Après sept ans de bons et loyaux services, Born ferme ses portes. Merci à tous ceux qui ont participé, d'une manière ou d'une autre, de près ou de loin, à son aventure.
La moto, la liberté. Un brin de folie dans cette vie trop morne, trop fade. J’ai passé le code puis les heures de plateau, fièrement. Retrouver un semblant de vie, retrouver un semblant de but dans ce train-train quotidien a été grandement bénéfique pour ma santé mentale. Au fil des jours, j’ai osé céder l’enfant à la nounou du coin. Nounou qui n’était autre que ma voisine. J’ai osé me rendre au centre-ville pour nourrir mes vagues connaissances, mes vagues envies au gré d’envies nouvelles. Sans cesses renouvelées, ces envies ont su apporter un vent nouveau sur une vie bien trop triste. Au fil des jours, j’ai appris. Repartant de zéro, me rattachant telle une diablesse sur le dos d’un taureau énervé, j’ai su progresser, décrochant le sésame tant convoité : le permis moto !
Allongée désormais sur le canapé, téléphone en main je fais défiler les petites annonces. D’un site internet à un autre, fredonnant à mi-voix une douce musique, mon regard n’a de cesse que de faire la navette entre les différents articles bradés pour des raisons qui me sont inconnues. Matérialiste, je ne comprends pas comment on peut céder -même à prix d’or- bien des possessions. Ce qui m’appartient, m’appartient. Point. Pas de négociations possibles, pas de troc possible, pas de création quelconque. C’est à moi, point à la ligne.
Du vieux bureau vintage à la chaise haute pour bambin au pot de fleur, je me demande quelles sont les limites imposées par le bon sens face à toutes ces ventes. Certaines osent vendre de la lingerie, certains osent presque vendre la pierre tombale de leur père ou de leur mère… Société fichtrement gangrenée. Soupirant, j’en viens à me redresser pour m’asseoir entre plusieurs coussins. Ainsi calée, je continue de parcourir l’ensemble et cesse de chantonner en tombant sur une annonce alléchante.
« Kawasaki Z 750 B, Carcasse en excellent état, Peinture refaite par un professionnel, factures à l’appui, Pièces d’usures à changer, Pas sérieux s’abstenir, négociations et offres entendues. »
Je regarde la localisation. Presque une heure de trajet. Mon visage s’étire en une grimace douloureuse : faire l’intégralité du trajet sans y connaître quoi que ce soit, arriver éventuellement sur place et découvrir un tas de ferraille… négatif chef. Mon regard se dépose sur l’énorme pendule murale au-dessus de ma télévision : seize heures trente. Je peux me rendre au garage du coin, kidnapper un mécanicien afin d’avoir son avis et le payer modestement pour le service qu’il m’a rendu ? Cela m’invitera à faire une heure de trajet avec un inconnu… Ai-je toujours cette vieille bombe lacrymogène sur moi ? L’appât du gain est tel, qu’il acceptera très certainement et ainsi armée je crains rien, n’est-ce pas ?
Pianotant sur mon téléphone, j’en viens à composer le numéro du vendeur. Ensemble, nous fixons un rendez-vous aux alentours de vingt heures. Mon cœur s’agite : ma première bécane ! Ma première acquisition dans un tel domaine !
Je prie intérieurement pour que le mécanicien m’accompagne. Auquel cas, il me faudra attendre mon mari pour partir en sa compagnie et charger le tas de ferraille dans ma vieille caisse. Sans même avoir de certitude à la clef, sans même avoir la moindre notion de fiabilité. Le mécanicien, lui, pourra largement fermer sa petite boutique, grimper dans ma voiture et m’offrir un accès à cette liberté tant convoitée... Au diable le mari négligeant, au diable le mari qui ne porte plus le moindre regard sur moi. Je vais y aller avec un inconnu et revenir avec une bécane d’enfer !
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Vêtue très modestement d’un bas slim et d’un haut bien trop large, elle recouvre le t-shirt d’un veston en cuir. Ses pas se font errants. Elle passe d’un atelier à un autre, à la recherche d’une quelconque présence. Le garage lui a été chaudement recommandé par l’agence où elle a passé son permis. Alors, elle persiste. Sa voix résonne dans les différents halls, venant héler un quelconque inconnu : « Y’a-t-il quelqu’un ? »
Seul le bruit de ses talons semble lui répondre en un écho las. Sa progression cesse face à une porte d’atelier fermé. Elle ne se fait pas insistante et tournant les talons s’apprête à faire demi-tour lorsque elle fait face à la personne tant convoitée ! Un mécanicien ! Ou du moins, il semble en avoir l’apparence. L’archétype qui lui fait face lui fait esquisser un sourire presque machinalement. Son petit cœur bondit de joie alors qu’elle se présente en tendant la main : « Madame Bethea ! Enchantée ! »
Elle saisit la main du pauvre homme, probablement très surpris par l’intruse qui progressait dans ses locaux et enchaîne joyeusement : « J’ai besoin de vos services, vous m'avez été très chaudement recommandé par Rob, je viens d'acquérir mon permis moto ! » La jeune femme relâche la main de l’inconnu et s’exprimant vivement, avec une joie non feinte s’explique sans lui laisser le temps de répliquer : « J’aimerais acquérir une jolie moto mais j’ai besoin des conseils précieux d’un mécanicien. Je n’ai trouvé aucune annonce concernant votre garage ! Vendez-vous des motos quelconques ? Auquel cas… J’ai convenu d’un rendez-vous. Et votre présence m’est extrêmement précieuse, acceptez-vous de m'accompagner ? »
Spontanée, enjouée, naturelle et extrêmement sincère, Sharon semble dégouliner de franchise. Telle une enfant à l'approche de Noël, elle n'hésite pas à bousculer les émotions du mécanicien. Sa franchise est touchante et surtout extrêmement maladroite : va t-il profiter de sa personne ou au contraire se montrer le plus honnête possible ?
Nightcall16h, il ne me reste que 3 changements d’huile à effectuer, un peu de paperasse à remplir, des factures à classer et une cliente à éviter. Parce qu’hier, une cliente c’est présenté au garage, demandant à parler au propriétaire, jurant qu’elle s’était fait arnaqué et que son contrat n’était pas valide. Elle avait raison pour une chose, elle s’était fait arnaquer. Par contre, le contrat était bien valide et impossible à résilier. C’était comme ça que je fonctionnais. Comme j’étais ‘’absent’’ hier, la dame avait promit de revenir le lendemain pour me voir. Mais sachez que je ne rencontre jamais les clients mécontents. Je laisse toujours les clients difficiles à mes employés, surtout quand ils comprennent qu’ils ont été arnaqués et qu’ils ne peuvent rien faire pour résilier le contrat. Je suis comme un fantôme quand ça arrive, impossible à trouver. Je disparais comme par magie. Et justement, une heure plus tard, la cliente en question fait son apparition. En voyant sa tignasse rousse, je file dans l’arrière bureau, me faisant le plus discret possible et faisant signe aux mécanos que je rencontre en chemin que je suis indisponible. Ils comprennent ce qui se passe, ce n’est pas la première fois que ça arrive et ce ne sera sûrement pas la dernière. J’ai des contrats de vente assez bien filé et la minuscule police d’écriture utilisée à la fin met souvent en rogne les clients les plus persistants. La plupart de ceux qui ce rendent compte du stratagème abandonne immédiatement le combat, mais certains sont plus collant que d’autres. Comme cette dame qui vient de se présenter au garage, demandant à me parler. J’entends hurler mon nom de famille à plusieurs reprises mais je reste campé dans ma chaise, caché derrière la vitre givré de mon bureau. Elle n’osera sûrement pas venir jusqu’ici. Après une dizaine de minutes, j’entends frapper à la porte et j’hésite jusqu’à ce que j’entende la voix du vendeur m’appeler. Une autre catastrophe d’évité. La seule chose que je crains, c’est qu’un jour on trouve une faille dans mes contrats et que je perde tout. Mon emploi et ma business. Parce que, c’est tout ce que j’ai. Je n’ai pas de famille ni de maison, les voitures c’est tout ce que j’ai. Mais comme ce serait beaucoup trop long de vous raconter toute ma vie, on va en rester là.
Le culot paie, parfois. Celui qui ose est souvent gratifié, récompensé. Le culot est semblable à un rentre-dedans, à une bousculade, amicale, agressive, peu importe celle-ci est toujours -étrangement- plaisante . Elle peut parfois effrayer, parfois attirer mais l'attrait est tel que les sentiments négatifs passent au second plan. Le tout est d’amadouer, je pense, l’adversaire, celui qu’on souhaite conquérir. Avec des sourires, des propos bienveillants et rassurants. On ne peut guère amadouer sans un argumentaire précis : instable, l’adversaire nous prendra pour un rigolo, bien trop ficelé l’adversaire nous prendra pour un manipulateur. Il faut donc ouvertement afficher un savant mélange des deux afin de, disons-le clairement, conquérir l’adversaire dans le but ultime qu’il tombe dans nos filets et cède ainsi à notre demande.
Je souhaite le conquérir avec de la spontanéité, une joie qui se transmet telle la peste venant suinter par toutes les pores de sa peau. Je veux qu’il tremble d’excitation lui aussi à l’idée d’acheter cette moto. Car c’est ainsi que le culot œuvre, au profit du Diffuseur : à son avantage… Puis, il faut dire aussi que cette moto me met en joie. J’ai envie de l’avoir, c’te bécane pour sillonner le Texas tout entier. J’ai envie de croquer le paysage environnant, j’ai envie de voyager… Tout bêtement. J'ai envie de chanter à tue-tête, de crier sous mon casque sans qu'on m'en empêche, j'ai envie de sentir le vent se saisir de ma personne. J'ai tout bêtement la sale envie de me sentir vivante... Dois-je ressentir une honte quelconque à l’idée de délaisser mon mari ce soir pour me recentrer sur moi-même ? L’évidence s’impose : non. Et c’est égoïstement, que je croque ce tête à tête avec le mécanicien…
« Et bien enchanté Mme Bethea. Bien content de voir que Rob pense encore à moi après toutes ces années. » Il marque une pause. Je prends le temps de scruter son visage avant de descendre sur ses mains qui tiennent fermement un balai. Quelle emmerdeuse je fais : j’espère que le culot va payer et que ce jeune homme ne va pas me remballer. Du moins, pas tout de suite. Qu’il me laisse exposer mes arguments, mon plan d’attaque. Qu’il me laisse le conquérir. Le charmer pour obtenir mon dû. Sa voix reprend en une douce interrogation :
« Si je comprends bien, vous cherchez à vous procurer une moto c’est ça ? »J’hoche positivement la tête alors que sa phrase se poursuit: « … Je dois dire que mon stock de moto est plutôt limité en ce moment. Mais votre rendez vous… C’est loin d’ici ? Et j’aimerais bien savoir quelle moto c’est, si ce n’est pas indiscret de ma part. Parce que vous voyez, ce n’est pas toutes les motos qui sont faites pour tout le monde. »
Ma bouche s’entre-ouvre, je m’apprête à lui répondre que la fautive, l’emmerdeuse ici c’est moi et qu’il peut me poser toutes les questions du monde, je me ferais grande joie de lui répondre. Car ici, c’est moi l’intruse. Mais il poursuit. Alors je reste attentive et referme sagement ma bouche afin de ne pas lui couper la parole : faire preuve de civisme avant tout, merde Sharon !
« Pour ce qui est de vous accompagner… C’est que je ne me suis pas encore nettoyé et que j’ai eu une longue journée vous savez. Mais si ça ne prend pas trop de mon temps… »
Sa phrase reste en suspens. Je saisis l’occasion pour rétorquer :
« Posez-moi toutes les questions du monde… »
Mon regard se pose sur son bleu de travail. Rob m’a conseillé de me rendre tard le soir au garage. Il ne m’a pas sifflé un doux prénom, de doux conseils ou quoi que ce soit. Et le culot, quelque part, Rob semble en tenir une sacré couche lui aussi ! A la recherche d’un badge ou d’une étiquette quelconque, je scrute son bleu avant de souffler, comme une évidence : « Monsieur Swick ! » Un fin sourire vient parcourir mon visage alors que je prends le temps de détailler les alentours, amenant mes mains à se joindre dans mon dos : « Mon rendez-vous se trouve à une heure d’ici. » Je ponctue cette fin de phrase d’une légère grimace : aie. Sa journée a dû être, c’est indéniable, horriblement remplie. Mais j’ai besoin de lui, alors je poursuis amenant mon visage à s’adoucir très légèrement : « Je sais que certains employés peuvent se doucher sur leur lieu de travail. Je ne souhaite aucunement vous imposer cela mais… Si le problème se résume à une douche… Je peux largement patienter dans ma voiture. Enfin, j’aimerais tout sauf vous embêter. »
Mes mains se décroisent et viennent se croiser devant moi cette fois-ci alors que j’agite très légèrement l’un de mes pieds, nerveusement, cherchant à convaincre mon interlocuteur : « La moto est une… Kawasaki Z ! 750 truc ? B ? Un instant s’il vous plaît. » En un énième sourire charmeur je fouille le tréfonds de mon veston pour en extraire mon téléphone. D’un doigt agile je déverrouille l’engin et expose les différentes captures d’écran à mon interlocuteur, argumentant au fil des photos et des indications : « C’est une jolie bécane, non ? Franchement, elle est faite pour moi ! Puis le siège doit être réglable. Non pas que je me trouve petite… » Mon regard se détachant du téléphone je viens le porter sur son visage en rehaussant un sourcil pour ponctuer ma fin de phrase : « mais c’est tout de même important n’est-ce pas ? »
Sans prévenir, mon téléphone s’agite. Affichant une photo de mon mari, la sonnerie retentit fortement venant briser ouvertement nos tympans. En une grimace, je consulte vaguement l’heure sur l’énorme pendule affichée au sein de l’atelier et secoue négativement la tête, déclinant ouvertement l’appel. Perdant de mon sourire, je souffle : « Excusez-moi. »
Mon visage se détachant avec peine du téléphone, j’observe mon interlocuteur et souffle : « Nous disions ? Une douche, un laps de temps à attendre et… Un départ ?»
Au culot Sharon ! Au culot ! Puis décroisant mes mains, je conclue notre petit dialogue ajoutant : « Je vous paierais bien entendu, tout travail méritant salaire… Combien souhaitez-vous ? De main à main… » ma phrase se termine dans un murmure « …inutile d’établir un contrat pour une estimation en dehors de vos heures de travail, n’est-ce pas ? »
Et les cartes s’abattent à tour de rôle, venant peu à peu sceller le destin de ces deux inconnus : qu’ils apprennent à se connaître durant le trajet ! Une heure de silence, une heure de karaoké ou bien, qui sait, une heure de confidences !
NightcallJe me disais que j’allais passer une soirée tranquille. Assis devant la télé, une bière dans la main et l’esprit complètement vide à regarder le téléjournal ou une émission de téléréalité débilitante. Mais faut croire que parfois la vie en décide autrement et nous brise complètement nos plans merdiques. J’aurais préféré passer la soirée devant la télé pour être franc, mais j’étais bien intrigué par la venue de cette femme dans mon garage. Elle semblait beaucoup trop heureuse et excitée. Ses émotions m’atteindraient presque si j’arrivais à comprendre à peu près ce qui était en train d’arriver. Je savais qu’elle était venue ici en quête d’une moto et qu’elle me demandait de l’accompagner à un rendez vous qu’elle avait prit avec un vendeur. Mais j’avais le droit d’être confus quand même non ? Parce que franchement, c’était la première fois que ça m’arrivait. J’ai l’habitude de sortir de ma routine avec le métier que je fais, mais ça c’est une première. Lorsqu’elle me dit que le rendez vous est à une heure d’ici, je ne peux m’empêcher d’hausser les sourcils, surpris par le temps que ça me prendrait. Sérieux une heure ? C’était où au juste ? Réfléchissant à ce que j’allais faire, je me grattais la nuque, essayant de ne pas avoir l’air trop tendu. Comment refuser poliment déjà ? Je regardais par terre, écoutant tout de même ce qu’elle me disait. Une heure de route, et c’était sûrement seulement l’allée. Faut facilement s’imaginer deux heures pour l’allée retour. Et je travaille demain matin. « J’ai pas de douche au garage par contre. À moins que l’odeur d’huile et d’essence ne vous dérange, on va devoir se débrouiller comme ça. Je peux me changer par contre, j’ai des vêtements dans mon bureau. » C’était pas lui dire oui ça ? Non… J’avais pas encore dis oui. J’essayais seulement de régler ce problème en premier. Pas de douche au garage, pas question que je fasse un détour jusque chez moi, ce serait seulement perdre du temps. Et comme nous étions déjà en soirée, je n’imaginais même pas à quelle heure je reviendrais.
Sujet: Re: [FLASHBACK] Nightcall (PV Charlie) Dim 21 Jan - 14:37
Mon enthousiasme peine à perdurer. Ses questions, ses affirmations, tout m’amène à faiblir, à flancher. Je doute de plus en plus de mon indépendance et de ces volontés qui me semblent désormais hors de portée. J’ai voulu, telle une chienne rebelle, briser la laisse qui me retient éternellement à mon mari. D’un coup de croc, j’ai espéré m’enfuir et perdurer dans un nouveau monde qui pourrait m’appartenir. Dans lequel je pourrais découvrir de nouvelles communautés et de nouveaux plaisirs festifs.
A la télévision, à la radio, dans les séries américaines, dans les publicités, la plus part des fuites se font sur une jolie moto. Volée hasardeusement, les câbles craqués pour effectuer un démarrage à l’ancienne, ces gonzesses parviennent toujours à prendre un air atrocement séduisant. Et cette séduction a su conquérir mon cœur au courant de ces derniers mois, laissant naître au sein de mon âme meurtrie des envies insoupçonnées jusque alors.
Le vent vient frapper les cheveux de l’héroïne qui s’enfuit au gré de ses volontés les plus folles. Car l’héroïne est toujours une femme libre, sans aucune ride, atrocement bien foutue et atrocement belle. Mais en ai-je seulement la possibilité ? Ce type de projet ne peut-il donc pas être avorté par un mari un peu trop soucieux de mon mal-être et par un bambin en âge de marmonner quelques mots ? D’un regard, j’observe le bel homme qui me fait face : pourquoi diable m’achève-t-il sous une flopée d’interrogations ?
J’acquise silencieusement face à ses indications. Qu’il aille donc se changer !
Je ne suis pas une pétasse bourgeoise qui exige de l’autre un caprice. Ce projet, c’est le fil rouge de ma vie, c’est ce qui m’invite à me lever tous les matins et à entretenir au minimum mon corps et mon esprit. C’est ce qui me pousse à sourire face à mon mari, c’est ce qui me pousse à dire oui face à ses envies charnelles, c’est ce qui me pousse à m’extirper du téléachat et des autres balivernes quotidiennes de la femme au foyer. Alors oui. Cette moto, je vais l’avoir. Je veux même l’avoir. Avec ou sans consentement du garagiste, avec ou sans son avis. D’un pas décidé, je retourne vers ma voiture. Le dédale de couloirs me perturbe et j’en viens à effleurer une vitre par laquelle je vois le garagiste, en caleçon, entrain de troquer ses vêtements. Je reste stoïque durant un très maigre instant devant le spectacle et poursuit mon chemin, l’air de rien, essayant d’extirper ces images de mon crâne.
Quelle emmerdeuse je fais ! Mais quel emmerdeur il aurait fait en refusant… A-t-il une famille ? Non. S’il accepte ainsi c’est que sa vie ne constitue aucune obligation. Et s’il n’a aucune obligation je peux bien emprunter un pan de sa vie durant quelques heures, n’est-ce pas ? Avec agilité, je presse le bouton de la télécommande électrique de ma voiture et ouvre la portière côté passager. Je déplace les jouets et vêtements du petit qui trainent à même le siège et jette l’ensemble sous mon propre siège.
Je claque la portière et fais le tour de la voiture pour m’installer côté conducteur. Clé dans le moteur, j’attends sa venue en prenant soin d’allumer la musique. Sans la moindre once de gêne je fredonne une mélodie populaire. Les minutes s’écoulent avec lenteur : que diable fait-il ? S’arme-t-il pour venir ? Cette simple idée me fait rire jaune.
Mes projets sont fous, audacieux. Je veux, à défaut de former ma jeunesse, former une vieillesse hors du commun. Et celle-ci commencera dès lors que le pied de l’inconnu se posera dans ma vieille voiture. Démarrons pauvre fou ! Démarrons à la poursuite du bonheur ! A la poursuite de rêves insensés… Je verrouille les portières par pur automatisme et laisse la voiture s’occuper des vitesses. Les feux se succèdent, les passages pour piétons aussi et la nuit ne tarde pas à se faire ressentir. Le faible éclairage de mes fards m’invite à froncer les sourcils à de nombreuses reprises. Prend-il peur ? A-t-il seulement déjà eu peur de quelque chose ? Pour combler les vides dans notre conversation, je prends soin de faire défiler les musiques. Qui sait, au retour et torchés comme pas possible, prendrons-nous peut-être le temps de fredonner quelques musiques ?
En attendant, les sujets se succèdent et se ressemblent. Sans jamais partir dans l’intimité de l’autre, nous osons nous questionner sur le travail, sur la moto et diverses balivernes similaires. Le GPS annonce un virage imminent à droite. Peut-être un peu trop imminent.
La voiture se loge sur le bas-côté de la route. Et la voix familière de mon mari naît aussitôt dans mon crâne, soufflant : « Ah les femmes. Définitivement, vous êtes toutes les mêmes hein. Un peu de verglas sur le bas de la route et voilà que vous faites une sortie de route. Qu’est-ce que vous êtes connes. »
Frustrée par cette voix, j’en viens à taper vivement devant moi écrasant le klaxon à de nombreuses reprises. Les larmes de frustration viennent se dessiner le long de mes joues alors que je jure à voix-haute, tentant de détacher en vain ma ceinture…