Elle retient sa respiration, le cœur battant, main sur son couteau de chasse, comme si son souffle pouvait aujourd’hui la trahir. Son regard balaie les alentours, scrute les environs. Alexie reste à l’affut du moindre mouvement suspect, qui pourrait lui indiquée qu’elle ne les a finalement pas si semer que ça.
Les rôdeurs jonchent la route mais pas suffisamment près pour qu’elle s’en inquiète. Et ça n’est de toute façon pas ça qui lui fout des angoisses présentement.
Elle l’a toujours dit, dans ce monde détruit, ce ne sont pas les morts qui représentent le plus grand danger mais l’Homme avec un grand « H ». Dépourvu de lois, plus rien ne l’arrête et l’instinct de survie et primaire surgissent pour imposer ses propres règles. Aujourd’hui Alexie fait face à deux connards qui sont bien décidés à la dépouiller de son sac à dos, de son arc et de son couteau. Mais plutôt crever que les laisser ne serait-ce qu’effleurer une mèche de ses cheveux. S’ils doivent les lui prendre, ça sera par la force et rien d’autre.

La jeune femme inspire et bloque. Un mouvement attire son attention sur la gauche…

- Je l’ai !

Une main puissante agrippe sa nuque et l’attire en arrière, manquant de la faire tomber.

- LACHE MOI CONNARD !

C’est un cri du cœur alors qu’elle se débat furieusement, essayant de se défaire de cette poigne puissante qui finit par lui bloquer la bouche. Main sur le poignet de son ennemi, Alexie, se défait d’un mouvement et sans l’ombre d’une hésitation, plante ses dents de toutes ses forces dans la pliure du pouce. Elle sent ses canines percer la peau, un goût métallique lui envahissant la bouche mais plus rien ne compte que sa survie. Libérée, elle attrape son arc tomber au sol et fuit à vive allure. Alexie cherche une issue de secours, bien consciente qu’elle ne pourra éternellement fuir sur les routes et qu’ils ne la lâcheront pas avant de l’avoir dépouiller.
Ou pire.
Elle sprinte, la mort aux trousses et jette son dévolu sur un établissement dont elle ne prend même pas la peine de lire les inscriptions, ouvrant le portail pour le refermer derrière elle. Pas léger, discret, elle remonte l’allée, ne fait pas attention à toute cette végétation désormais sauvage ayant reprit ses droits sur la civilisation et ouvre la porte pour la refermer derrière elle, avec précaution. Mais surtout, en silence. Incertaine qu’ils ne l’aient pas vu.
Son cœur bat furieusement entre ses côtes, Alexie a l’impression d’être un putain d’animal prit au piège et qu’à moins de les tuer, aucune autre solution correct ne lui vient.

- Wow !

Elle lève les mains vers une gamine qui tient maladroitement un flingue pointé sur elle.

- T’es qui !
- Shht.
- Elle est planquée là, j’l’ai vu entrée.
- Merde. Elle braque de nouveau son regard vers la gosse. Baisse-moi ça, j’suis pas là pour te faire de mal.

Arc en main, Alexie est bloquée entre le fait d’être tenu en joue et les bruits de pas derrière elle. Impossible de savoir si c’est suffisant à la gamine pour qu’elle dévie son arme à feu sur la porte, si elle lui fait confiance parce qu’elle n’a pas une gueule qui fait peur ou parce qu’elle est elle aussi en proie à un instinct de survie bien développer pour son âge mais c’est tout ce qu’il faut à Jonhson pour bander son arc et le pointer vers la porte d’entrée.
La flèche fuse dans la gorge du 1er poursuivant et déjà une autre flèche se cale sur son doigt. Le temps se suspend, celui-là même où elle se dit qu’elle n’aura jamais le temps de viser et de ralentir le deuxième et dernier assaillant. Qu’en une poignée de seconde, ce dernier va lui sauter sur la gueule et que si elle a l’avantage de l’agilité et de la vitesse, elle ne fera jamais le poids au corps à corps.
La jeune femme sursaute lorsque le coup de feu fuse, arrachant un hurlement de douleur à l’homme qui s’écroule sur le sol, tenant sa jambe dont le tissu s’imbibe déjà d’un liquide vermeil. Un coup d’œil derrière lui, dans l’encadrement de cette porte ouverte où elle peut constater que bien évidemment, les cris et le coup de feu a rameuté les rôdeurs du coin qui franchissent déjà maladroitement le portail laisser ouvert par ces deux connards.

- ‘Chier.

Alexie voit là sa chance de fuir, de pouvoir se tirer d’ici en étant à 95% sûre qu’ils ne la suivront plus désormais puisqu’à la seconde où elle quittera cet endroit, ce type à une chance sur 2 de servir de festin aux rôdeurs. Quant à cette gamine, elle pourrait largement servir d’appât, de distraction supplémentaire pour qu’elle puisse s’échapper sans l’ombre d’une difficulté.
Il ne lui reste plus qu’à récupérer sa flèche et fuir. Juste, fuir.
Pourtant, elle bloque. Connement. Perdant de précieuse seconde, l’urgence lui grillant l’instinct. Alexie hésite, fait un pas en avant, sentant le poids du regard de cette gosse sortie de nulle part sur sa nuque. Gosse qui lui a sauvée la vie, qui n’a même pas dix ans. Qui aurait pu être sa sœur au fond, avec quelques années de moins. La jeune femme se mort l’intérieur de la joue et fait demi-tour, lui attrape la main avant de sentir une résistance.

- Non il m’a dit d’attendre là.
- Qui ça il ?

Elle ne répond pas. Fûtée, elle suit encore à la lettre « ne pas faire confiance aux inconnus ». Alexie braque son regard vers l’allée mais aussi sur l’homme qui perd conscience au même rythme qu’il perd son fluide vital.

- J’sais pas qui tu attends mais sois tu viens, sois tu finis en casse-croûte pour ces choses-là.

Elle ne lui laisse de toute façon pas le temps de répondre et change son sac à dos de position, le passant sur sa poitrine et faisant monter la gamine sur son dos. La traîner derrière elle lui prendrait trop de temps et il faut croire que la petite survivante sent tout aussi bien le danger qu’elle puisqu’elle ne bronche pas, toujours son arme à la main. Alexie fait demi-tour après avoir laisser la porte du bâtiment pour que le corps encore chaud serve de distraction aux rôdeurs présents et trottine vers l’arrière, cherchant la porte de secours de ce qui avait été un refuge pour animaux. Ou un cimetière à en croire les pierres tombales à l’extérieur.
Putain qu’elle pèse lourd cette gamine. Jamais elle ne pourra tenir sur une trop longue distance, juste de quoi pouvoir distancer les quelques rôdeurs du coin pour pouvoir se mettre ensuite à l’abri. Elle n’est pas foutue de se dire qu’elle a fait le bon choix, pas quand elle se remémore que cette gosse dont elle ne connait toujours pas le prénom attendait quelqu’un. C’est une source à emmerde, une GROSSE source à emmerde et Alexie est prête à parier que ça va lui retomber sur le coin de la gueule à un moment ou à un autre.
Impossible de savoir quelle distance elle a parcouru avec la petite sur le dos mais elle finit par la faire descendre, incapable de poursuivre plus longtemps avec ce poids sur elle. Alexie remet son sac à dos, garde son arc à la main et de l’autre chope les doigts de l’enfant pour la trainer derrière elle. La plaie. Elle va faire quoi maintenant, hein ? La trainer avec elle advita eternam ? Ca s’trouve, elle attendait un putain de fantôme qui ne reviendra jamais, qui l’a abandonné parce que lui a eu l’intelligence de se dire que de trainer une gamine était loin d’être la meilleure idée du siècle en ces temps pourris.

- On va s’arrêter un peu ici.

Elles ne sont qu’à dix minutes de marche de l’endroit, le temps de reprendre leur souffle.

- Tu t’appelles comment ?
- Hannah.
- T’attendais qui comme ça ?

Elle ne répond toujours pas. Sois par méfiance, par soucis de protection mais elle ne décroche pas un mot sur l’identité de son protecteur. Alexie la scrute, tout aussi silencieuse. Joues rouges, regard brillant, teint blafard… D’une main maladroite elle posse le dos de sa main sur le front d’Hannah.
Fais chier putain.

- T’es malade ?
- Non.
- Menteuse. Alexie fouille dans son sac, sors sa gourde et lui tend son gobelet rempli. Tiens, bois ça. Elle lève les yeux au ciel face à l’hésitation de l’enfant. Ce n’est que de l’eau, t’as rien à craindre.

Question patience, on repassera. Elle en avait, avant. Pouvait materner sa sœur durant des heures, de journées entières. Avant.

La gamine finit par prendre la gourde, boire quelques gorgées.
Ok, et maintenant ? Elle se retrouvait bien dans la merde avec l’enfant dans les pattes. L’option de l’abandonner ici est toujours valable… Sauf qu’elle lui doit la vie. A une gosse de dix ans. Elle qui est si égoïste, se retrouve avec ce code d’honneur à la con. A moins que ça ne soit parce qu’elle lui fait penser à sa petite sœur.
Fais chier.

Alexie hésite mais pas trop longtemps, pas la peine de perdre de précieuses secondes alors qu’elles ne sont pas si loin que ça des rôdeurs. Il lui reste donc deux options : Se trainer Hannah sans rien demander (hors de question) ou Retrouver le fameux « il » pour lui redonner son cadeau empoisonner.
La deuxième option lui semble la meilleure, même si ça l’emmerde bien profondément de prendre des risques pour une gamine qui n’est pas la sienne, pour une situation qui ne lui appartient pas. Mais encore une fois, il lui est étrangement inconcevable de laisser Hannah en proie aux rôdeurs quand cette gosse aurait pu se tirer plutôt que de shooter dans la cuisse de l’ennemi.

- Bon il s’appelle comment ton père ?
- C’pas mon père.
- Ton frère alors ?

Hannah hésite, la regarde droit dans les yeux. Bien évidemment qu’elle ne veut toujours rien lui dire et elle a raison. Elle ne connait pas Alexie, ne sait rien de ses réelles intentions et elle pourrait bien lui jurer sur n’importe quoi qu’elle n’est pas là pour en faire de la viande séchée pour ses provisions, qu’elle n’aurait pas tord que de se montrer si méfiante.
Elle s’apprête à lui demander de la suivre, histoire de se mettre en lieu sûr plutôt que de débattre ici, bêtement. Mais l’instinct lui susure brutalement de se redresser. L’apocalypse a créé le désordre mondial, la peur, l’angoisse mais à aussi pousser l’Homme à développer autre chose que sa sale manie d’attendre que tout lui tombe sous la main. L’heure où votre survie dépend de vos sens, ces derniers se sont développés, aiguisés.

- ELOIGNE TOI D’ELLE.

Alexie plonge sa main sur la garde de son couteau de chasse à la seconde où le cri s’achève. Elle pourrait d’un geste le lui lancer entre les deux yeux, la précision étant son point fort. Mais la rapidité du jeune homme mais surtout sa rage, la surprend. Suffisamment pour ne pas s’engager dans ce geste inutile, risquant de se retrouver sans son arme blanche, son arc posé au sol, trop éloigné d’elle en cette seconde.
Elle sent la lame de son ennemi, les hurlements d’Hannah venant presque couvrir ses propres battements de cœur qui résonnent contre ses tempes. La douleur lui brûle le flanc, craignant que son geste de recul ne soit pas suffisant pour avoir éviter la lame dans ses chairs. L’adrénaline surgit, rugit et Alexie ne répond plus de rien. Impulsive, animal, les deux jeunes gens roulent au sol, son assaillant déjà sur elle, certainement prêt à l’égorger.
Jonhson n’hésite plus, ses phalanges viennent s’écraser une première fois sur la tempe du jeune homme, animé par une haine primaire à vous flanquer des cauchemars. Puis, une deuxième fois dans le coin de sa mâchoire, plus fort cette fois, manquant de justesse de sentir la lame glisser dans sa gorge.

Son flanc la fait souffrir, la handicape et elle ne doit sa survie qu’à cette adrénaline pure qui rend cette douleur plus supportable. Son assaillant roule sur le côté, légèrement sonné. Alexie glisse sur la terre sèche, couteau à la main. Son arc est là, juste derrière elle et vu la rapidité de ce type, elle n’aura que le temps de mettre la main dessus avant qu’il ne lui saute sur la gueule. Non, cette fois, elle n’aura pas d’autre choix que de faire avec son simple couteau, au corps à corps. Debout, les cheveux en vrac, le sang chaud ruissèle de la profonde entaille sur sa hanche. Plus rien d’autre ne compte que sa survie et si pour cela elle doit lui planter ce couteau entre les deux yeux, l’hésitation ne sera pas de mise.

La douleur est pour le moment supportable, grâce à cette adrénaline qui tambourine contre ses tempes, ses côtes. Elle profite d’avoir légèrement assommé son adversaire pour se remettre debout, couteau à la main. Cette rage qui anime le fond de son regard, elle le connait. C’est celle qui anime votre instinct animal le plus profond, le plus violent. Le plus mortel. Car ce combat se résultera par ça : la mort. Et elle y mettra toute l’énergie qu’il lui reste, jusqu’à la dernière goutte, pour avoir le dessus sur ce fou furieux. Ca lui apprendra de sauver la vie d’une gamine qu’elle a trouvée sur son chemin. La prochaine fois, elle la ou le laissera en appât, ça lui évitera bien des emmerdes.
Quelques secondes de répit donc. Suffisamment pour reprendre un brin de souffle, un poil d’assurance sur ses jambes, jusqu’à ce que leurs corps ne se retrouvent de nouveau. L’impact est puissant, lourd mais ne suffit pas pour la déstabiliser. Pire encore, l’adrénaline du combat lui donne une hargne peu commune. Elle n’en a pas chier durant tout ce temps pour crever connement ici, pour avoir faire un acte charitable. Et pour la première fois depuis ce qui lui semble être une éternité, le souvenir de sa sœur agit comme un catalyseur. Une motivation qui va bien au-delà du simple courage de se lever le matin, qui anime sa volonté de survivre. Car elle est là, quelque part dans ce mon de merde qui leur fait défaut et surtout, elle l’attend. Alexie en est certaine. Et ça n’est pas ce connard qui allait l’empêcher de la retrouver.

Couteau bien en main, elle prend appuie sur ses jambes et s’élance, fouette l’air et parfois, entame la chair de son ennemi tout comme lui l’avait touché un peu plus tôt. Le sang continue de s’écouler mais elle n’y prête pas attention, n’ayant pas encore conscience qu’elle en subira les conséquences dès lorsque l’adrénaline sera retombée et que la fatigue agira au même titre qu’une bonne claque dans la tempe. Mais elle ne pourra pas tenir éternellement et de ça, Alexie en a bien conscience. Plusieurs choix s’offrent à elle : Le foie, l’estomac ou la jugulaire. La cuisse aussi, pour l’artère fémorale. Un choix qui doit être prit rapidement, judicieusement et la fenêtre qui s’ouvre à elle, décide pour elle.
Gorge à vue, Alexie lance son bras vivement, précisément mais la douleur la handicape bien plus qu’elle ne voudrait l’admettre. Pas aussi rapide qu’elle aurait voulu, elle réussit malgré tout à entamer la peau mais pas suffisamment pour blesser mortellement ou ne serait-ce que pour mettre KO son ennemi.

Respiration erratique, Alexie a le couteau toujours en main, les yeux rivés vers son adversaire qui constate les nouveaux dégâts.

- Sale…

Elle sursaute, son regard vif se détourne de son objectif. Et elle n’est pas la seule… Et c’est en cette seconde que l’avantage s’offre enfin à elle.
Rien ne la rattache, Alexie ne doit se soucier de personne si ce n’est que d’elle-même. Ce qui n’est pas le cas de ce type qui se détourne aussitôt pour vérifier que cette gamine – au sacré coup de canon – va bien. Il ne lui faut que quelques secondes à peine pour se munir de son arc et de ses flèches. Son arme est déjà tendu, chargée, prête à décocher le projectile dans la seconde. Et c’est la tête de ce garçon qu’elle vise en premier lieu.
La situation s’est inversée à son avantage pour plusieurs raisons. La première est qu’il se soucis plus de la vie de cette gamine que de la sienne. La deuxième est que les rôdeurs sont entrain de rappliquer avec tout le bordel qu’ils ont foutu et qu’il lui suffirait simplement de décocher sa flèche, le buter pour en faire un appât et ainsi s’échapper pour se mettre en lieu sûr pour soigner ses blessures.

- Ne t’avises même pas.

Elle bande un peu plus l’arc alors qu’elle le voit esquisser un geste pour elle ne sait quoi. Elle s’en fout, pas son problème. Alexie croise le regard de la fameuse Hannah, ça ne dure qu’une seconde mais c’est suffisant pour la plonger dans un léger doute qui ne lui ressemble pas.
En soit, il ne lui reste plus qu’à tirer sur lui. Puis sur elle, afin d’abréger ses souffrances car personne ne mérite de finir sa jeune vie sous l’atroce douleur que de se faire bouffer par ces sans-âmes. Voilà, juste deux flèches à décocher, ce qui lui laisse largement le temps de déguerpir d’ici.
Mais, étrangement, Alexie se sent redevable de cette gamine qui lui a sauvée la vie. Et c’est exactement pour cette raison qu’elle ne veut s’entiche de personne, veut faire cavalier seule et ne surtout pas s’attacher à un quelconque groupe. C’est ce genre de situation qui vous fout dans la merde, qui vous entraine droit dans des situations à la con comme celle-ci où la mort sera le seul et unique résultat. Mais elle n’y arrive pas.
N’y arrivera pas.

- Fais chier.

Alors qu’elle arme toujours en direction du jeune homme, elle décale légèrement son arc vers la droite et tire. La flèche passe non loin de lui mais vise une autre cible. Un nouveau rôdeur qui s’écroule sur le sol, flèche en pleine tête. Elle arme une deuxième fois et en élimine un autre, un peu plus loin pour leur laisser du temps à tous les trois de fuir.
Elle ne le fait pas pour lui mais pour cette putain de gamine à qui elle doit la vie. Qui ressemble tant à sa sœur.
Ainsi, sa dette sera payée.

- Allez, bouge toi t’attends quoi !

Loin étaient les moments d’insouciance, de tranquillité.
Loin étaient les après-midis passées entre ami(e)s, pour aller au cinéma ou au parc du coin pour discuter du cours du lendemain.
Loin, étaient les week-ends passés en famille, la vacances à contempler ces paysages si différents derrière la vitre sale de la bagnole, à compter les bandes blanches sur la route lors d’un trop plein d’ennui.

Aujourd’hui, certaines herbes arrivaient à sa taille, les murs décrépis étaient rongés par la mousse, cette nature qui reprend ses droits sur l’homme, sur à peu près tout. Aujourd’hui, Alexie se retrouve à courir aussi vite qu’il lui est possible pour survivre, échapper à des êtres plus morts que vivants et il lui est arrivé parfois de se dire qu’elle ferait mieux de lâcher prise. Qu’elle ferait mieux de se laisser arracher un bras ou la jugulaire par ces putains de rôdeurs ou, tout simplement, de se loger une balle dans le crâne. Mais la possibilité à ce que sa petite sœur soit en vie lui est suffisante pour ne pas lâcher prise et continuer sa route, seule, jusqu’à ce qu’elle puisse un jour la retrouver. C’est ce qui la pousse aussi en cet instant à forcer malgré la douleur immonde qui irradie son flanc droit, le sang commençant à bien trop couler sur celui déjà séché.
Elle qui n’avait toujours marché – ou couru – en solitaire, se retrouvait à partir en quête d’un échappatoire aux côtés de celui qu’elle était prête à buter d’une flèche en plein crâne. Et aussi incroyable que cela pouvait lui paraitre, elle l’avait épargnée. Elle qui n’avait clairement pas froid aux yeux que de lâcher la corde de son arc pour lui accorder survie et tranquillité.

L’adrénaline l’aide, les aide, à poursuivre leur course malgré la fatigue et les blessures qui, pourtant, ne tardent pas à les ralentir un peu. Et c’était sans compter cette gamine qui ne courrait pas aussi vite qu’eux et qui ne tiendrait en plus de ça, pas aussi longtemps.

- Par-là !

La voix de Nathan attire son attention vers sa gauche, là où d’un coup de pieds de biche et Alexie en profite pour décocher une première flèche sur le rôdeur le plus proche. Rien que ce geste lui arrache une grimace douloureuse, sa précision baissant d’un cran, elle qui a toujours été une excellente tireuse, visant toujours le cœur de la cible. Elle attend malgré tout le crâne, puis s’occupe d’un deuxième. Elle entend le souffle d’Hannah derrière elle, qui lui indique qu’elle est en pleine effort, certainement entrain de grimper l’échelle.
Alexie se retourne et le voit, à son tour, joindre les mains pour l’aider à grimper. La jeune femme ne réfléchit pas, elle aura tout le temps de penser plus tard. Elle prend son élan et appuie sur sa jambe gauche pour se hisser et attraper l’échelle avant de commencer son ascension en accélérer.
L’hésitation la fait ralentir alors qu’elle jette un regard vers le bas. Est-ce qu’il pourra lui-même grimper sans aide ? Alexie pourrait très bien ne plus s’en soucier, monter l’échelle et trouver une échappatoire tout en laissant en plan cette gosse mais là encore, ses habitudes lui font défaut. La jeune femme descend quelques crans, s’agrippe à des barres avec son bras en se rétractant sur elle-même pour avoir plus d’appuie mais aussi pour limiter la douleur lancinante. Elle tend sa main pour lui faire gagner quelques centimètres et attend qu’il l’agrippe pour l’aider à remonter pour qu’au moins il puisse saisir la première barre.
Le geste lui arrache un juron douloureux, lui donnant la sensation que ses chairs se déchiraient un peu plus sous le poids de Nathan qu’elle réussit à hisser. Alexie continue sa montée, tremblante, le souffle court. Chaque geste lui est douloureux et quand bien même la plaie n’est pas profonde, elle n’en reste pas moins importante. Rien que pour ça, elle devrait lui foutre un coup de talon sur la gueule. Ça lui apprendra à vouloir jouer les héros.

Enfin, elle retrouve le plat du sol ou plutôt, du toit et après quelques mètres parcourus, s’y laisse choir contre un cube de métal, servant certainement à l’aération. Alexie cherche son souffle, arc posé à ses côtés, sans prendre la peine de se défaire de son propre sac à dos. Elle regarde d’un œil distrait Nathan et Hannah qui se retrouvent pour de bon cette fois, en sécurité, avant de glisser son regard vers sa blessure.

- Putain.

C’est douloureux et c’est moche à voir, mais il ne lui semble pas nécessaire de suturer ça si elle tâchait de rester tranquille quelques jours. Si tant est que cela soit possible.
La vigilance est de mise, sa main se pose sur le manque de son couteau alors qu’elle les regarde un peu plus loin. L’aide qu’il lui a apporté ne veut strictement rien dire, elle n’est même pas certaine qu’il ait fait sa consciemment.

- J’suis étonnée que tu ne m’aies pas laissé en pâture en bas.

Ses mots sont acides et il lui est difficile d’admettre que ce petit con – qui approche certainement son propre âge, voir un peu plus. – lui a sauvé la vie. Et c’est exactement pour cela qu’un merci le lui arracherait la gueule, préférant se dissimuler vers cet air menaçant qu’elle s’est forgée depuis tout ce temps.
Elle jette un coup d’œil à la petite et la désigne d’un geste de la tête.

- Comme ça, on est quitte.

Parce que non, elle n’a pas oublié qu’elle aurait pu laisser Hannah là-bas mais qu’elle ne l’a pas fait. Et que dans tout ce merdier de menace, ils s’étaient mutuellement sortie du mauvais pas, sans vraiment réfléchir.

Alex reprend son souffle, la douleur de la blessure s’éveille mais reste supportable. A en regarder la plaie, il lui faudra plusieurs jours de guérison sans pour autant devenir impotente. C’est le principal. Ils auraient pu crever tous les trois, en bas. Et Alexie aurait pu être déjà loin et hors de danger si elle n’avait pas pris la peine de s’attarder avec eux. Mais les choses sont faites, elle est désormais bloquée sur ce toit avec ce trou du cul au regard condescendant qu’elle rêve de lui faire bouffer par n’importe quel orifice possible. Elle l’a entendu sermonner la gamine, sans lui laisser une chance de s’expliquer. Si ce grand con la laissait au moins lui raconter sa version des faits, il serait certainement bien heureux d’apprendre qu’elle lui a désobéit. Auquel cas, Hannah ne serait pas là pour lui parler.

- Tu vas à moins de deux mètres d’elle et tu es morte.

C’est une gifle qu’elle a envie de lui donner pour toute réponse ou une réplique bien cinglante mais elle se contente de l’ignorer, comme s’il n’existait pas. Et s’ils pouvaient faire ça jusqu’à ce qu’il se séparent, ça l’arrangerait.

- Il est pas comme ça tout le temps tu sais

Voilà qu’elle s’y mettait à son tour. Se sentant peut-être obligé de lui parler pour X raisons mais là encore, Alexie s’en serait bien passer, tout comme d’avoir l’impression d’avoir Mallaurie en face d’elle avec quelques années en moins.

- Il aime pas les gens en fait.
- Ca tombe bien, moi non plus.

Mais la gamine ne se déloge pas de sa place, continue de la fixer, main sur le manche du révolver. Une chose est certaine, c’est qu’Hannah n’a pas froid aux yeux et surtout, elle est bien moins casse-couille que celui qui la protège finalement. Alexie se demande qui protège l’autre, justement.

- Qu’est-ce que tu regardes comme ça ?

D’une amabilité sans nom mais avec moins de d’agacement dans la voix qu’elle ne l’aurait voulu. Alexie n’est plus tellement habitué aux contacts humains, à la sociabilité. A vivre des mois seule, errant de route en route, la nature a vite fait de reprendre ses droits sur la sauvagerie et le côté primaire d’un Homme.
Nathan revient vers elles, récupère l’arme et la braque sur le visage d’Alexie.

- Avance.

Elle a envie de lui cracher son ordre à la gueule. Elle est même à deux doigts de le faire alors qu’ils se jaugent comme ça, comme deux imbéciles, effrontément. La jeune femme réfléchit, se fait une raison. Son meilleur moyen de sortir d’ici serait d’obéir, au moins pour un temps, ne serait-ce que pour attendre la fin de la nuit et ainsi, fuir loin de ces deux-là.
Nathan est le premier à reculer, soupire lâcher et Alexie se met en branle, récupère son sac à dos sur l’épaule, toujours une main sur son couteau. L’arme à feu n’est pas son objet de prédilection mais cette fois elle n’hésitera pas à planter son couteau dans le foie de ce type s’il l’emmerde un peu trop. Arc sur l’épaule, il allait falloir faire le plein de flèche sous peu en vu de ce qu’elle a perdu dans l’affrontement en bas.
Nathan se charge d’ouvrir la porte, Alexie ferme la marche. Elle préfère être derrière lui que devant, sa confiance envers se type se trouvant au pallier – 1000. La jeune femme raffermi sa main sur le manche de son couteau, cette fois dans l’attente d’une menace imminente. Nathan passe le premier : rien.
Alexie descend les premières marches d’escalier à leur suite, écoutant à peine la voix du jeune homme…

- Nathan !

Un bruit sourd la fait sursauter tandis qu’elle referme la porte derrière eux, se servant de la chaine cassée pour bloquer l’accès. Alexie se retourne, la gamine réagit aussitôt, sachant visiblement quels gestes adoptés dans le cas présent.
Et ce cas est une putain de crise d’épilepsie.
La jeune femme descend en grimaçant les escaliers pour venir apporter son aide à Hannah qui galère un peu de le trainer par les pieds.

- Bouge et enlève lui son sac à dos.

Alexie le saisit par les chevilles et le tire un peu brusquement vers elle pour éloigner son crâne des escaliers avant qu’il ne s’y fracasse la boite crânienne. Dans le genre « journée de merde », Jonhson a tiré la meilleure carte.

- Faut lui maintenir la tête ?
- Non, faut le laisser finir sinon on va le blesser.

Elle voit dans ses yeux l’inquiétude pure qu’Alexie n’a plus ressenti depuis ce qui lui semble être une éternité. Pour une raison inexpliquée, ça la touche quelque part même si elle ne l’admettra pas. Elle se renfrogne et attend, regard ce corps qui s’agite tel un pantin, la bave aux lèvres violacées. C’est flippant, presque plus qu’un rôdeur finalement, de voir que son cerveau a court-circuité d’un coup d’un seul. D’un claquement de doigts.

- Il en fait souvent ?
- Quand il est stressé et fatigué.

Epileptique. Il lui est étrange de faire face à quelqu’un qui subit les mêmes emmerdes qu’elle finalement. Pas au même degré, pas de la même façon mais ça reste un putain handicap pour tous les deux que de risquer de s’effondrer à tout moment et de perdre la vie parce que la roulette russe de la médecine à décider de leur infligé des tares comme l’épilepsie et la narcolepsie.
Hannah fait preuve d’un sang froid qu’Alexie juge coutumier. La jeune femme se redresse, vérifie que personne n’a été attiré par le bruit. Pas un rôdeur, pas un humain, ils sont safe pour le moment.
Viens le temps où la crise s’atténue, s’apaise, où Nathan n’est plus sujet à des spasmes mais à une reprise de connaissance brutale. Son corps se redresse, ses bras battent dans le vide, dans le vent, comme s’il luttait depuis le début contre quelque chose et que son cerveau, par un électrochoc violent, venait de lui débloquer tous les accès à sa mobilité. Alexie le maintient entre ses bras pour éviter qu’il ne fasse une chute supplémentaire dans les escaliers.

- Eh du calme ! Doucement.  

Hannah l’aide à le maintenir avant qu’elles ne le reposent au sol lorsqu’il semble se calmer et prendre conscience de son retour à la réalité. A genoux près de lui, une main sur son épaule, elle laisse l’honneur à la gamine de lui offrir gestes tendres et rassurants. Très peu pour elle.

- Pas de panique, t’es à l’abri et safe.

Elle capte son regard, tente de le rassurer un peu brutalement, certes mais merde, c’est le geste qui compte non ?

- C’est fini, t’as fait une crise apparemment.

Elle tire sur le manche de son propre pull et essuie la bave sur le coin des lèvres de Nathan. Hannah lui apporte une bouteille d’eau, son regard brillant et inquiet posé sur lui. Ils rassemblent à deux toutes les raisons pour lesquelles Alexie se refuse à un binôme. Trop de risque de s’amouracher, de s’attacher et de s’inquiéter comme ils le font en permanence ensemble, tous les deux. Elle est loin de se dire qu’au contraire, tout cela pourrait rendre sa vie un peu plus douce, un peu plus supportable, refusant en bloc cette perspective.

Alexie le laisse boire, se relève et check de nouveau en bas avant de revenir vers eux.

- Viens, faut qu’on descende.

Elle lui laisse peu de temps pour respirer mais ils n’ont pas vraiment le temps de trainer dans le coin avec le bordel qu’il a foutu secouer le métal de l’escalier comme ça. Alexie et Hannah l’aide à se redresser en douceur, après lui avoir laisser quelques courtes minutes pour souffler. La jeune femme le laisse prendre appuie sur elle, descendant avec précaution les escaliers jusqu’à trouver la première porte de secours qu’elle voit.

- Restez ici.

Pas un mot de plus, Alexie garde son arc sur l’épaule mais se saisit de son couteau. La porte est lourde et fait un bruit de grincement qui, dans ce silence de mort, retenti en écho dans la cage d’escalier et dans la pièce qu’elle trouve. Des petits bureaux, certainement la partie administrative se trouvant au-dessus de l’entrepôt servant à stocker elle ne sait quoi. Quelques ordinateurs résident là, fracassés ou poussiéreux, des chaises en vrac, des débris non identifiés avec. Elle tend l’oreille, perçoit un bruit un peu plus loin et y découvre deux rôdeurs qui errent sans la voir pour le moment. L’un est encore habillé d’une jupe rouge, l’autre d’un pantalon de tailleur, chemise, veste… certainement des employés.
Alexie bande son arc et décoche une première flèche malgré la douleur de son flanc pour viser le crâne du premier. Couteau en main, elle s’approche du dernier avec prudence. Lorsqu’elle est suffisamment près, la jeune femme décoche un coup de talon dans le genou qui se disloque sans effort, faisant chuter le rôdeur dont elle plante sa lame dans le crâne suintant et répugnant de cette créature qui n’a, à ses yeux, plus rien d’humain. Alexie fait un dernier tour, bloque la porte à l’autre bout de la pièce pour revenir vers Nathan et Hannah qui sont toujours là.

- C’est bon, vous pouvez venir.  

De nouveau, elle l’aide à bouger jusqu’à l’installer dans le recoin qu’il se choisit.

- Tiens.

Elle lui lance une barre énergétique sans lui adresser un seul regard avant de se détourner, posant son sac à dos sur un bureau. Il est temps pour elle de désinfecter sa plaie.