Comme à chaque fin de trimestre, Faith rejoignait sa sœur et ses parents qui vivaient eux du côté de San Francisco, à plus de 600 kilomètres d’ici. C’était la règle qui fut établie lorsque la jeune femme prit son envol pour la prestigieuse université d’UCLA. Dorénavant elle ne retrouvait sa famille que durant les vacances mais aujourd’hui il s’agissait d’une occasion particulière : elle allait fêter Noël dans les mœurs, comme tous les ans depuis qu’elle était venue au monde. En ce 21 décembre elle se situait donc dans la salle d’attente à patienter le temps que son avion entre en piste. Elle considérait chaque minute qui défilait en pensant que l’attente commençait à se faire longue. De plus elle n’avait aucun moyen de se divertir à sa disposition. Faith se contenta alors de jeter un coup d’œil curieux à ses voisins. Une petite brune d’une quarantaine d’années était en train de dévorer un bouquin à sa gauche tandis qu’un beau jeune homme d’un âge similaire au sien cette fois, d’une carrure plutôt sportive, écouteurs vissés dans les oreilles, vouait corps et âme à sa musique. On aurait presque pu croire qu’il était possédé, à se balancer sur son siège, ce qui ne manqua pas d’ôter un sourire à la blonde. Devant elle, sa valise flamant rose s’étalait au sol, attendant de prendre place dans la soute de l’avion.
    Soudain une voix typiquement féminine –niaise en prime– s’éleva parmi toute cette cohue. Les hauts parleurs déversaient leur flot d’informations en tout genre sur la vague humaine. Des formalités. Stupides. Inutiles. Jusqu’à ce que les problèmes que rencontrait un certain avion ne soient transmis. « Nous avons perdu tout contact avec les pilotes du vol 3640, déplorait la voix douce et sucrée. Nous pouvons seulement vous dire que l’avion est entré dans la zone d’atterrissage depuis... » Un bruit sourd, assourdissant, interrompit alors la voix nasillarde tandis que des cris se mirent à retentir à travers la pièce. D’abord faiblement puis comme un bourdonnement incessant. Désagréable aux oreilles de Faith qui était interloquée par tout ce boucan soudain et ne comprenait pas ce qui était en train de se dérouler sous ses yeux. Elle le vit alors, le grand oiseau métallique, scié en deux parts égales, couché sur la piste d’atterrissage au milieu des débris. Des pleurs se mêlaient à présent aux hurlements et Faith ne pouvait que rester assise, éberluée devant un tel spectacle. La plupart des personnes s’étaient approchées des vitres mais rapidement les agents de sécurité avaient rétabli l’ordre, ou du moins tentaient d’y parvenir au mieux, empêchant tout accès à l’extérieur. Eh merde... Combien de temps tout ce foutoir allait-il durer ? Elle était censée retrouver sa famille ce soir bordel ! pas rester cloîtrée dans cet aéroport de malheur entourée de tous ces gens psychotiques qui se déchainaient pour la plupart sur le personnel présent. Elle se leva subitement et voulut s’approcher d’un des hommes costauds pour obtenir de plus amples renseignements sur l’incident. Elle remarqua alors qu’un groupe de civils désemparé par la situation avait encerclé l’un d’eux et suivit le mouvement. La jeune femme se moquait bien de ce qu’il se passait dehors, elle voulait à tout prix rejoindre San Francisco ainsi que ses proches et se montrait sincèrement désolée que les passagers de ce vol aient péri dans cet inattendu et terrible crash. Elle n'imaginait pas ce qui se cachait en réalité derrière ce regrettable accident.

    Le temps défilait et nous échappait des mains, nous laissant impuissants face au destin barbare. Voilà quelques minutes déjà que l’immense masse métallique s’était échouée en urgence sur la piste, disloquée en trois morceaux. Des lueurs flamboyantes émergeaient à chaque hublot, l’oiseau déchu tout entier se mettait à se consumer en son cœur alors qu’on ne percevait aucune trace de vie humaine. Aucun survivant à bord de ce vol, semblait-il. Ce spectacle insolite resterait gravé dans les esprits de chacun des témoins de cette horreur, c’est pas tous les jours que l’on assistait à ce genre de désagréments. Les pleurs et hurlements de détresse se faisaient de plus en plus perceptibles, se mêlant désormais à des cris stridents et des supplications douloureuses. Malgré l’ampleur de l’accident, Faith ne comprenait pas pourquoi diable les gens paraissaient si émus. Elle ne pouvait pas comprendre, elle qui n’avait aucun membre de sa famille ni même d’amis coincés et sûrement déjà morts dans l’oiseau en flammes. Elle jeta un coup d’œil circulaire à l’endroit. Une multitude de personnes s’était agglutinée contre les parois vitrées de la salle d’attente, se délectant de l’accident. D’autres se trouvaient effondrés au sol, à pleurer la mort de leurs proches qui devaient certainement avoir pris part au vol. Au centre de la pièce, une bande d’adolescents armés d’appareils photos ainsi que de ce qui s’apparentait le plus à des posters ne dissimulaient pas leur peine non plus. La majorité d’entre eux étaient des filles. Un troupeau de groupies songea la jeune femme qui se perdait peu à peu dans la foule et le vacarme. Alors comme ça il y avait des célébrités parmi les civils décédés...

    La voix niaise et acerbe de tout à l’heure prit à nouveau la parole afin d’instaurer un peu d’ordre au sein de ce chaos puisque les soldats et autres membres de la sécurité n’y parvenaient pas. Faith leva les yeux vers un des haut-parleurs d’où s’échappait l’odieuse voix de la bonne femme. Elle était parfaitement sereine alors qu’en bas c’était la zizanie. Dehors une formation de plusieurs soldats se précipita soigneusement vers les débris de l’engin, sans doute à la recherche de survivants. Finalement la salle d’attente commenca à se vider peu à peu tandis que la blonde observait la scène de loin. Avec stupéfaction elle aperçut alors des silhouettes qui se relevaient parmi les décombres. D’abord seules puis rejointes par deux ou trois autres. Elle n’en croyait pas ses yeux. Soudain un parfait crétin hurla qu’il restait des survivants, suivit par d’autres abrutis et la foule qui avait commencé l’évacuation des lieux rebroussa aussitôt chemin, non sans se montrer bruyante, presque hystérique. Faith leva les yeux au ciel, exaspérée, avant de se concentrer à nouveau sur le miracle qui se produisait de l’autre côté de la vitre. Bientôt une dizaine de rescapés firent leur apparition à travers le nuage de fumée, se dirigeant vers les militaires qui leur accordaient des signes de la main et semblaient leur lancer des instructions.

    L’un des survivants, l’un des premiers qui s’était relevé, n’était plus qu’à quelques centimètres d’un des hommes lorsqu’il se jeta dans ses bras. Du moins c’est ce que l’aînée Rosenbach s’imaginait voir à cette distance d’eux. Elle ne put qu’écarquiller les yeux lorsqu’elle vit l’homme, pourtant costaud, s’effondrer au sol et le survivant qui était niché sur lui, un simple civil, se mettre à lui arracher ses vêtements et... le mordre. Elle regarda ce qu’il en était du reste de l’opération et constata avec une pointe d’horreur que le nombre de survivant atteignait bien la cinquantaine. Soit cinq fois plus nombreux que l’escadron. Faith étant une personne tout ce qu’il y a de plus pragmatique, il lui était difficile de croire qu’après la chute périlleuse de l’avion et l’incendie démarré, il puisse rester autant de survivants. D’ailleurs toute l’assemblée se montrait assez mitigée, entre ceux qui s’exclamaient de joie à l’idée de retrouver leurs proches et les autres, les moins crédules comme la blonde, qui sentaient que quelque chose n’allait pas. Son instinct lui disait de fuir au plus vite ce danger imminent, néanmoins elle restait clouée sur place à dévisager les rescapés dont elle ne soupçonnait pas encore la nouvelle nature.