Te souviens-tu cette fin d'année ? Tu avais fait les courses avec maman pour préparer les fêtes de décembre. Comme chaque année tu t'apprêtais à les passer qu'avec tes parents, mais ça te rendait heureuse. Tu aimais être avec eux, tu les aimais tellement fort que tu aurais tout fait pour eux. Tu étais dans la cuisine, la radio diffusait une de ces chansons de rock anglais dont tu raffoles, tu chantais à tue-tête quand un flash spécial a interrompu la musique. Tu as écouté avec stupeur ce que disait le journaliste à la radio. Une épidémie. Tu as tout de suite pensé à tes parents, tu t'es dit qu'ils n'étaient plus tout jeunes qu'ils étaient plus fragiles et qu'ils risquaient d'être contaminés si vous ne preniez pas vos précautions. Ta mère était dans le jardin en train de cueillir des herbes aromatiques, ton père tondait la pelouse. Tu as couru pour leur dire de rentrer. Tu ne pensais pas que ce serait si grave et pourtant... Te souviens-tu de ces jours passés à la maison, juste vous trois, à écouter la radio ? Te souviens-tu quand tu as entendu le cri déchirant de ta mère qui était sortie dans le jardin alors que tu lui avais dit de ne pas y aller ? Bien sûr que tu t'en souviens. Ce cri tu l'entends à chaque fois que tu fermes les yeux. Tu as couru et tu as vu ta mère en train de se faire mordre par cette chose. Tu as compris que cette épidémie était plus grave que ce que tu pensais jusqu'alors. Ton père s'est précipité, il a attrapé ta mère, l'a attirée à l'intérieur et a fermé la porte à double tour.

Tu as regardé ta mère agoniser. Tu as appuyé des serviettes sur sa plaie, mais au vu de la quantité de sang qu'elle perdait, une artère avait dû être touchée. Elle est morte dans la nuit. Vous l'avez pleurée papa et toi. Vous avez refusé de laisser son cadavre seul dans le couloir. Vous alliez devoir sortir le lendemain matin pour l'enterrer mais vous vouliez l'un comme l'autre rester près d'elle jusqu'au petit jour. Et alors que tu t'endormais, les yeux gonflés de larmes, les joues salées, tu as entendu un gémissement. Un son horrible à vous faire frémir. Quand tu as ouvert les yeux tu as vu ta mère qui bougeait. Tu as tout de suite pensé qu'elle était encore vivante, tu as voulu te lever, le sourire aux lèvres. Mais tu as vu son regard vitreux, sa bouche déformée et tu as entendu le son horrible qui s'en échappait. Tu as hurlé à ton père de faire quelque chose. Les morts se lèvent. Tu te souviens de l'avoir entendu à la radio, tu n'y avais pas cru tu avais pensé que c'étaient les délires de quelques illuminés qui croyaient à l'apocalypse. Et pourtant ta mère était bien morte mais debout. Ton père a refusé de l'achever, et tu ne pouvais pas le faire non plus. Il a décidé de l'enfermer dans la cave quand il a vu qu'elle essayait de vous mordre. La morsure conduit à la contamination. Si elle arrivait à vous mordre vous deviendriez comme elle. Te souviens-tu de ces nuits où tu l'entendais gémir dans la cave ? Tu pleurais dans ton lit en espérant que ce cauchemar prenne fin.

Les mois ont passé, ton père perdait peu à peu l'espoir. Vous ne pouviez plus rester chez vous, il fallait que vous sortiez, que vous cherchiez de l'aide. Vous écoutiez la radio tous les jours. Tu as entendu parler de camps qui se formaient. Tu t'es dit que c'était la seule chance pour vous de vous en sortir. Ton père ne voulait pas partir, il ne voulait pas quitter ta mère. Tu lui as hurlé dessus, pour la première fois de ta vie, tu n'en pouvais plus de cette situation. Tu t'en es voulu parce qu'il n'y était pour rien et tu t'es excusée en pleurant. Il fallait que vous restiez soudés. Il t'a écoutée et vous êtes partis. Dehors c'était la mort. Dehors c'était l'enfer. Tu n'as jamais été croyante mais pourtant si l'enfer devait exister il ressemblerait à ça. Vous avez sillonné les routes, vous essayiez d'être le moins bruyant possible. Vous évitiez de vous battre avec ces choses. Tu refusais de croire que les morts se relevaient. Tu avais l'impression d'être dans un mauvais film d'épouvante. Et pourtant c'était bien la réalité. Tes talents d'herboriste vous ont aidés à vous nourrir, à vous soigner. Vous viviez principalement dans la forêt, quand l'un dormait l'autre gardait les yeux ouverts. Ça aurait pu durer comme ça pendant longtemps.

Mais te souviens-tu Nelly de cette nuit ? De cette fois où c'était ton tour de monter la garde et que tu t'es endormie ? Te souviens-tu de ce qui t'a réveillée ? Bien sûr que tu t'en souviens, ce sont les cris de ton père qui t'ont sortie de ton sommeil. Ton père qui se faisait dévorer par une créature alors que tu dormais paisiblement. Tu as dû attraper cette barre de fer que vous aviez récupérée et tu as dû l'abattre sur ce monstre mais aussi sur ton père. Car tu savais qu'il allait se relever Nelly. Et cette culpabilité qui te ronge depuis cette nuit-là. Cette nuit où tu as tué ton père.

Tu as dû continuer toute seule et tu en as vu des horreurs. Tu as vite compris que les zombies n'étaient peut-être pas les pires monstres présents sur cette terre. Seule, petite chose fragile, tu as été à de nombreuses reprises la cible d'animaux sanguinaires prêts à tout pour satisfaire leurs besoins les plus primaires. Maltraitée, presque violée, battue, tu en as vu de toutes les couleurs. Mais tu as réussi à t'en sortir à chaque fois. Tu t'es toujours dit que tes parents continuaient de veiller sur toi. Et tu as arrêté de faire confiance aux autres êtres humains. Tu as préféré vivre seule, apprendre à survivre seule, apprendre à te défendre seule. Tu as développé des capacités que tu n'aurais jamais pensé posséder. Tu es devenue plus forte, plus courageuse et plus sûre de toi. Tu te sentais capable de survivre seule dans la nature et quand bien même ce ne serait pas le cas, tu te fichais de mourir tant que tu ne devenais pas comme eux. Mais tu as découvert Ellia et tu as vite compris que la vie pouvait retrouver un cours presque normal. Tu t'es rendue compte que tu pouvais être utile aux autres et que les autres pouvaient t'être utiles. Petite poupée sauvage, petite poupée de porcelaine fissurée, tu essayes de réapprendre à vivre avec les autres, surtout avec les hommes en qui tu n'as plus du tout confiance.