Tout avait changé depuis l’arrivée de Léanor : ma façon de voir les choses, l’avenir avec Iwan, mes façons de faire. Je m’étais murée dans un silence continu, ne prenant dorénavant que peu la parole. M’éloignant du trio, j’évitais de me retrouver face à elle : ne souhaitant pas lui faire croire qu’elle était la bienvenue. Il m’arrivait de lui parler, mais ce n'était que lors de moments rares. J’avais connaissance du point de vue d’Iwan sur cette jeune fille, mais je n’étais pas de cet avis ; bien qu’elle soit diablement agaçante, il ne pouvait se résoudre à la laisser seule. Il était capable d’accueillir la veuve et l’orphelin. En temps normal, cette vision de la vie ne m'aurait pas dérangée et je l'aurais probablement saluée. Mais nous n'étions pas en temps normal : nous survivions. Et bien qu’elle l’agace autant qu’à moi, il ne voulait se résoudre à l’abandonner. J’avais, maintes fois, insisté sur le fait qu’elle fragilisait notre duo, qu’elle n’était qu’un maillon faible et nous risquions nos vies pour protéger la sienne, rien ne changeait dans l’esprit d’Iwan. Cette pensée de risquer ma vie pour cette insolente me rendait malade. Penser qu’Iwan pouvait être ne serait-ce que blessé à cause d’elle m’enrageait. J’avais beau expliquer mon point de vue, il ne s’était pas décidé à rejoindre mon avis. Voyant que je me fatiguais dans des monologues explicatifs, j’avais abandonné l’idée de le faire réagir. Je m’étais isolée, me terrant dans un silence et dans une mauvaise humeur persévérante.

Bien mal accueillie, Léanor était pourtant déterminée à rester à nos côtés. Ou plutôt collée aux basques d’Iwan. Et j’en voulais à Iwan de n’avoir que bien peu de volonté vis-à-vis de cette jeune fille. Son émotion prenait le dessus sur sa raison. J’aurais souhaité qu’il arrive à dissocier les deux, qu’il pense à nous en priorité. Depuis l’arrivée de Léanor je me sentais mal à l’aise, je ne trouvais plus ma place dans ce trio. Car, il fallait être honnête, nous n’étions plus un duo, mais bien un trio.

Je devais monter la garde de la maison de chasseur dans laquelle nous avions élu domicile. Pour combien de temps ? Nous n’en savions rien. Je me posais beaucoup de questions : devrais-je faire un ultimatum à Iwan, lui demander de choisir entre elle et moi ou alors devrais-je quitter le groupe ? Assise sur la terrasse, seule la lumière des bougies m’éclairait. Pensive, je songeai à mon avenir. La voix maintenant familière d’Iwan me sorti de mes pensées.

Tournant mon visage vers Iwan, j’acquiesçai d’un signe de tête. Puis, je me re-concentra sur le paysage plongé dans la nuit qui nous faisait face, reposant ma tête sur le mur de la maison qui se trouvait derrière moi, silencieuse.

Je n’avais pas envie de parler. Je préférais observer religieusement la noirceur de la nature qui nous entourait. Plus envie de discuter avec un homme qui ne me comprenait pas. A quoi bon ? Iwan me ferait son monologue sur ce qui est juste et bon. Evidemment, sauvé une gamine était la bonne chose à faire en temps normal. Oui, en temps normal. Sauf qu’un monde infesté de zombie n’était pas un monde dit « normal ». Et j’avais tenté à maintes reprises de lui ouvrir les yeux, en vain. Je n’avais répondu à sa demande que par un bref mouvement de tête. Pouvait-il s’assoir à mes côtés ? Si le cœur lui en disait... Il me répondit par une formule de politesse qui ne manqua pas d’ironie. Il me posa une question et me demanda s’il n’y avait pas de rôdeur en vue. Question stupide, pensais-je. S’il y en avait, je ne serais pas assise le cul par terre à les contempler. Je serais en train e leur arracher la tête.

« Non. » répondis-je par rhétorique, simplement sans renchérir, sans relancer la conversation. Il s’était installé à côté de moi. Qu’attendait-il de moi? Que je lui fasse la conversation ? Hors de question. Je m’interrogeais sur la raison de sa venue à mes côtés. Ce n'était pas son tour de garde, alors pourquoi était-il là ? « Pourtant, en tuer un ou deux, ne me serait pas désagréable » Oui, cela passerait mes nerfs et cela annonçait clairement mon état d’esprit du moment ou peut-être même de l’instant. Cela faisait quelques jours qu’on n’en avait pas vu un seul. Je trépignais d’impatience. Pour autant, j’étais quasiment sûre que qu’il ressentait la même hâte que moi. Nous ne nous étions pas regardé. Toujours pas. Comme s’il y avait eu une brisure entre nous. Comme si l’on s’éloignait peu à peu. Iwan savait quels maux me préoccupaient. Je n’avais pas besoin de réitérer mes explications.

« Insomnie ? » demandais-je par simple politesse toujours le regard encré droit devant moi. Pourquoi était-il là ? Etait-ce simplement parce qu’il n’arrivait à dormir ou voulait-il me dire quelque chose en particulier ?