« Raaah, c’est dégueu ! » Je lâchai la grimace qui allait largement avec mes propos, ayant autant envie de cracher par terre que de vomir. Bon, okay, peut-être pas, mais il fallait bien une illustration conséquente, non ? Vu la tête de ma boss à Elia, j’en avais peut-être fait un peu trop. Quoi ? Elle va aller pleurer à Vance que la petite María lui a dit que c’était vraiment une cuisinière de merde ? Parce qu’il est pas encore au courant ? Sérieux, quand je bossais dans un hôtel de la côte Ouest, ça n’avait mais rien à voir. J’avais beau n’être que second de cuisine, on me laissait parfois tenter quelques expériences et clairement, son ragoût était horrible, dégueulasse à souhait. En vrai, il n’avait aucun goût, la sauce était liquide à souhait… Elle veut nous faire bouffer de la flotte ou quoi ? « Non mais sérieux, tu peux pas servir ça ce soir. Après… C’est pas mort, hein ? On a une bonne base, faut juste parfumer un peu le truc… » Modérer ses propos. Oui, c’était pas évident, mais j’essayais toujours plus de faire ça parce que ça pourrait peut-être me sauver la mise un de ces quatre. Enfin, j’espérais sinon, c’était une foutue perte de temps. Retirant le couvercle, je relevai la puissance du feu. « Okay, déjà, il faut réduire ton jus parce que là, c’est de la soupe. Laisse tout ça s’évaporer un coup. Bon, on a une base de… C’est quoi, du chevreuil ? » L’autre acquiesça. Faire bouillir du gibier de la sorte, mais quelle connerie. « Il faut le retirer, le recouper en morceaux. Là, tu vas avoir un extérieur complétement bouilli et l’intérieur sera cru. Perso, j’m’en fous, j’ai l’habitude, mais les autres sont de plus en plus exigeants, tu l’auras remarqué… Et puis, ça te ferait chier de décevoir Vance, non ? » Si la boss était un peu réticente à suivre mes ordres, la dernière phrase acheva de la convaincre qu’elle ferait mieux de se bouger le cul.

Faire de la bouffe pour toute une ville ou presque, c’était le délire dans lequel on nageait deux fois par jour. Evidemment, il y avait une forme de troc. Chacun faisait son job, gagnait son ticket pour le dîner et youhou, on régalait l’assemblée. Depuis que j’avais débarqué, les critiques gastronomiques semblaient tous avoir fini à Elia en même temps, mais de manière positive… Sauf quand on m’imposait des trucs et que je devais juste obéir à ce que Mamá voulait que je fasse. Mais si j’voulais ma part, j’avais pas vraiment le choix, quand bien même la bouffe pouvait être dégueulasse. Pour tout le monde ça faisait quoi… Six ans, presque sept qu’on bouffait de la boite, de la viande grillée, des fruits à peine mûrs… Alors leur offrir un peu de plaisir en bouche, c’était la moindre des choses, non ? Et plus on aurait de forces, plus on pourrait se barrer de là, non ? Occupée à découper quelques légumes à ajouter dans la marmite, mon regard dévia un court instant vers ma voisine qui semblait vouloir s’attaquer à des… Champignons ? Euh… Mais ils ont une sale gueule, ceux-là, non ? « Wooooow ! Attends, tu fous quoi !? Tu les as déjà bouffés ceux-là ? » Bah non. Mais elle était conne à ce point cette meuf ? S’il vous plaît, Vance, dégagez-moi ça de la cuisine ou je la sers au petit déjeuner… « Les champignons, c’est le pire fléau de l’humanité… Ouais, après les rôdeurs, j’t’accorde ce point. T’as pas un bouquin sur le sujet, qu’on soit sûres de savoir si on peut les mettre dans le tas ? » Ah bah non, trop compliqué de lire en plus. Bon, il allait falloir qu’on soit pas totalement débiles. Dégager des champignons alors qu’on pourrait les bouffer, ce serait con. Les manger alors qu’ils sont vénéneux, encore plus. « T’as pas une bibliothèque avec un bouquin sur les champis ici ? » Apparemment pas, les gens préféraient Tchoupi. On avait tant de gosses que ça ? Mais dans un éclair de génie, elle parla d’une fille qui s’occupait de la pharmacie et qui s’y connaissait en plantes. « Bon, v’là le topo, tu t’occupes de découper tous ces légumes mais pas les champignons, okay ? J’vais aller voir cette nana avec quelques échantillons et faire le tri avec elle. Tiens, j’vais lui demander c’qu’on peut trouver en herbe aromatiques dans le secteur aussi, ça manque de thym ton truc. »

Quittant la cuisine, il ne me fallut pas plus de quelques minutes pour obtenir un nom. Nelly. ‘avais beau me creuser la tête, j’l’avais peut-être aperçue une fois ou deux, mais j’avais pas la moindre idée de ce à quoi elle pouvait ressembler. Mais c’était si important ? On m’indiqua sa caravane et ce fut sans plus de cérémonie, mon tablier de cuisine toujours accroché à mes hanches que j’ouvrais la porte de la maisonnée. « Ola là-dedans. On a une Nelly dans les parages ? »

FT. María Markle

Hop, c’est moi ! On recherche de manière rapide quelqu’un qui pourrait éviter un empoisonnement généralisé, il y a ça dans le secteur ? En ouvrant la porte à la volée du camping-car et balançant mon entrée en matière, je ne m’étais pas particulièrement attendue à trouver une fille aussi conciliante. Merde, d’habitude, les gens m’envoyaient chier. J’avais changé à ce point ? J’étais devenue un bisounours moi aussi ? Ok, demain, j’m’habille en noir et je me roule dans la poussière pour me faire un smokey. La nana se mit à rire doucement, confirmant qu’il s’agissait bien d’elle. « Bueno ! Pile la personne qu’il me faut, on a une urgence de chez urgence et tu… » EH OH ! La terre à mademoiselle je-plane-à-15-miles ? Mais elle est sérieuse là à… Merde, mais elle fait quoi en fait ? Elle étale ses petits pétales de fleur. Elle veut pas une pince à épiler aussi ? Ah mais c’est elle qui a transformé le salon d’esthétisme en barbarie du rasage ? Il fallait le dire ! Ouai, c’est pas parce que c’est la fin du monde qu’on doit ressembler à des gorilles, okay ?

Je suis sur le cul. Je suis là à venir la chercher en urgence et elle, elle joue à la dinette… Ou à remplir son herbier. C’est une foutue blague, je vois que ça. Pardon, je voulais finir. « Boah, c’est rien, les rôdeurs ont franchi la barricade et on va tous se faire bouffer mais au moins, ils auront de jolies fleurs bien rangées, c’est cool. » Railleuse ? Oui, carrément. Je me foutais un peu de sa tronche parce que clairement, il fallait pas être au bord de la mort avec une fille pareille. On tiendrait quoi ? 10 ? 20 secondes ? A tout casser. « Ça va, j’déconne. » Je levai les yeux au ciel avec une arrogance certaine. « Tu t’y connais en champignons ? J’en ai une poignée, j’suis censée sauver le ragout de ce soir mais je crois bien que ma collègue était bien décidée à empoisonner tout le village sans le vouloir vraiment… Quelqu’un devrait signaler cette débile à Vance, sérieux, l’autre jour, elle m’a sorti du laurier qu’elle n’a pas fait sécher, on aurait eu l’air con. »