
Instabilité
Esprit volage
Conflit intérieur
Agressivité dormante
A besoin d'un guide, d'un soutien permanent
Capable de faire la différence entre le bien et le mal
Capable de lutter contre ses pulsions mais jusqu'à quand????
Volonté prononcée de s'en sortir
Nourri et motivé par l'espoir
Loin d'être un cas désespéré
Doit travailler la maitrise de soi
A besoin d'une soupape de décompression
Doit trouver une alternative à ses pulsions violentes
Pourquoi pas lui trouver un parrain ou une marraine comme pour les AA

Rien de tout cela n'était forcément vrai. Kate se trompait peut être, sûrement, sur certains points de la personnalité de Saïd. Mais elle écrivait toujours ce qu'elle ressentait et ce, sans filtre. Seul l'avenir, la thérapie et leurs nombreuses entrevues sauraient lui dire si elle avait visé juste ou non. Soudain, quelqu'un cognait à la porte. Elle relevait le nez de ses notes, se réinstallait confortablement dans son fauteuil, croisait les jambes et décapuchonnait son stylo. Face à elle, un vieux fauteuil convertible où ses patients pouvaient s'asseoir, voir même s'allonger s'ils le souhaitaient.

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