Ce n'est pas tous les jours que Leandro se réveille dans un tel état d'esprit. Calme, presque serein. Il sait, pourtant, qu'il ne peut pas se contenter de cela. Qu'il ne peut pas rester allongé là, dans cette position inconfortable et attendre que le temps passe. Il n'a plus autant de poids sur ses épaules ; dans la zone, il était considéré comme l'un des fondateurs. Dans le groupe de survivants, après l'explosion, certains trouvaient encore le moyen de le considérer comme un leader. Ce n'est plus le cas, maintenant, il est libéré de cette charge. Il n'a plus à se faire autant de soucis. Mais il n'empêche qu'il se sent toujours responsable de la survie d'une personne : Zippora. Voilà des semaines, voire même des mois, qu'ils voyagent tous les deux. Ce n'est pas toujours de tout repos, tout particulièrement à cause de lui. Combien de fois a-t-il quitté leur emplacement sans même la prévenir pour aller chasser du rôdeur et ainsi se défouler ? Combien de fois a-t-elle paniqué à cause de lui ? Combien de fois a-t-il tout bonnement refusé de lui parler des heures entières ? Il n'ose pas compter. Et ce n'est pas de sa faute, à elle. Il ne sait pas si elle était déjà comme ça autrefois, mais elle possède un caractère très conciliant. Il est très difficile d'être insupporté par sa personne, par sa présence. Il est très difficile de se sentir agacé en sa présence. Parce qu'elle est conciliante. Jamais un mot au-dessus de l'autre, jamais de pression. C'est peut-être ce qui fait que, au fil du temps, Leandro s'est peu à peu apaisé. Il ne sait pas. Il ne le saura peut-être jamais. Mais le fait est là : la bombe à retardement qu'il était autrefois n'en est plus une. Plus autant, tout du moins. Il prend plus sur lui, il respire plus facilement, il fait moins de cauchemars, il se sent moins prêt à exploser à tout moment.

C'est un miracle en soit, que Zippora n'a peut-être même pas noté. Ou peut-être que si, Leandro n'en sait rien ; ils n'en discutent pas, de tout cela. En fait, ils ne parlent pas beaucoup tout court. Leandro n'est pas bavard, et elle non plus. La plupart du temps, ils se comprennent et anticipent la réaction de l'un et de l'autre en un coup d’œil. C'est aussi simple que cela. Et cela paraît logique, après tout le temps qu'ils ont passé ensemble, à visiter des maisons, à chercher des endroits sûrs où passer quelques nuits, à se battre pour leur vie ... Leandro se plaît finalement plutôt bien dans cette petite vie. C'est plutôt calme, plutôt apaisant. Depuis qu'ils ont quitté le groupe des survivants de la zone, ils ne sont que tous les deux, donc. Et, jusque-là, ils n'ont croisé aucune autre personne ... Ou presque. Et c'est mieux comme ça. A une autre époque, peut-être bien que Leandro aurait pu devenir fou pour cette simple raison, mais ce n'est plus le cas aujourd'hui. Être avec Zippora seulement lui suffit. Totalement.
La veille, ils ont investi une petite ferme en bordure de forêt. Ses vitres étaient sales, sans parler des meubles couverts de poussière et de toute la moisissure qui a pu prendre de la place un peu partout. Il leur a donc fallu en faire le tour, passer dans chaque pièce pour s'assurer qu'ils étaient seuls. Puis ils ont fait un peu de ménage avec des balais trouvés dans un placard et de l'eau pris dans un ruisseau voisin. Juste de quoi pouvoir dormir sans trop de problème le soir même. Et compte tenu de l'isolation assez appréciable de la ferme, Leandro a presque pu dormir sur ses deux oreilles. Tant et si bien qu'en ouvrant les yeux, le matin même, c'est dehors qu'il est allé. Et le voilà maintenant, avec sa hache négligemment posée sur son épaule, faire un tour en extérieur. Il observe les extérieurs, essaye de repérer des animaux qu'ils pourraient éventuellement attraper et manger. Sauf que tout ne se passe pas comme prévu. Alors que Leandro les imagine déjà très bien, tous les deux, passer quelques semaines ici, un bruit, dans la forêt voisine, attire toute son attention. Il se met plus ou moins à couvert, derrière un arbre voisin et observe attentivement l'origine du bruit. Est-il possible qu'ils ne soient pas aussi seuls qu'il ne l'avait imaginé ?

Ce n'est pas ainsi que les choses étaient censées se passer. Il devait faire un tour dans la forêt voisine, ou avant celle-ci, et ramener de quoi leur faire passer une agréable soirée. Des animaux très vite transformés en viande comestible. Au lieu de cela, un bruit vient de l'interpeller et toute sa concentration se tourne de ce côté-là. A tous les coups, il ne s'agira de rien d'autre qu'un animal déchaîné - qu'il pourra donc attraper au même niveau que les autres qu'il cherchait - ou alors un rôdeur les ayant senti de rien. Il n'en sait rien, amis il doit aller dans cette direction et s'assurer que ce ne soit rien de grave. Pour passer une soirée un tant soit peu agréable, il doit déjà s'assurer qu'ils ne courent aucun danger en restant ici. Leandro retire sa hache de son épaule, la positionne devant lui. Là, il est prêt à attaquer si un nouveau signe de présence incongrue se présente à lui. Un dernier regard derrière lui pour s'assurer que Zippora est plus ou moins en sécurité - assez loin de tout cela, en conséquence - avant d'avancer en direction de l'origine présumée du bruit. Il a été flic, alors il est capable de tracer ce genre de trucs. Il devrait aussi être capable de se montrer discret, même s'il n'est pas le mec le plus gracieux qui soit. Sa démarche est gauche, à présent, un peu moins assurée ; notamment parce qu'il est nettement plus replié sur lui-même qu'autrefois. Mais à force d'efforts, il réussit à ne marcher sur aucune branche. Il réussit à avancer silencieusement, et à rester suffisamment à l'abri des arbres pour ne pas se faire repérer, dans l'hypothèse où tout cela proviendrait d'un ou plusieurs survivants.

Il ne sait pas comment il réagirait, si c'était cette hypothèse-là qui venait à se confirmer. Face aux rôdeurs, il sait toujours que faire. Face aux survivants, c'est tout à fait autre chose. Il se sait capable de tuer ceux qui se montrent menaçants - il l'a déjà prouvé par le passé, d'ailleurs -. Mais, tout de même, ce n'est pas son passe-temps favori. S'il pouvait rester seul avec Zippora et se contenter de chasser des animaux dans le plus grand des calmes, cela lui irait très bien. Visiblement, c'est mal barré. Alors, il se prépare à toute idée. Parce que, en effet, il est prêt à tout. A toute éventualité ... sauf à celle-là. A quelques mètres de lui, une silhouette avançant dans sa direction. Une silhouette mince - trop mince, peut-être - qu'il ne reconnaît pas sur le coup. C'est seulement lorsque son regard se lève et se pose sur un visage tout aussi émacié que le reste qu'il réagit. Voilà pourquoi il a eu ce sentiment de familiarité. Cette personne, il la connaît. Et même très bien. Sans réfléchir plus longtemps, sans chercher à se montrer plus prudent, Leandro fait un pas sur le côté. Un pas qui le met à découvert. Et sa hache vient toucher le sol du fait de son bras qui vient de tomber le long de son corps. Il est ... incapable de faire le tri dans sa tête, là. Parce que c'est le chaos total. Et il n'est même pas encore sûr d'avoir totalement réalisé. Tout ce que son cerveau amorphe lui permet de faire, c'est d'ouvrir la bouche pour lâcher un mot. Un mot, et un seul mot. « Tybalt ... » Et c'est tout. S'il n'avait pas eu la chance de manger une fois dans la journée, il serait sans doute déjà tombé dans les pommes, sous le coup de l'émotion et de la surprise.

Leandro sent l'urgence de la situation. Il sait qu'il n'a d'autre choix que celui de tenter de trouver l'origine du bruit. Il ne se sentirait pas en sécurité, s'il n'y parvenait pas. Et la sécurité de Zippora en pâtirait aussi, ce qu'il ne peut vraiment pas accepter. Discrètement - autant que ses chaussures le lui permettent tout du moins - il marche à travers les bois. Il se fait silencieux. Il parvient, le premier, à apercevoir une silhouette. Malgré la position étrange de celle-ci, il devine rapidement que c'est d'un survivant dont il s'agit. Ses gestes sont trop précis, sa posture pas assez "inhumaine" pour qu'il s'agisse d'un rôdeur. Et quelle n'est pas sa stupeur lorsqu'il parvient à apercevoir une chevelure puis un visage. Tybalt ... Sans vraiment s'en rendre compte, il se détache de l'arbre qui lui servait d'abri et lâche un prénom. Ce n'est que là qu'il peut enfin apercevoir de face celui qui se tient à quelques mètres de là. Il ne sait même pas s'il est soulagé de voir que c'est bien lui - après tout sa hache est désormais au sol, impossible de l'utiliser pour se défendre -. La stupeur, l'incrédulité prennent trop de place pour cela. Il est ... sur le cul, en fait. Complètement abasourdi. Et cela doit se lire sur chacun des traits de son visage. Il est tendu aussi. Parce qu'il ne s'attendait définitivement pas à cela. Et il faut croire qu'il est n'est pas le seul. « Je ... Nan. » A-t-il l'air d'une hallucination ? Il doit certes faire peur, mais tout de même. S'il en croit tous les indices qui se présentent à lui, Tybalt doit être seul depuis un moment. Ceci explique cela.

« De là. » Un bref - et à peine perceptible - mouvement de la tête indiquant derrière lui. Derrière lui, il n'y a pourtant que des arbres ; Tybalt n'y comprendra pas grand chose. Mais, il faut bien l'avouer, Leandro a bien d'autres choses à penser là, tout de suite. D'ailleurs, c'est à se demander comment son frère a fait pour lui poser une telle question. « Putain ... t'es vivant. J'arrive pas à croire que t'es vivant. » Trois longues années se sont écoulées depuis la dernière fois qu'ils se sont vus. Trois années qu'ils ont passé à survivre, loin l'un de l'autre, chacun persuadés de n'avoir plus une seule personne sur cette Terre. A moins que ... ? A moins que Tybalt ne soit pas seul ? Alors que tout indique le contraire, Leandro ne peut pas s'empêcher de ressentir de l'espoir tout à coup, beaucoup d'espoir. Plus qu'il n'en avait ressenti depuis une éternité. Plus qu'il ne pourrait en supporter s'il s'avérait vain ... Ce qui est l'idée la plus plausible parmi tout le reste. « T'es tout seul ? Y a ... y a quelqu'un d'autre ? » Un frère ? Une sœur ? Un parent ? Un ami de la famille. C'est fou, complètement fou. Et surtout complètement insensé pour quelqu'un comme Leandro de s'autoriser à de telles pensées, à de tels espoirs. Il ne devrait pas. Il ne devrait vraiment pas. Mais sa raison l'a lâchement abandonné. Depuis qu'il a posé les yeux sur cette silhouette, depuis qu'il a réalisé qu'il s'agissait de son frère qu'il pensait disparu. A présent, tous les espoirs semblent permis.

La surprise, le choc, ne sont pas encore passés. Leandro est toujours sur le cul. Complètement sur le cul. Il n'arrive pas à en croire ses yeux et pourtant, c'est bien vrai. Il n'en doute finalement pas autant que Tybalt, qui a l'air de croire à une chimère. L'ancien flic a beau essayer de le rassurer, rien ne semble pouvoir lui faire entendre raison. Putain, il est là ... Vivant. Il ne s'inquiète finalement pas autant qu'il le faudrait en temps normal, ce doit être normal de se sentir aussi ahuri. Lui-même l'est, de toute évidence. Lui, dans les arbres ? Comme s'il pouvait soudain se rendre compte que c'est là qu'il avait élu domicile, Tybalt lève la tête. Non, il n'était pas dans les arbres. Il n'a même jamais songé à pouvoir y monter pour y passer du temps, tranquillement. Il a été en sécurité dans la zone pendant trop longtemps. Il avait beau en sortir assez souvent, il n'a jamais eu à y vivre. Enfin, pas avant que la zone ne s'effondre. A présent, il vit bel et bien dehors. Mais pas seul, ce qui réduit les possibilités. S'ils n'ont pas de voiture, ce sont dans des maisons croisés sur leur route que Zippora et lui établissent domicile. « Non, non ... Pas dans les arbres. Dans une ferme. Pas loin d'ici. » Plus il observe Tybalt, et plus Leandro réalise à quel point il est ... changé. Et pas seulement physiquement, mais mentalement aussi. Il a l'air craintif, sur ses gardes. Même avec lui. Ce n'est pas étonnant en soit, Leandro est plus ou moins pareil. Tout bon sens s'est transformé, prenant une place immense et une ampleur inégalable. C'est ainsi que les choses sont censées se passer, à présent.

La réponse de Tybalt, du coup, ne le surprend pas. En effet, il est vivant ... mais dans un état tout à fait particulier. Il doit survivre plus qu'il ne vit, c'est le cas d'à peu près tout le monde maintenant. Ils sont en vie parce que c'est ce que leur bon sens leur exige de faire. Cela ne veut pas pour autant qu'ils profitent de ce qu'ils ont et qu'ils prennent plaisir à continuer leur route. C'est trop difficile, trop dangereux, et trop démoralisant de penser à tout ce qu'ils ont perdu pour y arriver. Leandro ne rebondit pas dessus, conscient qu'il s'agit là d'un sujet sensible. Au lieu de cela, il se surprend - pour la première fois depuis des années - à espérer. Puisque Tybalt est envie, peut-être que ... peut-être que d'autres personnes le sont aussi ? Des frères, des sœurs, des amis, des parents. Mais si c'est le cas, ces personnes-là ne sont pas avec Tybalt. Leandro sent son espoir disparaître aussi sec, bien qu'il reste insensément heureux de retrouver l'un de ses frères. « Je vois. » Il hoche la tête en signe de compréhension, mais refuse d'en rester là. Ce serait bête de ne voir que le négatif, quand il a la chance inouïe d'avoir retrouvé un membre de sa famille qu'il croyait à jamais disparu. « Non je suis avec quelqu'un ... Une personne. » Pitié, qu'il n'essaye pas de deviner de qui il s'agit ; il ne pourrait qu'être dans le faux. « Tu viens ? » Un peu hésitant, Leandro montre d'un mouvement de la tête la direction qu'ils doivent prendre pour rejoindre la ferme. Hésitant, mais décidé à ne pas le laisser partir. Hors de question.

La scène semble presque irréelle. Tant par le choc causé par celle-ci, que par la réaction de Tybalt. Leandro a eu du mal à y croire lui-même, dans un premier temps. Mais ce n'est rien à côté de la difficulté que semble ressentir Tybalt. Comme si, véritablement, rien ne pouvait le faire croire à la réalité de ce qui est en train de se passer. Ils sont pourtant bel et bien tous les deux là, en chair et en os. A converser comme si tout cela était parfaitement normal ... Ou pas. Leandro, un peu - voire beaucoup - ébranlé par ce qu'il se passe, ne parvient pas à trouver les mots justes. Cette faculté, il l'a perdu en même temps que sa femme, ses filles et le reste de sa famille. Enfin, visiblement pas toute sa famille au complet, puisque Tybalt se tient là, vivant et plus ou moins en bonne santé. Il présente des hésitations, semble incertain sur la marche à suivre. Pourtant, pour Leandro, il n'y a rien de plus simple. Bien sûr qu'il lui a demandé de se joindre à eux, à Zippora et lui. Bien sûr qu'il veut voir son frère le suivre. Et il n'a aucune envie de le laisser repartir. Alors c'est assez étrange de voir et d'entendre Tybalt hésiter. Alors qu'il ouvre la bouche pour achever de le convaincre et poser face à lui d'autres arguments de poids, il reprend la parole. Une fois, et puis une autre fois encore. Il le fait rapidement, assez pour empêcher Leandro de lui répondre immédiatement. Il faut bien qu'il le fasse à un moment ou un autre, pourtant. Et ce moment semble venu. « Je ne te le demande pas. » Après tout, cette bouffe, il l'a trouvé lui-même. Qui est-il pour lui prendre sous son nez ? Ce n'est pas ce qui le pousse à lui demander de le suivre, loin de là.

Tout ce qu'il veut, c'est rester à ses côtés, et ne plus le perdre de vue. Est-ce trop demandé ? Et puis, de toute façon, ils ont un peu de réserve avec Zippora. Remercions les enfoirés qui ont essayé de les tuer, il y a quelques jours et qui ont laissé derrière eux quelques vivres. « Tu peux lui faire confiance ... C'est Zippora. Elle ne te fera pas de mal. » Elle ne ferait, en fait, pas de mal à une mouche. Il y a quelques jours encore, Leandro aurait mis sa main à couper pour assurer qu'elle n'avait jamais tuer d'autres personnes. A présent qu'il l'a vue à l'oeuvre - et uniquement parce qu'elle n'avait plus d'autre choix - c'est difficile de prétendre le contraire. « Et tu peux me faire confiance, aussi. » Cela semble peut-être évident, mais Leandro avait l'intime conviction que Tybalt avait besoin de l'entendre le lui dire. Le fait d'être son frère ne suffit plus. Et, dans le fond, c'est compréhensible ; tant de choses se sont passées depuis leur dernier face à face qu'ils ont l'impression de ne plus se connaître, tous les deux. Leandro n'est même pas sûr d'avoir à faire à Tybalt Morrisson. C'est plutôt ... son ombre, qui se trouve devant lui. Mais quelle importance ? Ils ont tous changé. C'est dans l'air. « Tu auras au moins un toit ... et tu ne seras plus seul. » Sur la durée, espérons-le. Mais vu la réaction première de Tybalt, Leandro lui-même a dû mal à y croire. Faut-il pour autant être pessimiste ? Non, absolument pas. Alors il s'engage en sens inverse, sur le chemin qui les amènera tous deux à la ferme. Zippora devrait être là-bas, peut-être inquiète parce qu'il a disparu de son champ de vision depuis un moment déjà.

Tybalt est, de toute évidence, très différent de la personne que Leandro a connu. Du frère qu'il a côtoyé toute sa vie, et qu'il a vu grandir et évoluer au fil des années. Il ne lui en tient pas rigueur, c'est logique ; il a lui-même énormément changé. Qui pourrait se vanter de ne pas l'avoir fait dans de telles conditions de vie ? Leandro a de la chance d'avoir Zippora. Elle est celle qui lui a permit, ces derniers mois, de garder les pieds sur terre. En fait, elle est même celle qui l'a aidé à sortir la tête de l'eau alors qu'il se noyait depuis trop longtemps. De toute évidence, Tybalt est seul ... et sans aucun doute depuis un moment. Il est méfiant comme pas permis, et semble toujours croire à sa version ; autrement dit, il semble toujours imaginer que Leandro n'est qu'un leurre, une création de son subconscient le poussant encore un peu plus dans la folie. Mais l'ancien flic n'aurait pas pu le laisser partir aussi facilement. C'est son frère, son petit frère, et il le pensait mort pendant tout ce temps, ainsi que tout le reste de sa famille. Il a retrouvé un de ses proches, et c'est une chance inouïe à côté de laquelle il ne peut pas se permettre de passer. Il ose espérer que le temps fera son affaire et que Tybalt finira par réaliser l'impensable : il est réel, et le sont tous les deux au moins autant l'un que l'autre. Le temps est un allié de taille, et c'est ce sur quoi Leandro pose tous ses espoirs à l'heure actuelle. C'est en silence qu'ils parcourent la distance les séparant de la maison dans laquelle ils sont installés, avec Zippora. De temps à autre, Leandro jette des coups d'oeil en direction de son frère. Celui-ci ne fait pas un seul bruit, c'en est limite effrayant. Aucune branche ne semble craquer sous ses pieds, sa respiration est d'une discrétion à en rendre jaloux plus d'un. Alors il s'inquiète de le voir disparaître ... ce qui n'arrive pas. Et tant mieux.

Leandro aurait probablement été prêt à tout lâcher pour partir à sa poursuite, quitte à mettre sa vie en danger. C'est de son frère dont il s'agit. Alors, bien sûr, il ne réalise pas encore la pleine mesure de ses retrouvailles - notamment parce que Tybalt a l'air ... amorphe -, mais ils ont tous les deux besoin de se remettre de cette surprise de taille. Cela faisait des années qu'ils ne s'étaient pas vus et ils se croyaient tous les deux morts alors, forcément, il y a du chemin à faire avant que tout redevienne comme avant ... Ou presque. C'est impossible, de voir les choses revenir à la "normal". Leandro entre le premier dans la petite ferme, l'oeil toujours méfiant et inquisiteur. On ne sait jamais, après tout. Depuis ce qu'il s'est passé la dernière fois, Leandro se montre encore plus sur ses gardes que jamais. Cela ne peut - ni ne doit - se reproduire une seconde fois. Heureusement, il n'y a que Zippora dans la petite maison. Et elle regarde Tybalt avec curiosité. Et inversement. Il s'éclaircit alors la gorge, conscient d'être le seul à pouvoir tirer cette histoire au clair. « Tybalt ... Zippora. Zippora, voici mon frère, Tybalt. » C'est encore plus étrange de le dire qu'il ne l'avait imaginé. Le mot - tout comme son prénom - lui semblent ... bizarres, anormaux. Il faut dire qu'il ne les a pas prononcés depuis une éternité et qu'il ne s'était jamais permis d'imaginer qu'il pourrait le faire de nouveau un jour. Et pourtant ... Il a retrouvé Tybalt, et c'est un miracle sans nom. Il n'a plus qu'à espérer, maintenant, que tout se passe bien entre Zippora et Tybalt. Du moins, assez bien pour leur permettre de ne pas ajouter à leur stress quotidien.

C'est bien son frère qui se trouve là, à ses côtés. Pourtant, Leandro n'a pas encore tout à fait assimilé l'idée. Il a du mal à le croire, du mal à le réaliser et à se faire à la chose. Sur le chemin qui les mène jusqu'à la ferme, pourtant, il lui jette de nombreux regards en coin. Sans doute par peur de le voir disparaître. Mais ce n'est pas un mirage, il est bien réel, et toujours à ses côtés quand ils se retrouvent tous deux en face de Zippora. Leandro fait brièvement les présentations, la voix sourde et sans doute pas encore totalement convaincue. Cela viendra, il veut y croire. Mais pour l'instant, il a encore du chemin à faire. « Quelques jours. » Sa réponse est brève, et n'étonnera sans doute pas la jeune femme avec qui il est depuis un petit moment déjà. Quant à Tybalt, il se pourrait bien que ça le surprenne. Il a bien changé, depuis la dernière fois qu'ils se sont vus. Mais il n'y a rien d'étonnant à cela. Et, d'ailleurs, Leandro a d'ores et déjà constaté que Tybalt n'a plus rien de celui qu'il a connu autrefois. Il veut croire qu'il s'y fera, et il a plutôt intérêt. C'est de son frère dont il s'agit, pas d'un illustre inconnu sorti de nul part. Un frère qui, bien sûr, a beaucoup changé. Mais qui sort peu à peu de son mutisme et de la bulle dans laquelle il semblait s'être réfugié depuis trop longtemps pour pouvoir apposer une date précise là-dessus. La proposition de l'ancien chanteur est, il faut bien l'avouer, assez surprenante. Leandro ne s'était pas attendu à ça.

En fait, il n'y avait même pas pensé. Trop heureux de retrouver un membre de sa famille qu'il pensait totalement et définitivement décimée, il n'a pas fait attention à ce qu'il avait avec lui. A présent, il est bien forcé de s'en rendre compte et de soulever ce point. L'animal mort dans les bras de Tybalt lui paraît en effet assez imposant pour les satisfaire tous les trois. De toute façon, ils se contentent tous de peu. Difficile de faire les fines bouches quand on est obligé de vivre dans de telles conditions. « Merci beaucoup, Tybalt. » Bizarrement, il n'a pas pu s'empêcher de prononcer son prénom une nouvelle fois, comme pour achever de se convaincre que c'est bien réel. D'ailleurs, il a dû mal à détourner son regard de lui, comme s'il avait encore et toujours peur de le voir s'évaporer ou fuir. « On a de quoi allumer un feu devant la ferme, on peut faire ça avant qu'il fasse nuit. » Parce qu'après, ce sera plus compliqué et surtout délicat. Ils ne peuvent décemment pas faire de feu de camp dans la maison, mais ils ne peuvent pas non plus attendre que la nuit tombe pour cuisiner - oh que le mot semble bizarre -. Ce serait trop risqué de révéler ainsi leur position. « Tu as soif peut-être ? » Là seulement, Leandro s'autorise à s'arracher à l'observation de Leandro pour regarder en direction de Zippora. Sans dire quoi que ce soit, il cherche son approbation. Il ne veut pas qu'elle se sente de trop. S'il ne veut pas que Tybalt s'évanouisse dans la nature, il ne veut pas non plus que Zippora, le fasse. « Tu te souviens s'il nous reste beaucoup de bouteilles d'eau ? » Une manière comme une autre de ne pas la laisser de côté plus longtemps que nécessaire. Son frère est de retour, mais il ne doit pas pour autant oublier celle qui a été son plus fidèle soutien ces derniers mois. Il ne le fera pas.

Leandro lui-même ne sait pas où se mettre dans tout ça. C'est bizarre, parce que c'est de son frère dont il s'agit. Et que, Zippora, il la connaît depuis un moment déjà ... mais c'est comme ça. Il ne sait plus comment il est supposé se comporter. En même temps, il ne s'attendait pas à croiser un membre de sa famille un jour. Lui, s'était plutôt préparé à l'idée de ne jamais en revoir, en n'y pensant tout bonnement jamais. « Alors, on va te trouver de l'eau. » Ils doivent bien avoir ça, non ? Si Leandro "envoie" - plus ou moins - Zippora vérifier leurs stocks et en chercher, ce n'est pas pour se débarrasser d'elle. Bizarrement, il se sent plus seul que jamais quand elle n'est pas à ses côtés. Alors, certes, il y a son frère et ça doit être différent. Mais il n'est plus habitué à ce genre de situation. Avec Zippora, c'est très différent, parce qu'ils sont ensemble pour ainsi dire tout le temps et ce, depuis un moment. Enfin bref, il doit s'y faire. Il doit s'efforcer de se comporter normalement et le reste suivra forcément. Il a tout de même le temps de se rendre compte que Zippora met plus de temps que nécessaire pour aller les chercher, ces bouteilles d'eau. Il devine donc ce qui se trame là-dessous, mais n'en dit pas un mot. A quoi bon ? Elle a raison, dans un sens, de les laisser un peu seuls. Le malaise de Tybalt semble redescendre peu à peu ... Mais il doit avoir besoin de ces quelques minutes pour achever ce processus. Zippora n'a tout de même pas l'air de le gêner outre-mesure et heureusement ; Leandro ne veut pas avoir à faire de choix. Certainement pas.

Heureusement, Tybalt évite que la gêne s'installe entre eux, tandis que Zippora est toujours dans la cuisine - c'est ce qu'il suppose en tout cas, il n'a pas vérifié. Il lui pose une question, à laquelle Leandro n'aura aucun mal à répondre. C'est du pratique, pas du théorique, rien non plus d’abstrait ou de métaphorique. Il sait précisément ce qu'il a fait cet après-midi et ces derniers jours. « Oui, on a de quoi faire. » Enfin, il faudra sans doute refaire du stock dès le lendemain, mais ils n'en sont pas encore là. Pour l'instant, ce qui compte, c'est de faire un feu pour manger cette bête, ramenée par Tybalt et généreusement partagée en trois. Tybalt doit crever de faim et Leandro et Zippora aussi, à vrai dire. En parlant de la jeune femme, là voilà qui revient de la cuisine, deux bouteilles en mains. Il lui sourit. « Merci, Zippo'. » S'entend-il lâcher dans un souffle. Elle n'était pas obligée. Après tout, elle, elle ne le connaît pas, Tybalt. Maintenant, si. Au moins, elle sait de qui il s'agit, et plus précisément qui il est pour lui. « On va tous s'installer dehors ? On y sera mieux. Je m'occupe de lancer le feu. » Il ne va quand même pas demander à Tybalt ou à Zippora de le faire. Il ne se vante pas d'être en meilleure forme qu'eux deux mais ... En fait, si. Tybalt a l'air de voyager seul depuis un moment, tandis que Zippora est encore en pleine convalescence, quoi qu'elle en pense et quoi qu'elle en dise. En tout cas, Leandro n'attend pas leur réponse pour sortir de la maison. Il est temps de se mettre en marche, ils ne peuvent pas se permettre de trop traîner la patte.

Tout ça c'est ... bizarre. Oui, bizarre, c'est le terme le plus approprié. Leandro ne sait pas vraiment comment se comporter, et il ne doit pas être le seul dans ce cas-là. Zippora a peut-être le sentiment d'être de trop, quand Tybalt, lui, doit se sentir étrange. S'il voyage seul depuis un moment, nul doute que se retrouver au milieu de deux personnes demande un certain temps d'acclimatation. Leandro ne peut pas s'empêcher de l'observer du coin de l'oeil, de s'interroger à son sujet. Pourquoi n'est-il pas dans un groupe ? L'a-t-il seulement été à un moment ? Il a l'air d'un ... sauvage. Carrément. Sa voix est un peu enrouée, signe qu'il n'a pas parlé depuis longtemps. Et sa manière de se tenir, en plus de son apparence physique, n'aide pas à changer cet aspect-là. Enfin bref, qu'importe. Pour Leandro, il reste son frère et c'est tout ce qui compte. Bien sûr qu'il va l'inviter à rester à eux, et évidemment qu'il va espérer qu'il le fera et qu'il ne cherchera pas à prendre la fuite. Une fois tous installés dehors, Tybalt, qui vient de boire quelques gorgées, leur pose une question. Deux questions, en fait. Zippora est plus rapide que lui, elle lui répond. De toute façon, il est occupé à allumer le feu, et surtout à l'alimenter une fois les premières braises visibles. Il ne peut pas se permettre de le laisser s'éteindre, ils commencent à manquer d'allumettes, et son briquet l'a lâché depuis un moment. Il faudra qu'il fasse des provisions à ce niveau-là, la prochaine fois qu'il fera un raid, une expédition, appelez ça comme vous voulez.

Zippora résume assez bien leur rencontre, quand bien même il n'arrive toujours pas à se faire à l'idée qu'il l'a sauvée. Il ne l'admet pas vraiment. Il préfère se dire qu'il s'est défoulé sur les rôdeurs, et qu'il s'est avéré qu'elle était là. Dans son élan de folie, il a eu de la chance, voilà tout. D'ailleurs, il jette un rapide coup d'oeil en direction de la jeune femme, la remerciant silencieusement de taire certains détails. Tybalt n'a pas besoin de savoir qu'il a pété un boulon plus d'une fois. Qu'il était même à la limite de devenir complètement et irrémédiablement fou furieux. Heureusement que Zippora était là, ouais. « Elle ne le dit pas, mais elle m'a sauvée la vie plus d'une fois. » Et pas que sur un plan très concret, sur d'autres plans également. Bref, pas besoin de s'étaler plus que ça. « Quelques années, oui. On était dans la zone 51 en Arizona pendant tout ce temps. » La question de Zippora intervient ensuite. Et, avant que Tybalt n'ait pu répondre et donner plus d'informations le concernant, il tient à ajouter un petit quelque chose. « Tu n'es jamais venu dans la zone, d'ailleurs ? Tu n'as pas entendu l'appel radio ? » Il savait que ça ne fonctionnerait pas totalement, leur système. Bien sûr que ça a rameuté du monde. Mais, déjà à l'époque, bon nombre de survivants se méfiaient, et n'ont probablement jamais osé tenter leur chance. Enfin, il le dit avec le recul. Sur le coup, ils n'avaient vraiment pas d'autres moyens pour faire entendre leur voix et leur présence. Ils ont fait ce qu'ils ont pu, avec ce qu'ils avaient.