I just got lost. Every river that I tried to cross, every door I ever tried was locked. I'm just waiting 'til the shine wears off

« Non ! Non ! J'veux pas » Le choix, je l'ai pas. Soit je reste et on se fout en danger tous les deux soit j'accepte de me séparer de lui pour qu'on puisse fuir de cette maison en vie. Est-ce que ça vaut la peine de se séparer en vie si c'est pour finir mort chacun de son côté ou grand pire, ne jamais se retrouver ? Merde. « William » J'implore, du regard, un regard qui commence déjà à devenir humide car je le sais, la seule solution est inévitable : me séparer de lui, lui que je n'ai jamais quitté plus de dix minutes. « Reste en vie surtout, vieux pecno ! Qui j'ferais chier après moi ? » Et sur ces mots que j'aurais aimé remplacé par tant d'autres, je me tire par la chattière de la maison, comme convenu avec William sans me retourner au risque de revenir sur mes pas.

La mécanique de mon cœur s'embourbe, prêt à imploser. Les larmes me brûlent la rétine alors que l'angoisse, la panique m'habitent sans que je puisse les expulser comme des sans papiers. La sans papier, c'est moi aujourd'hui, la sans William, la sans personne. Un gouffre s'étend sous mes pieds qui courent de façon bordélique mais qui refusent de s'arrêter. Ils ne s'arrêteront pas tant qu'ils n'auront pas atteint le centre commercial. Ma tour qui me permettra de sonder la moindre présence de William parce qu'il me cherchera tout autant que je le cherche, pas vrai ? Puis la réserve de bouffe me permettra de tenir quelque jours le temps qu'on se retrouve … parce qu'on se retrouvera, c'est forcé. Je n'accepte aucune autre alternative, aucune autre. Je ne veux qu'une chose : retrouver William. C'est tout ce dont j'ai besoin et j'ai perdu bien assez trop jusqu'ici. Je refuse de perdre encore une fois quelqu'un. Le centre commercial apparaît enfin de toute sa hauteur face à moi, j'ai l'espoir qui gonfle dans ma poitrine, celui de le croiser ici. Si ça se trouve, lui aussi est venu ici, il a été plus rapide. C'est gorgée d'espoir et d'illusions que je pénètre les lieux, alerte aux moindres sons car William peut bien être ici tout comme des rôdeurs ou d'autres êtres humains.

Le jour qui se tire m'incite à rester sur mes gardes. L'envie me prend de gueuler dans tout le centre commercial le nom de Rockson pour savoir s'il est là mais ça risque d'attirer tous les rôdeurs, non merci. On va la jouer fine et plus intelligente. Sûr que si le blond pitbull a vent de ça, je vais en prendre plein la face pendant des semaines : stupide femelle inutile. Rha ! Même quand il est pas là, il arrive à me gonfler. Je pénètre une première boutique, ce qui semblait être un salon de thé vu les vestiges qui restent. Je déniche une bouteille d'eau et me planque derrière le comptoir pour pouvoir la boire tranquillement. Un bruit m'alerte, un bruit de pas qui vient dans ma direction. Ce n'est pas le son trainant des pas d'un rôdeur, non, c'est humain. Sans réfléchir, je bondis sur mes pieds, un sourire soulagé sur le visage. « William ?! Je suis là ! » Dégringolade. Ce n'est pas William mais une femme alertée par ma voix et mon bras levé. F-U-C-K. Mon faciès dégouline, déception greffée : mes espoirs se pètent la gueule et moi avec. Dans la panique, j'attrape le canif dans la poche de mon jean et le pointe vers elle d'une main tremblante plus pour la forme que par réel intention de blesser. J'ai jamais blessé personne. Pourquoi j'en aurais eu besoin ? William veillait sur moi       

I just got lost. Every river that I tried to cross, every door I ever tried was locked. I'm just waiting 'til the shine wears off

Indépendance : ce n'est pas un mot qui a souvent foulé mon vocabulaire et ce, déjà bien avant l'épidémie. Je me suis toujours reposée sur mes frères et rien que sur eux. Ma vie ne se résume qu'à des pics de solitude puis des pics où je pouvais me reposer sur ma fratrie. Aujourd'hui, je suis en plein dans un pic de perdition : mes frères sont dans un ailleurs auquel je n'aurais jamais accès et William, présence fraîche dans ma vie est aux abonnés absents. Je ne suis pas capable de survivre seule et ça, c'est quelque chose que je sais mais que j'aimerais changer sauf que je n'ai pas un mode d'emploi, aucune idée de comment faire. Je singe gauchement ce que j'ai vu faire, ce que mes frères faisaient, ce que William fait, je les prend en exemple sans réellement savoir si c'est la bonne chose à faire, c'est juste ce que j'ai toujours vu jusqu'à ici. Si ça ne tenait qu'à moi, que ferais-je ? J'en ai aucune putain d'idée. Je n'ai jamais eu à prendre une décision jusqu'à aujourd'hui, juste à écouter au doigt et à la lettre mes frères ou William. Bien que ce dernier, si je pouvais faire sans, ça serait un réel plaisir. Obéir à mes frères, c'est une chose, obéir à ce vieux pecno, c'en est une autre. Mais là, la décision que je dois prendre c'est si je peux me fier à la femme en face de moi, est-ce que je peux la croire mot pour mot ? Je ne sais pas, je suis perdue. Je pourrais lui donner gain de cause, après tout, les personnes qui nous ont attaqué mes frères et moi n'ont toujours été que des hommes à l'air louche et elle, je dois bien l'avouer qu'elle n'a rien de malsain, je ne crois pas voir dans son regard une once d'agressivité ou de menace. Chose exacerbée quand je la vois lâcher son couteau qui part se vautrer sur le sol. Est-ce suffisant pour lui accorder ma confiance ? Après tout, c'est une preuve de bonne foi non ? Je ne sais pas, je ne sais plus rien. Comme un animal apeuré, je recule, incertaine ne sachant pas si moi aussi je dois me défaire de mon canif minable mais seule arme que j'ai en ma possession. C'est le job de William d'avoir de quoi saigner d'autres personnes, pas moi. « T'as d'autres armes sur toi ? » Que je demande d'une voix à peine inaudible. C'est sûr, je manque cruellement de crédibilité et de quoi l'intimider. Et si c'était quelqu'un de bien ? Quelqu'un que je menaçais d'un canif pathétique. Puis-je faire confiance à une femme, étant une moi aussi ? Au fond, elle risque pas de me violer, ça c'est au moins la seule chose dont je suis certaine. Alors mon bras se baisse mais le canif ne repart pour autant dans le fond de ma poche.  « J'ferais rien si t'me fais rien aussi » Ca sonne comme une trêve de paix en amont bien que je sais que je n'arriverais pas à lui faire quoique ce soit si elle décide de m'éliminer de la surface de ce jadis salon de thé.