Le bruissement des arbres, le vent balayait les feuilles alors que j’avançais à la lumière d’un soleil brûlant mais d’un air mordant. Je remontai les manches de mon gilet sur mes épaules tandis que les bruits environnants ne me disaient rien qui vaille. Je n’étais guère rassurée mais j’avais choisi. Nous étions avec un petit groupe depuis quelques temps et je ne quittais guère Jason d’une semelle, même sans me voir, j’avais toujours un œil sur lui par peur de perdre mon protecteur ou pour une raison plus intime et moins aisée à discerner ? Quoi qu’il en soit, tôt ce matin, avant même mon réveil puisque suite à ce dernier, j’avais arpenté notre campement en vain, Jason avait filé. En quête d’informations, j’avais obtenu de quelques-uns qu’il était parti tôt en direction de la ville pour nous trouver de la nourriture. Mon sang n’avait fait qu’un tour, encore une fois, je perdais pied et je ne savais point à quoi me raccrocher. Je n’étais pas aventurière pour deux sous surtout depuis l’annonce de l’épidémie mais je ne pouvais rester avec ces étrangers, il me fallait retrouver, quoi qu’on en dise, ma famille. De plus, j’étais encore plus en sécurité seule avec les rudiments de combat que m’avait octroyé Jason plutôt qu’avec ce groupe non initié qui s’éparpillait, commençait à faire trop de bruit et ne savait que peu manier le couteau. Je ramassai mes affaires et je filai en direction de ce sentier qui s’élargissait ensuite pour laisser entrevoir les prémices d’une route goudronnée.

J’avais pris le chemin depuis une demi-heure que déjà j’étais tétanisée, livrée moi-même. Je ne pouvais vivre sans cet homme et j’avais honte de moi pour cela. Pourtant, lorsqu’il était absent, je me sentais incomplète, totalement démunie. Je chassai ces mauvaises pensées d’un hochement négatif de la tête avant de me mettre sur le bord du chemin afin d’être abritée par les grandes branches. Néanmoins, mes pas et mon odeur risquaient bien de trahir ma présence. D’ailleurs, il ne fallut guère longtemps pour que je fusse prise de panique. Au loin, j’entendis un bruit peu distinct, peut-être n’était-ce rien de grave mais j’avais appris à me méfier du moindre clapotement de l’eau. Ainsi, je pris mon couteau en main sans grande conviction avant d’avancer beaucoup plus vite en me retournant de temps en temps pour voir si quelque chose approchait. Toujours rien….pourtant, je n’étais pas folle ni malentendante et il y avait bien quelque chose. Je me refusais de crier, cela signerait mon arrêt de mort. Alors que cela se rapprochait, je me mis à courir de toutes mes forces. Je ne pouvais l’appeler et je suffoquais de son absence. J’avais peur, je voulais le voir. J’aurai donné n’importe quoi pour qu’il soit là en cet instant.

Je courrais depuis une bonne dizaine de minutes avant de bifurquer et de m’enfoncer dans un sentier pas très éclairé, pensant peut-être trouver là ma rédemption. J’entendis des pas et toujours cette chose que je fuyais. Je me dirigeai d’une force phénoménale et insoupçonnée dans la direction des pas et je tombai nez à nez avec Jason sur lequel je me jetai violemment sans penser à autre chose. « Je te déteste ! Pourquoi tu m’as laissé là-bas. Tu m’as abandonnée. » Oui mes mots étaient durs et secs et je lui en voulais. Secouée par les sanglots, je m’agrippai à son corps sans vouloir le lâcher. « Il y a quelque chose qui me suit…J’ai peur. » Oui j’étais semblable à une enfant mais il était mon seul rempart face cette réalité des plus amères.

LJe ressemblais à une lionne perdue dans la savane en cet instant ou à ces orphelins que l’on laisse seuls devant une église faute de moyens pensait leur vie plus choyée en compagnie d’étrangers que de leurs pairs. Je ne pouvais souffrir cet abandon et les larmes se mêlèrent à mes mots alors que j’enfouissais mon visage contre le torse de Jason afin de calmer les tensions qui entraînaient les palpitations de mon cœur. N’était-ce pas plutôt sa proximité qui rythmait ces-dits battements ? Je n’étais pas en état de répondre à cette question. Au lieu de cela, je redressai ma tête et agrippai fermement la main qu’il me tendait. Je ne voulais plus le lâcher. « Non en effet, tu es toujours là….c’est pour cela que j’ai paniqué, désolée. » C’était stupide, je devrais être plus sage et responsable mais je dépendais de cet homme. Je l’observais encore dominer la situation, une fois de plus et m’expliquer que je craignais rien. Allait-il un jour lâcher cette carapace pour laisser transparaître son chagrin ? Devenir cet être doué de sentiments qui m’avait laissé perplexe suite à son aveu ? Néanmoins, je me complaisais dans cette situation de protecteur / protégée puisque je me voilais la face et je savais que si ma vie était menacée, il offrirait la sienne. Etait-ce égoïste ? Je n’étais pas capable de pleurer les autres et je désirai que très peu m’attacher et le seul être auquel je me raccroche, je l’enverrais en pâture pour moi ? Je ne pense pas. J’aurais, ce jour-là, assez d’audace pour me jeter devant lui car je lui suis redevable à un point de non retour…

Nous marchions dans l’anonymat et je n’avais prononcé aucun mot laissant mon index courir de sa main comme pour signifier ma présence et mon remerciement pour ne pas s’être fâché, pour toujours agir en brave héros. Cela faisait quelques minutes et je choisis d’ouvrir ma bouche car les palpitations de mon cœur et de mon âme s’étaient calmées. « Ils m’ont seulement dit que tu étais parti. Je ne pouvais pas rester là-bas…pour me faire massacrer et sans retrouver ta trace. » J’avais laissé échapper des mots. Il fallait que je me rattrape : « Et si tu voulais me semer, et bien c’était raté. Je ne me laisserai pas mourir pour un combat perdu d’avance. » Je faisais référence aux siens qui s’étaient jetés dans une bataille qui n’aboutirait qu’à leur mutation et mort, j’en voulais à Richard de ne pas être resté avec moi alors que Jason l’avait fait. J’en voulais aux miens d’être loin, j’en voulais à la terre entière et même à Jason, une forme d’auto-destruction que je m’infligeais probablement.

Je sentis des frémissements en contrebas, des feuilles qui volaient, des brindilles piétinées. J’étais faible, au moindre bruit cette scène remontait en moi et j’avais besoin de me raccrocher à quelque chose, à quelqu’un…à cette unique personne. J’avais essayé de changer de « protecteur » mais cela n’avait pas fonctionné, je cherchais aussitôt son regard, sa présence. Je serrai fermement sa main en me plaçant un pas devant lui. Il avait réveillé le peu d’assurance que j’avais mais sûrement pas pour longtemps. « Tu vas me dire que c’était encore mon imagination ? » Encore une pique mais qu’importe, je cherchais de ma seconde main la sienne encore libre afin d’être certaine de ne pas le lâcher. Des ombres dansaient derrière ces feuillages mais rien n’était moins sûr que des rôdeurs et si cela s’apparentait à un mutant, à un humain en train de muter ? J’allais revivre encore cela et s’il mordait Jason. Je sifflai entre mes dents, angoissée : « Ne viens pas à mourir, je ne veux pas avoir à verser de larmes pour toi. »

Du temps…voilà ce qui nous faisait défaut. Je songeai à tous ces jours que nous avions passés côte à côte comme un frère et une sœur par alliance. Jamais je n’avais soupçonné de quelconques sentiments de la part de Jason. J’appréciais sa compagnie même si l’éternelle comparaison entre les deux frères m’avait agacé au plus haut point. Comment aurais-je pu deviner ? Peut-être les choses auraient-elles été différentes si j’avais su plus tôt ? Je n’en suis pas certaine quoi que…il a toujours eu cette aura qui m’attire, qui me dit que l’on peut avoir confiance en lui. Encore aujourd’hui je sens cette force qui n’est pas mienne et dont je m’empare façon de dominer ce sentiment d’impuissance qui me pèse. « Moi aussi je suis là même si je ne te le montre pas. » Il pouvait compter sur moi malgré mes écarts et mes sautes d’humeur. Je n’avais que lui ma seule et unique famille, celle qui ne m’abandonnait pas. Avais-je besoin de lui pour me rattacher à la réalité comme une passerelle invisible ou était-ce plus ? Je le savais au fond de moi mais je ne souhaitais me l’avouer.

Nous marchions mais dans la main jusqu’à ce qu’il m’ordonne de passer devant et, sans sourciller, je m’exécutai car il savait gérer la situation et j’étais novice dans cet art. Ces phrases réchauffaient mon cœur un peu trop meurtri ces derniers temps et j’avais dans l’idée que j’étais plus un poids pour lui en cet instant qu’autre chose. « Désolée de t’avoir suivi car maintenant je te ralentis mais c’est pareil, il ne doit pas t’arriver malheur alors oui, reste en vie aujourd’hui et pour toujours. » Non pas qu’il y ait que moi mais il est un pilier de choix dans la résistance de par son éducation militaire. Les sons se faisaient insistants, se rapprochaient, je pressai le pas mais me retournai continuellement pour voir s’il était toujours à mes côtés. Au bout d’un certain temps que nous nous enfoncions sur le chemin qu’avait désigné Jason comme sûr, je sentis quelque chose qui n’allait pas comme un pressentiment…qui ne rate pas. Trois individus sortirent de l’ombre des feuillages, bâtons acérés dans la main, l’air peu valeureux et l’odeur pestilentielle. Ils appartenaient à notre espèce mais semblaient sortir d’une vieille série B à la recherche d’un peu de compagnie féminine…D’ailleurs, l’un d’eux s’avança vers moi me menaçant de son arme. « Déposez vos armes à terre et donnez-nous tout ce que vous possédez ». Je n’avais rien ou du moins quelques bijoux et mon sac, je ne savais que faire, je cherchai du regard Jason et décidai d’obtempérer, je déposai donc mon sac à terre. Les deux autres se dirigèrent vers mon protecteur dans le but de le détrousser, le charcuter ou que sais-je ? Je ne lui faisais pas face et je ne savais que faire. L’homme s’approcha encore un peu plus de moi et prononça des mots peu orthodoxes à voix basse, il s’agissait de propos houleux qui, si j’avais été en pleine possession de mes moyens, lui aurait valu une gifle en bon et due forme. Je frissonnais, je n’envisageais pas qu’il puisse poser ses sales pattes sur ma personne. J’aurais presque préféré qu’une bande de zombies nous assaille au moins Jason aurait pu agir comme tant de fois je l’avais vu faire mais celle-ci, il était aux prises avec ces malfrats bien que trois individus ne devraient pas lui faire peur. Alors par pur égoïsme et peur aussi, je rajoutai des mots à voix audible pour que mon agresseur les entende et prenne peut-être peur : « Lui, là-bas, il va tous vous désarmer et vous donner en pâture aux rôdeurs. Je prendrai mes jambes à mon coup si j’étais vous. » Evidemment, je m’en voulais de suite après car je rejetai encore une fois ma frivolité sur Jason et j’essayai de me dédouaner alors, pour l’une de mes premières fois, je fis preuve de plus de sagesse qu’il faut. S’il fallait que nos chemins se séparent et qu’un de nous deux survive, ce serait lui, assurément. « Relâchez-le, c’est moi que vous voulez, nous n’avons rien. Gardez moi sac et gardez-moi et laissez-le partir. » Mon interlocuteur sembla peser le pour et contre et prendre une décision…

Tel est pris qui croyait prendre….je pensais être la cible d’un rôdeur et voilà que je me retrouvais face à face avec le pire fléau de la planète Terre : l’humain. Fourbe, froid, tactique, exécrable, vénal…un mal que certains ont peut-être tenté d’éradiquer via cette autre menace que sont les mangeurs de chair fraîche. Je frissonnai tant l’ironie était palpable mais jamais je ne serais en mesure de réagir correctement aux paroles de Jason. Un instant, je ne réfléchis point et je pensais, égoïstement, à moi. Je pris donc mes jambes à mon cou mais, une centaine de mètres plus loin, elles refusèrent d’aller plus loin. J’étais clouée sur place et mes pensées étaient plus claires maintenant que l’oxygène était monté à mon cerveau. Je ne pouvais laisser cet homme là-bas aux prises avec ces malfrats. Comment avais-je pu, naïvement, encore boire ses paroles et penser que ce serait la meilleure solution ? Le courage me faisait défaut tout autant que la raison. Je retournai sur mes pas, assez rapidement, sans me faire voir. Il les malmenait mais son avantage semblait de courte durée. Que faire ? Il était blessé. Je ne pensais pas ressentir cela mais cette vision me heurta profondément. Je fus prise de nausées et les larmes baignèrent bientôt mes yeux. Pas encore, pas lui. On m’avait tout pris, il ne me restait plus que lui. C’est dans ces circonstances que je me rendais compte de mon attachement au Wayland mais était-ce parce qu’il était mon pilier ou parce que je l’aimais ? Je ne savais décrypter correctement mes sentiments et peut-être n’en avais-je pas envie, jouant de la situation. Quoi qu’il en soit, ce regain de force me permit d’analyser piètrement la situation et de lancer des pierres que je trouvai sur le sol sur nos agresseurs avant de continuer par : « Hey ! Vous êtes même pas capables d’arrêter une femme bande de nazes ! » Pas très recherchée comme réplique mais je n’avais guère la tête à faire de l’humour.

Ainsi, je continuai mon manège jusqu’à ce qu’il me remarque et que l’un des deux restants encore debout ne se tourne vers moi, l’air goguenard. Je pris alors mes jambes à mon coup comme me l’avait précédemment ordonné Jason non sans lui lancer un regard de détresse et quelques mots qui allaient avec, assez bas, à savoir s’il les surprendrait : « Jamais sans toi. » Ca voulait tout et en même temps ne rien dire, absolument rien et je pense que Jason était trop occupé pour se tracasser de mes maux. J’empruntai un sentier balisé mais où les herbes étaient devenues reines tandis qu’un râle se fit entendre. Il s’élevait de derrière les bosquets…un rôdeur. Je me stoppai nette et cela dut plaire à mon agresseur qui me lança, assez enjoué : « Sage décision ma jolie, je suis beaucoup plus costaud que l’autre qui te sert de défenseur. Il va finir mort de toute façon. » Je lui lançai un regard rempli de haine avant de répondre à celui qui confondait probablement les muscles avec son embonpoint : « Tu n’arriveras jamais à sa cheville. » J’aurais bien ajouté pervers mais la venue de notre quatrième compère était proche. J’hurlais pour me donner du courage : « Jasonnnnnnnn ! Il y en a un là-bas. » Je le voyais, il me semblait encore debout et me munissant d’un morceau de bois traînant au sol je frappais la tête de mon adversaire trop occupé à lorgner un peu plus bas, ce fut bien ma vaine ! Néanmoins, je ne savais ce qui allait advenir de nous sachant que mon adversaire titubait mais restait debout, je reculai d’un pas en direction de Jason et je me mis à courir, très vite talonnée par l’homme bedonnant, je me dirigeais vers celui que je souffrirai de perdre en espérant qu’il ne lui était pas arrivée malheur, sûrement suivie par notre futur agresseur….