Charlie, il retient à peine son sourire, la tête posée sur le mur de sa cellule. Ses yeux sont clos, à quoi bon les ouvrir lorsque le paysage n'en vaut pas le détour? Il entend la voix de la gamine, de l'autre côté, comme si son existence ne se résumait qu'à un meurtre sordide. Charlie, dans un cas comme celui-ci, ne peut retenir son amusement. Elle ne pourra pas aller au bout de son idée, c'est évident. Pas dans un lieu aussi protégé, pas avec un foutu criminel en cellule. Il sera surveillé plus que quiconque une fois sa libération acquise.

La sienne est acquise depuis tout récemment. D'abord, la visite du docteur et du soldat qui l'accompagnait. Ensuite, la visite auprès de Vance. Un interrogatoire qui n'a jamais autant soulevé l'honnêteté chez lui. Heureusement qu'il n'a pas jugé nécessaire de creuser son passé davantage. Charlie aurait sans doute été recalé. À quel point ces gens acceptent-ils la cruauté de leurs pairs? Depuis cette rencontre, Charlie est un homme semi libre. Pour l'instant, il attend dans sa cellule qu'on analyse son dossier, qu'on lui trouve un métier ainsi qu'une caravane. Voilà à quoi ressemble ses journées. Mais lui, au moins, sortira sous peu de sa cellule, ce qui n'est pas le cas de Evan.

- Tu crois vraiment que réclamer les services d'un détenu t'aidera dans ta quête?

Il pourrait s'adresser à elle via le surnom « petite » et ainsi la designer, mais à certaines heures, il n'est pas davantage mature. Même qu'on pourrait aussi le qualifier de « petit » lorsqu'il reste loin de ses propres responsabilités. Il était comme ça, Charlie, lorsqu'il voyageait avec Andrew ; il n'hésitait pas à le provoquer même s'il était le plus âgé des deux, l'adulte censé les guider jusqu'à cette demeure protégée que tout le monde recherche désespérément.

- C'est facile de faire des promesses qu'on ne pourra pas tenir. Il est même fortement possible qu'il choisisse de tuer toi plutôt que l'autre.

Charlie ouvre enfin les yeux, mais tout ce qu'il découvre, c'est la petite pièce dans laquelle il est encore séquestré. Mais il ne se plaint plus autant qu'au début, ne cherche plus un moyen de s'évader discrètement. Hormis attendre, son temps libre vise à amadouer les gardes, à obtenir des tickets par divers moyens. Il a toujours cherché à passer entre les mailles du filet, à obtenir les bénéfices des autres, à vivre grâce aux mots et aux manigances. Alors, il sait de quoi il parle. Charlie nage dans ces idées de négociations pour avoir une vie meilleure dans ce village une fois qu'il sera sorti. Et son réconfort sera le plaisir d'obtenir des tickets.

- Ne me dis pas que tu n'avais aucune autre alternative? ose-t-il en provocation.

Charlie, il s'aide du mur pour se lever, lentement. Il n'est pas pressé, sait qu'il va sortir. Sans s'arrêter au centre de la pièce, il vient près des barreaux, très réceptif aux paroles de la rouquine.

- Vivre un enfer? Vraiment?

Si elle continue de le provoquer, il continuera de répliquer avec amusement. Charlie, il mord à l’hameçon, adore avoir le dernier mot, même si pour ça il doit tenir tête à une gamine un peu naïve. Elle a un tempérament flamboyant, pourrait presque lui rappeler Kim à une époque. C'est surtout leur forte ressemblance qui est frappante : toutes les deux rousses. S'il ne grimace pas, il observe, cherche à trouver les différences qui l'aideraient à oublier son amour de jeunesse, celle qui lui faisait faire des folies. Si Kim s'était pointée devant sa cellule, lui aurait demandé de l'aider à tuer quelqu'un, peut-être se serait-il plié à ses quatre volontés. Elle savait littéralement surfer sur lui.

Elle pointe du doigt, s'impatiente. L'homme penche la tête, essaie de mieux la regarder au travers des barreaux. Voilà un domaine dans lequel il excelle, elle fait bien de demander. Les négociations. Les fausses promesses. Les propositions, de plus en plus alléchantes, voire illusoires. C'est comme un tour de magie, grandiose, mais tellement faussé, pour finalement redevenir une déception. C'est ainsi qu'on obtient quelque chose de quelqu'un. Et comment pourrait-elle savoir, à cet instant, qu'il ne joue pas avec elle?

- Tu dois lui offrir plus. Pas seulement sa libération. C'est trop facile. Tu dois pouvoir le tenir en laisse à l'intérieur de cette cage, comme à l'extérieur de cette cage. Là, c'est lui qui te tient.

Qu'importe si l'autre prisonnier entend cette conversation. Vouloir tuer quelqu'un, c'est un crime. Nul ne parlera de cet échange, nul ne risquera sa peau pour ces informations indésirées dans ce village.

- C'est quoi ton plan? Ton objectif? Tes démarches? Tu lui demandes quelque chose, mais tu n'es pas prête, ne sais pas comment t'y prendre.

La gamine, elle peut continuer de travailler ce Evan, mais elle perd son temps. Charlie pourrait garder le silence, pourrait ignorer les tentatives de cette enfant d'obtenir de l'attention, mais c'est pas son genre. Il aime bien parler pour ne rien dire, aime bien jouer dans la tête des gens, même si ce n'est pas fait avec méchanceté. Charlie peut vraiment être un type bien, peut être généreux, dévoué, travaillant. Mais il est incapable de maintenir les bonnes habitudes. Il ne sait pas comment faire, n'a personne pour lui souffler les bonnes actions à effectuer. Kim, elle le tirait vers le bas, lui a montré la voie de la facilité, alors il sait comment l'emprunter. La rouquine peut donc faire à sa tête... ou suivre les conseils peu judicieux de Charlie, à savoir mentir, manipuler, et peut-être obtenir des récompenses volées à la ruse.

« Ne sous-estime jamais quelqu'un que tu ne connais pas… » Effectivement, à ce sujet, elle n'a pas tort, alors il se contente de pencher la tête dans un uniquement hochement presque imperceptible. Un brin de défi, une once de confiance, le tout parsemé de colère et d'impatience. Voilà toutes les réactions qu'il parvient à déceler chez la rouquine ; elle s'ouvre trop à lui, elle en dévoile trop. Il y a une vérité, dans son regard. C'est l'élément qui semble la trahir le plus, cette curieuse voracité de vouloir obtenir ce qu'elle désire - rapidement. Une rapidité qu'elle ne parvient pas à freiner, qui la perdra plus vite que prévu. C'est d'un guide spirituel dont elle aurait besoin, pas d'un criminel qui lui lécherait les pieds.

- Des détraqués, hen? la question est la première qu'il pose malgré toutes les autres choses qu'il pourrait dire ; il s'en pince légèrement la lèvre inférieure, comme s'il contenait - encore - un certain amusement. Comment pourrais-tu savoir lequel d'entre eux est le plus dangereux? Le baraqué que tu essais de corrompre? Celui au bout du couloir qui ressemble à un sac d'os? Les apparences sont trompeuses. Comme tes airs effarouchés qui ne démontrent qu'un manque d'attention flagrant.

Charlie pourrait lui avouer qu'il est sur le point de gagner sa liberté, mais à quoi bon dévoiler ce fait. Elle le saura tôt ou tard lorsqu'elle le verra marcher entre les caravanes, qu'elle comprendra qu'il est parvenu à sortir plus rapidement que ce Evan. Charlie ne lui révélera rien du tout, la laissera cogiter, la laissera idéaliser tout ce qu'elle aurait pu accomplir en daignant l'écouter. Charlie sent une curieuse chaleur se rependre dans tout son être. Cela faisait une éternité qu'il n'avait pas joué, qu'il n'avait pas manipulé l'esprit de quelqu'un. C'est revigorant, ça lui donne confiance, ça lui donne envie de sourire. Par cette manipulation, il ne cherche pas à la blesser, juste à la tourmenter un peu. Il prendrait ses distances si jamais ça devait aller trop loin. Son but n'est pas de la détruire. Peut-être même qu'elle pourrait prendre plaisir à cette mascarade, si elle n'était pas si fixée à son objectif. Il est tellement plus agréable de jouer ainsi que de tuer, non? La violence gratuite ne rime à rien, ça détruit tout sur son passage. Et oui, parfois, le petit Charlie a bonne conscience.

- Essaie au moins d'avoir l'ai convaincante lorsque tu proposes un marché, histoire qu'on te prenne un peu au sérieux.

Savoir quand répondre aux provocations. A-t-elle remarqué qu'il n'a rien relevé concernant la cellule? Il fixe la gamine, l'air satisfait, sans la moindre rage dans le regard. Il sait qu'il sortira. Il n'est pas sensible à ses provocations. Il est tellement heureux à l'idée de pouvoir se promener dans ce village qu'il en oublie les mauvaises odeurs de ses voisins de cellule, les mauvaises postures lorsqu'il tente de dormir la nuit, les bruits curieux qui résonnent parfois dans le couloir. Vance a donné son accord. Charlie pourra entamer une nouvelle vie qu'il façonnera selon ses envies, selon ceux qui l'aideront à survivre.

- Mais c'est mignon d'essayer, ajoute-t-il comme pour le pincer davantage.