Aileen peut remercier son poste au bar pour ce qu'elle s'apprête à faire. C'est en surprenant une conversation (qu'elle n'aurait sans doute pas dû surprendre), qu'elle a appris ce qui se tramait : une excursion dans la forêt environnante. Pour attraper un sanglier et ses petits. Autant dire que cela n'a rien d'extraordinaire, et qu'Aileen risque de ne pas être dans son élément, mais c'est une sortie malgré tout. Et, plus que tout, Aileen a besoin de voir autre chose. De se dégourdir les jambes pour de vrai, pourquoi pas de tenir une arme entre ses mains (même un couteau lui ira !). L'idée de croiser des rôdeurs pour la première fois depuis une éternité (puisqu'on la retient "captive" ici) ne l'effraie pas. Elle sait qu'elle n'a pas perdu la main. Ce ne sont pas des choses qui s'oublient, et elle entend bien se fier à son instinct de survie plus qu'à autre chose. Impossible qu'il ait disparu, celui-là. Enfin bref, en entendant cette discussion, Aileen n'a pas hésité et est allée voir Vance aussi vite qu'on le lui a permis. De fil en aiguille, elle est parvenue à faire entendre son besoin viscéral de sortir l'espace d'un instant. Ce n'est pas comme si elle voulait (pouvait ?) partir loin d'ici. Elle n'oublie pas que Clint est là, toujours à l'isolement. Et sans doute que Vance l'a entendu et compris lui aussi. Qu'elle n'allait pas partir sans lui, et qu'elle n'avait de toute façon nul part où aller. Sans arme (ou presque), faudrait être idiot pour partir comme ça. Et idiote, Aileen ne l'est pas. Elle sait qu'à Ellia, elle a quand même tout le confort qu'elle pouvait espérer.

Cette sortie, c'est aussi l'occasion de prouver ce qu'elle vaut. De montrer qu'elle n'est pas juste bonne à servir des verres à des ivrognes (la plupart l'étant devenu, par profit de cet endroit sécurisé). Elle aimerait bien, aussi, que l'excursion puisse se réitérer par la suite. Si elle prouve qu'elle en est capable, elle ne voit pas bien pourquoi ce ne serait pas le cas. Bref, Aileen a donc été acceptée sur cette sortie, et c'est simplement vêtue d'une veste en cuir abîmée et d'un jean qui lui permet suffisamment de souplesse, qu'elle se dirige vers le poste de sécurité. On la fait attendre vers l'entrée de celui-ci que les autres énergumènes participant à cette sortie débarquent. Elle n'en connaît pas un... Ou peut-être que si en fait, mais elle n'y fait guère attention. A quoi bon ? Elle, elle est juste là pour se dégourdir les jambes. Et potentiellement pour attraper ces maudits sangliers. On leur file à chacun un petit couteau, destiné à ne pas les laisser se faire bouffer, ainsi qu'un sac à dos dans lequel se trouve l'essentiel. Elle ne vérifie pas, mais on lui a parlé d'une grande bouteille d'eau, une corde, une boîte de conserve et un briquet. Mieux que rien. Quelques instants plus tard, les voilà tous partis pour cette folle aventure. Certains ont un statut relativement "bas" comme le sien, d'autres sont bien mieux placés dans la hiérarchie d'Ellia. Sans doute pour garder un oeil sur ceux de la première catégorie d'ailleurs. Aileen ne s'en soucie pas. Elle ne va rien tenter, juste faire ce qu'elle a à faire. Et cela ne trompe pas : une fois dans la forêt, elle se sent revivre. Enfin, elle peut respirer un air pas pollué par des tonnes d'autres survivants. Les quatre-cinq autres personnes avec elle ne sont pas loin, et ils font le moins de bruit possible. Objectif : débusquer ce sanglier et sa famille.

Combien de temps encore cette bestiole va t'elle me faire encore cavaler ? C'est pas possible d'être aussi chiant ! Non mais vraiment, c'est du vice à ce niveau. Plus je m'enfonce dans ce bois, plus j'ai l'impression que tu creuses l’écart sale bête... Allez, c'est pas comme si j'allais te faire du mal. J'ai juste une envie de jambon. Petit petit petit...

Bon, au moins les traces sont toujours fraîches. Et vu le bordel que tu laisses derrière toi, c'est pas non plus si difficile de te pister. Pour un peu, on pourrait même te suivre à l'odeur. Franchement, j'ai du mal à comprendre comment t'as réussi à survivre jusqu'à aujourd’hui. Tu dois pas être kasher pour les morts, je vois que ça. Sinon, y a belle lurette que t'aurais fini sous les dents d'un mordeur.

Ah, t'es donc passé par ici ? Tu pourrais pas plutôt descendre une cote ? J'en ai plein les pieds des montées... Le bon coté des choses, c'est qu'avec un relief comme ça, il sera difficile de localiser le coup de feu qui t’enverra au paradis des bêtes qui sentent la mort. J'ai bien fait d'avoir enfilé des chaussures de randonnée ce matin.

Je me demande ce que fait Eliisa ? Vu la météo, je parie que madame doit somnoler à moitié sur la banquette arrière du 4x4. Ça s'est rafraîchi d'un coup. J'ai bien fait de garder des fringues d'hivers dans le coffre, notamment cette écharpe et ce blouson de bûcheron. C'est pas trop ça niveau élégance, mais au moins ça tiens chaud et ça se fond bien dans le décors.

Je réajuste mon cache-nez et me frotte les mains un bon coup. Je deviens un peu frileux sur les bords, on dira pas que je me fais vieux, merci. C'est qu'on se croirait à Anvers, la pluie en moins. Je devrais pas trop penser à ça. Je connais pas trop le coin, c'est pas le moment de rêvasser. J'ai pas envie de devoir piquer un sprint pour distancer et semer des rôdeurs. C'est curieux tout de même de ne pas en avoir croisé un seul. J'aurai imaginé qu'un bon nombre de ploucs se seraient mis au camping dans ce genre de bois. Je plains les canadiens. Ils ont dû en recevoir des quantités de 'ricains en quête d'espaces vierges.

Oh ? Une trouée. Pas mal ! D'ici, derrière cet arbre et ces cailloux, j'ai un bon poste d'observation. Je surplombe une clairière assez vaste. C'est le moment de faire une pause ! Je m'assois en tailleur derrière ce tronc couché et épaule ma carabine. À travers la lunette de tir, j'observe cette vallée. Un cour d'eau la coupe en deux. Ce serait vraiment un spot nickel si le tout n'était pas en pente...

D'ici jusqu'aux arbres de l'autre coté de cette éclaircie, il y a facilement... 300 ou 400m ? C'est toujours difficile à mesurer sans un point de repère une distance. Oh ? Comment j'ai pu te louper toi..

Une tâche fluo dans le paysage attire mon regard. À travers la lunette, j'observe un instant ce qui est sans le moindre doute une tente verte et bleue et un micro bivouac. Vu que tout est au sol et que la tente est aplati, c'est sûrement abandonné. Je devine un espace ou quelqu'un a fait du feu. Vu l'état du truc, ça n'a pas servi depuis longtemps. Quelqu'un a laissé une casserole rouiller sur une pierre...

Laissons de coté cette preuve qu'un vivant est passé par ici. Mon regard parcoure la lisière qui me fait face. C'est paisible comme paysage. La mire de mon arme balaye une série de pins avant que je ne la fige sur mon futur repas.

Alors tu étais ici garçon ? Oh, mais c'est que tu as l'air bien gras...

J'arme mon fusil sans quitter ma cible des yeux. Le léger couinement mécanique du levier d'armement sonne comme une invitation à se mettre à table. Mon majeur se pose lentement sur la queue de détente. Ma respiration se stabilise. Le réticule de ma lunette s'aligne avec la tête de ce cochon sauvage.

Je prends une dernière inspiration. Expire lentement...

… je suis prêt.

Tant de choses pourraient mal tourner dans cette excursion. Aileen ne sait pratiquement pas où donner de la tête... Mais certainement pas du côté de ceux qui l'accompagnent. Ils ne l'intéressent pas. L'unique personne qui l'intéresse un tant soit peu est toujours à Ellia, enfermée dans une cage sans possibilité immédiate de s'en extirper. Il ne fait pas trop d'effort, Clint. Mais Aileen ne peut pas lui en vouloir. Si elle est parvenue à en sortir, elle, c'est uniquement parce qu'elle a accepté l'idée de devoir errer dans un village où elle n'a pas voulu être, au départ. Cela ne lui semblait pas si compliqué pour elle, mais elle se doute que ce n'est pas pareil pour tous. Clint est quelqu'un de très... Sauvage, disons-le. Alors cela ne risque pas d'arriver de si tôt pour lui. A moins, bien sûr, qu'il n'y ait un changement radical mais elle en doute quand même un peu. Enfin bref, il faut bien qu'elle s'occupe et qu'elle s'aère l'esprit comme elle le peut, Aileen. C'est pour cette raison qu'elle s'est portée volontaire pour cette virée, sans trop savoir où elle allait mettre les pieds. Et elle ne le regrette pas le moins du monde à présent qu'elle est à l'extérieur, loin des caravanes bondées et des visages pour la plupart maussades (quand d'autres, à l'inverse, lui semblent bien trop joyeux). Peu importe les dangers qu'elle pourra courir en cette journée, elle ne regrettera pas d'être venue. Cela lui évitera de stagner trop longtemps au même endroit, en plus de lui permettre de voir un peu autre chose. Avec cela, elle devrait tenir encore des mois à Ellia sans devenir complètement timbrée. Quoi que, c'est peut-être déjà trop tard pour ça en fin de compte.

Ce petit groupe, donc, Aileen le suit à distance raisonnable. Elle en est quelque peu détachée, par mesure de sûreté habituelle. Cela ne l'empêche pas de garder un oeil sur chacun d'entre eux, sans oublier de surveiller les alentours. Elle n'est la chef de rien du tout et ce n'est certainement pas sur elle que l'on va compter pour repérer un animal à attraper, et encore mois une potentielle arrivée humaine (ou quasi-humaine car à moitié morte) inattendue. Elle le sait. Mais comme elle ne se fie à personne d'autre, pas autant qu'à son propre jugement en tout cas, elle tient à mener ses propres observations. C'est surtout pour la seconde possibilité qu'elle tend l'oreille et conserve un regard vif et attentif. Ce n'est pas pour rien qu'elle a survécu jusque-là. Et si elle se doute qu'il y a également de bonnes raisons pour que chacune des personnes de sortie avec elle aujourd'hui soient encore vivants eux aussi... Il n'en reste pas moins qu'elle se méfie de chacun d'eux. Pour autant, lorsque, quelques minutes plus tard et après quelques mètres supplémentaires parcourus, elle croit entendre un bruit de craquement de bois, elle ne peut que s'en reporter (un peu) à eux. C'est donc un léger murmure qui s'échappe de sa bouche, tout juste audible pour ceux qui se trouvent à proximité immédiate d'eux (c'est-à-dire ceux avec qui elle a quitté Ellia il y a désormais bien une heure) : « Est-ce que vous avez entendu ça ? » L'utilité d'être plusieurs, c'est de pouvoir se reposer un tant soit peu sur les sens des autres. Et Aileen ne veut rien laisser au hasard.