Alistair se tenait recroquevillé au fond de sa cage, tellement immobile qu'on aurait pu croire qu'il était assoupi ou assommé. Tant mieux, à son avis : il tenait le moins possible à attirer l'attention de ses geôliers. Il ignorait ce qu'ils voulaient, ce qu'ils allaient faire de lui, et les hypothèses les plus macabres se bousculaient dans sa tête. Il se repassait la scène de sa capture encore et encore, cherchant le moment où il aurait pu fuir, échapper, décortiquant chaque moment de faiblesse qui l'avaient conduit dans cette cage puante où il craignait de se finir sa vie – prématurément et douloureusement, qui plus est.

On lui avait donné un coup de pied dans les côtes et chaque respiration était difficile, ce qui l'enjoignait d'autant plus à se pas bouger. Il se tassa encore un peu sur lui-même. Même s'il était du genre pessimiste, et qu'il le savait, il n'avait pratiquement aucune chance de s'enfuir. La cage était bien trop solide et il ne pourrait pas tordre les barreaux à la force de ses bras seuls, qui était déjà bien peu développée. Inutile de songer à creuser un trou dans le sol – d'une saleté à faire frémir, bien que ce soit actuellement le cadet de ses soucis – il n'avait que ses dents et ses ongles et la chose était complètement irréalisable.

Néanmoins, penser à un plan d'action était toujours plus rassurant que de se morfondre dans le désespoir. Alors qu'il passait en revue toutes les options, même les plus improbables voire totalement impossibles, un cliquetis le fit sursauter et il se redressa légèrement. Presque aussitôt, on le saisit par le bras et sans lui laisser le temps de comprendre ce qui lui arrivait, il fut traîné à l'extérieur. Trébuchant à moitié, il opposa une résistance par réflexe qui lui valut un coup de pied dans les reins. Le canon glacé d'une arme contre sa nuque le dissuada de tenter quoi que ce soit d'inconsidéré. De toute façon, il replongea presque aussitôt dans les ténèbres d'une deuxième cage, bien plus peuplée que celle presque vide qu'on venait de lui faire quitter. A quatre pattes, ne voyant que les formes un peu plus sombres de ses compagnons d'infortune qui se découpaient à peine dans la pénombre, il choisit de gagner un coin de la cage et de s'y tasser de nouveau, trop épuisé et effrayé pour essayer de savoir avec qui il avait atterri. La personne à côté de lui était si proche que leurs épaules se touchaient, dû au manque d'espace de la cage. Il se replia sur lui-même, évitant le contact qui le dérangeait. Il continuait à espérer que tout ceci n'était qu'un cauchemar passager. Avec un peu de chance, il finirait par se réveiller, même s'il parvenait de plus en plus difficilement à s'en persuader.

Alistair O'Sullivan

crackle bones

Alistair était occupé à compter ses respirations, à peu près persuadé qu'il avait une côté fêlée. C'était l'explication la plus probable à la douleur qui lui vrillait les flancs chaque fois qu'il tentait d'inspirer. Ça et la plaie à la tête, il était déjà à moitié mort. Il se tempéra aussitôt, se disant qu'il dramatisait. Ce n'était pas le moment de sombrer dans l'auto-apitoiement. Ou peut-être que si, finalement. Il n'avait pas grand-chose d'autre à faire, de toute façon.

Il toussa le plus doucement possible, ce qui lui arracha tout de même une grimace de douleur. La personne à côté de lui, dont l'épaule frôlait désagréablement la sienne au moindre mouvement, était en train de chantonner. Puis de pousser un rire nerveux. Puis de fredonner à nouveau. Alistair en déduisit qu'elle était en train de péter un plomb. Vu la situation, c'était compréhensible. Lui-même avait la santé mentale à la dérive.

Leurs épaules se frôlèrent à nouveau et il tourna la tête vers elle, presque involontairement. Malgré la pénombre de la cage, il y avait quelque chose de bizarrement familier dans la silhouette de sa voisine. Il se creusa la tête un moment, se demandant à moitié si ce n'était pas lui qui pétait aussi un plomb et qui commençait à reconnaître des gens dans des parfaits inconnus. Soudain, il put apercevoir le profil de sa voisine se découper dans la faible luminosité et il reconnut immédiatement Andrea. Cela n'avait rien d'étonnant dans un sens ; elle avait très bien pu être capturée comme lui et tant d'autres. Cependant, Alistair avait du mal à y croire. Il voyait Andrea comme extrêmement badass et l'idée qu'elle se retrouve enfermée lui paraissait absurde. Les types qui les avaient attrapés devaient être très organisés pour parvenir à l'enfermer elle aussi.

- Andrea ? laissa-t-il tomber, quelque peu sidéré.

Bien qu'il eut parlé à voix basse, il eut l'impression que sa voix avait résonné de façon disproportionnée dans le calme de la cage.

- Merde… Ils t'ont eu aussi ?

Alistair O'Sullivan

crackle bones

Andrea affichait une aisance et un calme à toute épreuve. Alistair quant à lui éprouvait pour elle une admiration sans limite. Lui était malade de terreur mais si elle avait peur, elle le cachait remarquablement bien. En fait, elle avait l'air plutôt énervée de se retrouver là, à la fois contre leurs geôliers et contre elle-même. Alistair ne put s'empêcher d'afficher lui aussi un faible sourire. Ce n'était pas le genre à se réjouir de la mort d'êtres humains loin de là, mais l'idée qu'Andrea ait refroidi deux de ces enfoirés lui faisait plaisir pour une fois.

- Tu les as vu alors ? T'as une idée de qui ils sont?

Le coup à la tête avait privé Alistair de tout souvenir de ses agresseurs lors de sa capture. Depuis, ils s'étaient arrangé pour rester invisibles, même lorsqu'ils le changeaient de cage comme il y a peu. Si Andrea les avait confronté, elle devait en savoir plus que lui – ce qui n'était pas difficile.

La spontanéité avec laquelle elle s'inquiéta pour lui et mutila sa chemise pour tenter d'éponger un peu sa plaie au crâne lui fit chaud au cœur. Il grimaça néanmoins de douleur quand le tissu entra en contact avec sa peau à vif.

- Merci, fit-il néanmoins avec reconnaissance. Fallait pas, pour ta chemise.

Certes, vu le triste état dans laquelle elle était, elle ne risquait plus grand-chose, et ne méritait d'ailleurs presque plus le qualificatif de « chemise ».

- Je crois que j'ai une côte fêlée, ajouta-t-il d'un ton qui se voulait badin mais qui trahissait sa douleur.

Peut-être même était-elle cassée, cela ne l'aurait pas étonné. De toute façon, il ne pouvait rien faire pour arranger les choses pour le moment. Son regard glissa sur l'autre bras de chemise manquant puis sur le poignet bandé d'Andrea. Elle non plus n'avait pas l'air en grande forme. C'était à prévoir, si elle s'était battue contre leurs ravisseurs.

- Et toi ? Tu es blessée ?

Alistair O'Sullivan

crackle bones

Alistair vit une ombre traverser le visage d'Andrea, alors qu'il demandait son avis sur les raisons de leur enfermement. Nul doute que les hypothèses les plus macabres lui venaient à l'esprit. Cette seule pensée lui glaçait aussi le sang, aussi lui fut-il quelque peu reconnaissant lorsqu'elle choisit l'ironie plutôt que d'exposer ses conclusions. Il grimaça un sourire un peu forcé, néanmoins soulagé. Y penser, c'était une chose. L'entendre énoncé à autre voix était terrifiant. Cela ne faisait que rendre plus tangible cette réalité à laquelle il s'efforçait de ne pas penser.

L'attitude d'Andrea à son égard était un véritable réconfort. Il la savait d'un caractère ombrageux et aimait d'autant plus de voir ressortir chez elle ce côté plus humain. Cela lui rappelait aussi la patience dont elle avait fait preuve envers lui. Beaucoup de gens auraient laissé tomber alors qu'il se repliait comme une huître. Elle avait fait l'effort d'essayer de le comprendre et il en avait fait de même. C'était triste de s'en rendre compte maintenant, alors qu'ils n'avaient plus rien, assis dans cette cage poisseuse. Avant la catastrophe de la Zone, Alistair n'avait jamais pris le temps d'y réfléchir. Au moins, elle aura eu le mérite de lui faire prendre conscience de cela. C'était bien le seul point positif.

Il grimaça quand elle mentionna son poignet brisé.

- Désolé… Quelle bande d'enfoirés...

C'était peu de le dire. Il aurait voulu avoir des paroles plus réconfortantes, moins banales, mais rien ne lui vint à l'esprit. Lui demander si ça allait aurait été risible. Bien sûr que ça n'allait pas.

Elle s'assit à côté de lui et il laissa reposer sa tête en arrière contre la paroi de la cage, avant de grimacer et de se redresser un peu, sa blessure l'élançant soudainement.

- J'étais à la Zone, avec les autres… puis plus rien.

Il soupira.

- Le coup que j'ai pris sur la tête doit y être pour quelque chose, mais je me rappelle pas comment j'ai atterri là. Quant à savoir depuis quand… J'en sais rien. Plusieurs jours ?

Il n'avait pas cherché à compter, trop paniqué pour cela. Sur le coup, cela ne lui avait pas semblé important. Maintenant qu'il y repensait, il était incapable de définir combien de fois la nuit était tombée, depuis qu'il était enfermé. Tout se mélangeait dans sa tête, dans un patchwork de terreur, de faim et de douleur. Peut-être que les plonger dans la confusion était ce qu'ils voulaient. Vu l'état de confusion dans lequel Alistair se trouvait à présent, ils y parvenaient bien.