C'était donc en compagnie de ma soeur et de ... Ivy, que je venais de quitter le campement pour tenter de trouver cette putain de zone 51. La petite brune avait vraiment intérêt de ne pas se tromper sur ce coup là. Parce qu'elle allait devoir supporter mes railleries jusqu'à la fin de l'une de nos deux vies, si jamais elle s'était plantée. Elle me semblait encore dotée d'une certaine naïveté .Et c'était bien à cause de ça qu'on se trouvait actuellement en route pour un ailleurs qui, j'en étais toujours persuadé, n'existait pas réellement.  J'avais bien entendu ce message, bien sûr. Mais je continuais de penser que c'était un truc enregistré depuis des lustres. C'était évidemment pas crainte d'être déçu, que je refusais autant de croire en la possibilité d'un camp de survivants. Je savais que le retour à la réalité serait vraiment atroce et douloureux. Surtout pour Ivy. Et bizarrement, c'était ce qui me dérangeait le plus. Qu'elle réalise qu'elle s'était bercée d'illusions. Parce qu'il semblait évident qu'elle allait en souffrir. Et ... ouais, cette idée m'emmerdait plus encore que je ne voulais bien me l'avouer.  Et ce constat me gênait vraiment. Je ne voulais pas tenir à quelqu'un comme je tenais à elle. Ressentir le besoin de garder ma propre soeur en vie, était déjà assez chiant comme ça. Je n'avais pas besoin d'avoir le besoin de surveiller les arrières d'une autre personne.

"Putain Ivy, ça fait des lustres qu'on roule ! On va pas pouvoir continuer comme ça 'core longtemps. Le réservoir d'essence est pas infini !" Grommelai-je pour la centième fois au moins, depuis que nous étions partis du campement et que je suivais une route sans la moindre conviction. Réaliser que je ne faisais ça que pour faire plaisir à la gamine, était un constat vraiment alarmant. Qui me dérangeait beaucoup. Et me faisait carrément flipper. Et je n'étais pourtant même pas capable de me raisonner.  Un énième soupir de frustration m'échappa. Et je continuais pourtant d'avancer, sans être trop certain d'avoir ensuite assez d'essence pour faire demi tour et revenir au campement. Même avec le bidon qu'on trimbalait dans le coffre. S'éloigner autant était vraiment une idée insensée. Et tout ça pour un putain de message radio. "Si y'a pas assez d'essence pour rentrer, vous pousserez la caisse !" Déclarai-je avec humeur. Et j'étais si déconcentré par tout ça, que je du mettre un coup de frein brutal, quand  je réalisai qu'un demi rôdeur était sur la route. Il redressa la tête vers nous et tendit un bras décharné en direction de la voiture. Nouveau soupir de lassitude.

Avec un je-m'en-foutisme spectaculaire, Andrea s'avachit sur le siège arrière. Pieds croisés sur le bord de la fenêtre ouverte. Après tout, pour la première fois depuis des lustres, le soleil est au rendez-vous. La sortie est plutôt chouette et changeante, son frère est en vie, et le regarder échanger quelques pics avec la grande brunette rachitique a le don de la faire marrer.  

“- Putain Ivy, ça fait des lustres qu'on roule ! On va pas pouvoir continuer comme ça 'core longtemps. Le réservoir d'essence est pas infini ! Râle son frère au bout d'un moment de silence.

Tiens, ça faisait longtemps. Mais il n'a pas tord. Bras croisés, l'ex-tueuse à gage fixe le toit de la voiture, d'un gris terne et tâché par-ci par-là de croutes de sang. Sûrement l'œuvre d'un canon scié, ou d'un coup de poignard bien placé, qui sait. Sa tête se penche lentement sur le côté, alors qu'elle semble totalement détachée de l'énième échange entre William et Ivy.

- La radio est de plus en plus net ! Proteste la jeune femme. Et un énorme 'PAF' l'informe que la dite radio vient de se manger la mandale du jour. Quelques mots étouffés s'échappent de l'appareil, scandant encore et encore le même refrain.  

- Tu veux pas éteindre ce machin, Ivy ? Demande Andrea d'un ton neutre. Sans pour autant laisser une pointe d'autorité dans son timbre. Vieux réflexe. D'habitude, ça marche.

- Même pas en rêve, c'est le seul 'GPS' qu'on est ! Réplique la tête de mule.

D'habitude.

Un haussement d'épaules qu'elle seule peut deviner, et la brune continue sa contemplation. A force de faire une fixette sur ses tâches, ses dernières commencent à prendre la forme de chimères morbides. Un petit pistolet par là, un poulet par-ci. Elle s'emmerde vraiment.

- Si y'a pas assez d'essence pour rentrer, vous pousserez la caisse ! Les interrompt William, insensible à l'échange. Bah bien-sûr, il fait encore comme si elle n'existait pas ! Tête de lard.

- Même pas en rêve. Crache à nouveau Ivy.

- Y a un poulet qui fait de la chasse sur le toit de la voiture, se contente de rétorquer Andrea, faisant volontairement un parfait hors sujet pour signifier sa désapprobation. Mais la plaisanterie s'arrête là, alors qu'un coup de freins brutale éjecte la veuve de son siège. Heureusement pour elle, ses réflexes lui permettent de s'accrocher rapidement aux sièges, avant de se redresser.

- Quoi ? J'ai dis ça comme ç … Commence-t-elle, vivement interrompue par une main fragile balayant l'air. Rapidement, Andrea suit la direction montrée par Ivy, avant de voir le cadavre décomposé d'un zombac bavant sur le goudron sale et noircie.

- Eh merde … Soupire-t-elle, soupire faisant échos à celui de son frère.

Forcément, il fallait que cet espèce de saloperie puante soit en plein milieux de la route !  

- Hum … Lâche Ivy d'un ton tremblant, faudrait virer ce truc de là.  

Et ce n'est pas une question, et à peine une suggestion.

- Tu devrais apprendre à en tuer, au moins un petit peu. Lâche la brune d'un ton dépourvu de reproches.  

Et à la jeune femme de tourner la tête vers elle, si brusquement que son cou craque légèrement, mais la russe fait mine de ne rien sentir, avant de lui jeter un regard accusateur.

- Quoi ? Elle a dis ça comme ça.

- Tu veux vraiment jouer à ça, maintenant ? On est proches, là ! Il est hors de question que je me tape une crise d'angoisse pour un seul macchabée manchot et unijambiste ! Et cherche pas à savoir pourquoi ! S'énerve-t-elle. A sa grande stupeur. Voilà une réaction fort … intéressante.  

- D'accord, d'accord ! Mais je trouve que t'en fais un petit peu trop, si tu veux mon avis. Capitule l'américaine avant de sortir de la voiture, chopant sa lame pour s'élancer jusqu'au mort d'un pas souple. Laissant ainsi les deux autres seuls.  

- Nan, je veux pas de ton avis,” grommelle Ivy, fixant obstinément la petite radio entre ses mains. Tournant le dos à William et fixant obstinément l'a lisière d'une forêt décrépie.

C'était insupportable de vouloir croire les espoirs stupides d'une gamine qui ne prenaient même pas forme. On roulait. On roulait encore. Et encore. Ne trouverait-on jamais cette putain de zone ? Ca me semblait plutôt mal barré en tout cas. Et pourtant je continuais. Sans jamais m'arrêter. Ce n'était pourtant pas la lassitude qui manquait, ni l'envie de faire demi tour. Malheureusement, je doutais d'avoir assez d'essence dans cette putain de caisse, pour pouvoir faire marche arrière. Il serait donc préférable que nous parvenions enfin à cette zone, si seulement elle existait réellement. Ce dont je doutais de plus en plus. Et ça m'emmerdait grave. "Y a un poulet qui fait de la chasse sur le toit de la voiture." J'eus tout juste le temps de lui lancer un regard franchement noir via le rétro, que je du donner un brutal coup de frein pour ne pas rouler sur le demi zombie qui traînait, en plein milieu de la route, de notre foutu chemin. J'étais derrière le volant. Il serait donc idiot que je le quitte. Trop risqué surtout. Si jamais on devait repartir en catimini, il faudrait attendre que je sois de retour et bien installé derrière le volant. C'était donc à l'une des deux femmes de se charger de cette merde rampante. Et aucun doute que ça n'allait pas être Ivy. Raison pour laquelle je ne fis même pas la moindre demande et attendis juste qu'Andrea se décide à sortir s'occuper de ça. Leurs échanges m'arrachèrent un grognement d'agacement. J'allais en tuer une des deux d'ici à cinq minutes. Ou les deux, pour être plus tranquille. En attendant, je vins cogner mon front contre le volant, une fois, deux fois, trois fois. Non, je n'étais pas en train de faire une crise de schizophrénie ou autre truc du genre. Juste en train de lutter contre un agacement grandissant, qui allait bientôt me faire imploser.

"Nan, je veux pas de ton avis." Je crispai les mâchoires. Une fois. Deux fois ... "TA GUEULE !" Tonnai-je un peu plus fort que prévu, en me redressant pour lui lancer un regard noir et me fichant bien qu'elle n'en prenne pas connaissance, puisqu'elle me tournait ostensiblement le dos. "Putain j'ai l'impression d'être dans une cours d'école !" Ajoutai-je sur un ton à peine plus bas, en reportant mon regard sur Andrea. "Ivy, j'te jure que si on trouve pas cette putain de zone, j't'en fous une. Ou j'te fous seule face à un putain de rôdeur et tu t'démerdes avec ça." Grommelai-je avec emportement, moi même incapable de savoir si j'étais ou non sérieux et si j'en serais réellement capable ou si pas du tout. Sans doute que oui. Et puis aucun doute que je capitulerais et ferais marche arrière dès l'instant où je l'aurais vu prise de panique, devant son incapacité à tuer l'une de ces merdes. C'était là une chose que je ne comprenais toujours pas d'ailleurs. Je ne comprenais pas pourquoi elle était toujours aussi peu capable d'en "tuer" un. Ce n'était pas comme si ces merdes étaient encore en vie. Mais soit, nous ne parlions pas assez -pas du tout en fait- pour qu'elle puisse un jour se livrer à moi. Et puis je m'en foutais d'abord. En quoi ça m'intéressait le pourquoi du comment elle était ainsi, hein ?

La grande tiges aux membres finement musclés s'extirpe de la carcasse de ferraille, se mouvant et s'imprégnant du nouvel endroit. Cette route, elle l'a connait. Pour y être passée mainte et mainte fois avant l'épidémie. Un simple trajet, un point qu'on traverse à toute allure sans prendre le temps de s'arrêtant, tout en croyant pouvoir le faire un jour. Une idée qui s'impose à votre esprit sans réellement prendre l'ampleur. Et puis, elle avait laissé ça de côté. A part le goudron, la lisière et l'immense panneau qui lui tourne le dos Andrea ne connait absolument pas l'endroit. Y a t-il un sentier dans le sanctuaire boisé ? Ou seulement un immense labyrinthe d'arbres ? Dans ses songes, elle entend à peine son frère qui se met à beugler dans l'habitacle fermé de la voiture, tandis qu'elle se dirige tout droit vers la carcasse du macchabée. Entend l'habituel râle rocailleux des tréfonds de sa gorge. D'une moue blasée et peu émue, elle observe la bestiole décharnée. Un globe pendant de son oculaire, retenu uniquement par un tendon de chair. L'odeur est toujours aussi infecte, et c'est bien l'une des rares choses à laquelle on ne s'accoutume pas. Les dents encore intactes du mort claquent, et la seul mains décharnées encore valide se tend vers la chair tendre et vivante de la survivante. Et d'une moue dédaigneuse, elle traîne autour du macchabé, lui tournant autour tout en jetant un coup d'œil par-dessus son épaule, distinguant une Ivy rouge de colère. Tiens, y a encore de l'eau dans le gaz. Haussement de sourcils. La grande brune se détache du spectacle sans intérêt, pour sortir la lame de sa botte. Et dans un mouvement vif, elle assène un coup rapide et précis dans le crâne du mort. La lame brille à la lueur du soleil, et le craquement écœurant typique lui confirme qu'elle a bien percé le crâne moue du macchabé.


“ - TA GUEULE !
Ca claque dans l'air. La jeune femme sursaute légèrement, yeux rivés sur une tâche souillant le verre . Dents serrées.  
- Putain j'ai l'impression d'être dans une cours d'école ! Qu'il ajoute aussitôt, d'un ton tout aussi tonitruant. Au delà du point qu'elle fixe, elle sent presque la présence de la sœur de William, qui semble de son côté se moquer parfaitement de la dispute qui menace entre les deux protagonistes. Mais elle tient bon, la jeune femme se contente de tourner ses globes vers le rétroviseur, veillant à ce qu'aucun macchabé n'apparaisse par derrière. La voiture stoppée en plein milieu de la route, elle sent ses nerfs se tendres de plus en plus, inquiète à l'idée d'être obligée de sortir de là.  
- Ivy, j'te jure que si on trouve pas cette putain de zone, j't'en fous une. Ou j'te fous seule face à un putain de rôdeur et tu t'démerdes avec ça. Grogne-t-il, faisant grimper le rouge à ses joues sans s'en rendre compte. Sûrement qu'il ignore qu'il commence à toucher un point plus que sensible. S'emporter doublement contre lui n'arrangera rien, au contraire. Et hurler à plein poumon, coincés entre deux lisières d'une foret peut-être infestés de morts-vivants est une très mauvaise idée. C'est donc lentement, qu'elle inspire et expire, serrant les bords de son siège à s'en faire mal. Jointures blanchies par la pression, elle se racle la gorge. Et dans un effort surhumain, elle articule, son accent russe tranchant dans ses syllabes aux allures neutres :  
- Comme ça on sera quittes.  "
Pour la baffe, elle entend.


Mort. Pour de bon cette fois. La brune tend l'oreille, réalisant que le silence domine. Et doucement, elle attrape la carcasse, chopant les tissus souillés qui enveloppent la chair noire et décomposée, de sang et de sueur. Ou quelques autres liqueurs peu gourmandes, pour tirer le corps mutilé de la route. Dos courbé, Andréa tire la masse organique, laissant sur son sillage une traînée sanglante. C'est plus noir que rouge. Rapidement, l'ex-tueuse à gage atteint le faussé de la route pour jeter le corps, libérant ainsi le passage d'une route déserte. Dans un soupire la jeune femme se redresse, essuyant ses mains et sa lame dans l'herbe, et peut-être un peu sur l'étoffe du cadavre, avant de remuer ses rétines dans ses globes. Une main en visière, elle tente de distinguer les limites de la route. Mais il lui semble pourtant que ça ne mène à rien. Des kilomètres et des kilomètres les attendent, et l'essence manquera forcément, comme l'a signalé son frère. Ses dents viennent mordre sa lèvre inférieur, alors qu'elle se redresse, se détournant pour aviser l'immense panneau publicitaire qui s'étend sur trois bon mètres de hauteur. Et lentement, de reculer, bouche ouverte.
- "… Putain … Pince-moi, j'rêve … Qu'elle articule lentement.
Et sur le panneau, en lettres grasses et maladroites, d'une peinture bavant sur l'affiche d'une vielle marque de produits électroménagers.  

- Bordel de …  
C'est prunelles écarquillées qu'elle détourne la tête pour fixer le soleil. Voilà trois heures qu'ils ont quittés le camp. Trois heures de l'après-midi environs. La brune se retourne, encore et encore, s'arrêtant au milieu de la route tout en levant une main, doigt pointé droit devant elle. La forêt. Ils doivent traverser cette putain de forêt.
- Will … Ivy !" Qu'elle s'exclame, laissant tomber son bras contre sa hanche pour aviser à nouveau le panneau. Puis les immenses troncs encore dépourvus de feuilles. Venez-voir ça, tout de suite ! Qu'elle crache d'une voix sèche, posant par réflexe une main sur la cross de son arme.

Je n'aurais jamais du accepter qu'Andrea se joigne à la partie. Ou me joindre à la partie, moi. Bref, je n'aurais jamais du être en leur compagnie à toutes les deux. Je l'avais tout de suite regretté et maintenant, plus que jamais. Garé en plein milieu de la route, moteur coupé, j'attendais que celle qui me servait de soeur, achève le rôdeur qui nous bloquait la route. Mais j'avais à peine conscience de ce qu'elle était en train de faire, parce que j'avais l'esprit bien trop accaparé par l'autre jeune femme qui nous accompagnait et qui me tapait tout autant sur le système depuis le début : Ivy. Je me foutais complètement de sa réponse. Je me foutais complètement de beaucoup de choses. J'avais la furieuse envie de faire demi tour et je ne comprenais vraiment pas ce qui m'empêchait de le faire. Depuis quand est-ce que je me laissais embarquer dans des histoires sans queue ni tête, comme celle ci ? Depuis quand je suivais sans l'ombre d'une hésitation ? Depuis quand ? Nouveau soupir à la réponse d'Ivy dont je ne comprenais même pas le sens. Mais je m'en foutais. Complètement. Et mon regard dériva enfin en direction d'Andrea qui semblait soudainement s'animer au dehors.

Je la vis, plus que je ne l'entendis, qui nous interpellait. Sourcils froncés, je lançai un bref regard en direction du retro, pour m'assurer qu'aucun bouffeur de chaire n'était en train d'approcher de la voiture. Et enfin, j'en descendis, arbalète à la main et prête à être utilisée, plutôt qu'avec la bandoulière autour de l'épaule. "Quoi encore ?" Soupirai-je avec lassitude, avant de rejoindre à pas traînants, Andrea qui nous attendait quelques mètres plus loin. Enfin, mon regard suivit le sien. Et ce fut donc ainsi que j'aperçu le panneau aux mots peints de façon grossière. Je soupirai pour la millième fois de la journée au moins et levai les yeux au ciel. "Vous êtes en train de nous embarquer dans un putain de piège, je le sens." Grommelai-je froidement avant d'observer les environs. Le Nord. Ca nous poussait, soit à tenter de contourner la forêt mais je doutais que l'on ait assez d'essence pour ça. Soit à traverser ladite putain de forêt. Autant dire se fourrer dans une merde pas possible, pour un peu que notre chemin croise celui d'une horde. Sur la route, on pouvait courir et encore courir. Mais dans une forêt, on serait vite piégés, pour un peu qu'ils soient trop nombreux. "Tu réalises qu'on va devoir traverser la forêt, je suppose ..."