Perdu. Il était désespérément, inéluctablement perdu.
Non, pas géographiquement ! Il savait très bien comment retrouver la voiture qui les ramènerait au camp, il aurait même été capable de retrouver la Zone à pieds, même si cela lui aurait prit toute la journée, et peut-être quelques heures après le coucher du soleil. Mais il ne pouvait pas rentrer les mains vides, sans les fournitures qu'on l'avait chargé de retrouver. Ce n'était juste pas possible, même pas envisageable pour lui. Et il était là, sur un énorme tas de déchets, à fouiller sans savoir ce qu'il cherchait. Il se prit la tête entre les mains de façon théâtrale avant de grogner entre ses dents. « Mais quel idiot. Mais quel idiot ! » Il se retint de hurler sa frustration à la face du monde, parce qu'il n'avait pas besoin d'attirer une foule de zombies débiles en plus. Il avait suffisamment de soucis comme ça. « Mais quel idiot, » quel idiot avait-il été de prendre la liste sans la lire ? Sans même y jeter un coup d'oeil ? Il avait été si content d'être assigné à une expédition en extérieur qu'il n'avait pas songé un seul instant qu'on lui demanderait de trouver ces... trucs. Il n'avait pas la moindre idée de ce qu'était la moitié des objets inscrits sur le papier qu'il tenait entre ses doigts. Une soudaine tension dans ses membres se fit ressentir et il sentit la crise arriver à toute vitesse. Il sauta au sol et se mit à courir, sans avoir conscience de la direction qu'il avait prit, ni de la distance qui s'élargissait rapidement entre lui et le point de ralliement.
Et finalement, le cri lui échappa, guttural, bien plus bruyant qu'il ne l'entendit, presqu'animal. La Zone présentait de nombreux avantages. L'un d'eux n'était pas la liberté de mouvement qu'elle offrait au jeune homme, ni l'abandon total à ses pulsions qu'il pouvait embrasser seul avec sa mère et sa tante. Il devait constamment se retenir, être sur ses gardes, guetter les aléas de ses humeurs... Et parfois, il explosait, un peu plus violemment qu'à son habitude. C'était un de ces moments, et même lorsque le souffle lui manqua, il continua à courir aussi vite que ses jambes le lui permettaient. Sans s'arrêter, il tira son sabre du fourreau accroché dans son dos et trancha en deux le premier zombie qu'il croisa. Bientôt, ils furent nombreux autour de lui, le bruit les ayant rameuter, et Lenny put défouler sa rage, découpant méthodiquement ses assaillants dans des bruits de lame cinglants. Il les insultait avec la virtuosité dont sa langue pouvait faire preuve dans ses moments, jusqu'à ce que le flot ininterrompu de ses paroles se tarisse, et le silence se fit, seuls les gémissements des rôdeurs qui continuaient de l'assaillir rompant la mélodie régulière de l'épée du jeune homme. Et sans qu'il s'en rende compte, il se retrouva seul. Il se frotta les yeux pleins de sueurs, d'avoir couru et dansé parmi les morts-vivants. Il se baissa et ramassa la liste, teintée de sang. Un long soupir lui échappa avant qu'il ne se remette à marcher, laissant trainer derrière lui sa lame. Des gouttes de sang jonchaient le chemin qu'il parcourait. Il finit par arriver à un nouveau carrefour et repéra une maison, vers laquelle il se dirigea à pas rapides. Il fallait qu'il trouve ce... détergent ? Il n'avait jamais su distinguer les différents produits qui servaient à faire le ménage ! Il ne savait pas ce qui allait dans la machine à laver, sur les vitres des fenêtres, sur le sol de la salle de bain, ou dans la vaisselle. Il froissa le papier dans son poing et l'enfonça dans la poche de son jean en pénétrant dans la demeure abandonnée.
La première chose qui attira son attention fut un torchon, dont il se servit pour essuyer le sang de son sabre, avant de le remettre dans son fourreau. Il prit ensuite un savon qu'il fourra sans ménagement dans le sac qu'il avait apporté à cet effet, une moue dépitée sur le visage, en marmonnant dans sa barbe : « C'est mieux que rien hein. » Il effectua un petit pas de danse pour se redonner du courage et se mit à fouiller dans les placards. « Cause I've had the time of my liiiife, and I owe it all to youuuu ! » chantonnait-il lorsqu'un bruit lui fit relever la tête. Accroupit, il mit la main sur le manche de son arme fétiche et scruta l'obscurité, tous ses sens à l'affut.

Le bruit se transforma en vacarme quand Lenny put facilement identifier le son d'un chute, suivi d'un cri de douleur. Un sourire lui fendit le visage mais il se retint de rire. Même si l'on pouvait difficilement faire plus comique comme entrée en matière, le maladroit dont il s'agissait pouvait se révéler très dangereux, et il n'était pas prêt à risquer sa vie pour un produit vaisselle ou un fou rire, aussi mérité soit-il. Dans l'encadrement de la porte, se dessina alors la silhouette d'un garçon, qui devait avoir dix-sept, dix-huit ans au maximum. L'ainé put le détailler du regard pendant qu'il prononçait une phrase en très mauvais anglais. Des cheveux bruns en désordre, un visage rond et avenant, une attitude détendue... Le portrait n'allait pas avec ce qui l'entourait. Il y avait dans ce petit homme une tranquillité qui tranchait avec ce à quoi Lenny était désormais habitué à s'attendre, un inconnu sur la défense, aggressif ou apeuré. Jusqu'à ce qu'il pose le regard sur lui et qu'il dévie jusqu'à son sabre précédemmet ensanglanté. Une phrase lui échappa, dans une langue que le survivant ne connaissait pas et ne parvint pas à identifier sur le moment. Au moment où il allait se redresser pour se présenter et tenter d'établir le contact avec l'inconnu, il sentit un mouvement derrière lui et suivit le regard du jeune garçon pour découvrir une fille bien plus âgée que son compagnon. Elle ressemblait déjà plus à une survivante à l'apocalypse, muscles tendus, regard vif. Ses yeux clairs se posèrent un instant sur lui avant qu'elle ne se détende. Lenny fronça les sourcils ; non pas qu'il aime faire peur ou intimider, au contraire, mais il trouvait bizarre que ces deux personnes soient aussi tranquilles. Ils ne semblaient pas même considérer comme une option qu'il soit une menace. Il aurait pu avoir un groupe à quelques mètres de là, près à débarquer ! Il jeta un coup d'oeil autour de lui, et sourit doucement en se rappelant qu'il nageait dans les produits de ménage, ce qui ne devait pas contribuer à le rendre crédible.
Sans attendre de réponse à sa question, la fille repartit, laissant seul le jeune garçon face à Lenny. S'il n'avait pas eu une conscience très limitée des situations potentiellement dangereuses, il aurait à nouveau trouvé cela bizarre, au lieu de quoi il se contenta de se redresser en attendant qu'elle revienne à l'intérieur de la pièce. Il ne savait pas si le garçon comprenait bien l'anglais, et instinctivement, préférait s'adresser à la fille, qui avait l'air d'être responsable de leur petit groupe. Il remit son sabre dans son fourreau et les observa tandis qu'ils découvraient leurs dernières trouvailles ensemble. « Lui c'est Félix. Moi, Alix. » « Euh, Lenny ! » s'exclama le mexicain en se raclant la gorge, peu habitué à ce genre d'interaction. La scène était, de son point de vue, tout à fait surréaliste. Il venait de faire une crise, de tuer plusieurs dizaines de zombie dans un élan de rage, était à la recherche de produits dont il ignorait la nature exacte, et se retrouvait face à un duo, quelque part dans le Nevada, qui ne le traitait absolument pas comme une menace ou un intrus. Avait-il enfin trouvé des gens normaux ? Il s'avança d'un pas vers Alix : « Je... J'suis désolé, je pensais pas que la baraque était habitée. » Il ne voulait pas leur faire peur, il voulait seulement ses détergents. Et ils pouvaient peut-être l'aider, qui sait ! Il sortit la liste de sa poche et la déplia doucement, tentant d'effacer les pliures désordonnées qu'il y avait imprimé en la froissant. Il jeta un coup d'oeil à Félix, lui sourit, mal à l'aise, avant de se tourner à nouveau vers leur ainée. « Je cherche juste... ça. » Il déposa le papier sur la table, à quelques centimètres des légumes qu'elle avait apporté si fièrement pour ne pas qu'ils entrent en contact avec le sang séché des morts-vivants. « Mais, je peux aller chercher ailleurs, » continua-t-il, peu désireux de déranger outre mesure. Il était à vrai dire un peu fatigué de l'éclat qui l'avait prit précédemment et ne désirait pas se battre maintenant, ni en en venant aux mains, ni verbalement en devant se défendre contre eux. S'ils voulaient bien de lui, c'était tant mieux, autrement il espérait, sans trop en douter au vu de leur réaction, qu'ils le laisseraient simplement partir sans plus d'encombres.