Elle avait erré toute la nuit ainsi que toute la veille. Perdue, désorientée, décontenancée. Pour la première fois depuis que le monde était parti dans un délire franchement morbide, elle ne savait plus ce qu’elle était censée faire, dire, où elle était sensée aller. La blonde finit par laisser tomber son sac au pied d’un arbre bordant la route avant de se laisser choir à ses côtés, reprenant son souffle du mieux qu’elle le pouvait. Tout était allé si vite qu’elle avait l’impression de ne pas avoir respiré depuis des jours. Fermant les yeux un court instant, elle essaya de remettre toutes ses idées en ordre mais toutes les pensées qui traversaient son esprit revenaient à cette terrible phrase, ce terrible fait. Diego était mort. Quand la rumeur s’était répandue dans Bodie, elle ne l’avait pas crue, se précipitant dans la maison qu’occupait alors son époux pour le voir de ses propres yeux. Son corps sans vie, livide et pourtant maculé de cette substance pour et épaisse venait de se voir infliger le coup de grâce afin d’éviter qu’il ne se transforme en monstre dévoreur de chair. Combien de coups de couteaux s’était-il pris… Dix ? Peut-être même vingt. La vision l’avait clouée sur place tandis que quelques regards avaient déjà commencé à converger vers elle.

La Russe de naissance s’était approchée de lui et avait posé sa main contre sa poitrine, espérant presque le voir se réveiller à ce contact pour mieux l’envoyer paître. Mais rien ne se produit si ce n’était l’oppression naissante dans la pièce et les regards plus suspects les uns que les autres tandis que l’on disait qu’il fallait mettre la main sur le coupable. Les doigts de Mikhaïla trouvèrent alors l’anneau doré que son ex-mari conservait autour de son cou. C’était bien la première fois qu’elle le remarquait et son cœur se déchira devant ce symbole aussi petit que précieux pour elle. Malgré tout, malgré ce qu’ils avaient traversé, il avait conservé ce vestige de leur mariage, de leur vie commune. Au fond d’elle, elle éprouva bien des regrets. Au fond d’elle, elle sut qu’elle aurait dû passer plus de temps à ses côtés afin de pouvoir réparer les fautes du passé. Mais le temps lui avait manqué et aujourd’hui, il était trop tard. Elle sentit une larme glisser le long de sa joue et alors qu’elle resserrait ses doigts sur l’anneau, sur l’alliance, elle fut tirée en arrière, brisant la chaîne, conservant son bien précieux dans la main. Elle ne comprit pas immédiatement ce qu’il se passait mais lorsqu’on lui plaça le canon d’une arme sur la tempe, elle ferma instinctivement les yeux, persuadée qu’elle ne tarderait pas à rejoindre cet homme d’ici peu.

Au lieu de cela, on l’accusa ouvertement de la mort de Diego, elle eut beau lutter, se débattre, se défendre oralement, on la frappa sans retenue avant de l’enfermer de nouveau comme un animal. Il fallait un coupable aux habitants de Bodie et l’ex-femme défiante de leur leader était un choix amplement suffisant pour le moment. Pour eux, il s’agissait là d’un motif on ne pouvait plus clair. Alors, au fond d’elle, la part déchirée de son être semblait avoir accepté cet état de fait, sa mort prochaine. A son cou, sur la chaîne qui maintenait sa propre alliance, elle ajouta celle de Diego. Les deux anneaux ainsi réunis étaient plus nostalgiques qu’elle n’aurait pu le croire et silencieusement, elle avait pleuré durant toute la fin de la journée. Ce ne fut que lorsque la nuit était tombée que quelqu’un était entré. Que quelqu’un l’avait aidée. Déposant son sac à ses pieds, on lui avait assuré une sortie et elle avait pu décamper, quitter cet enfer qui ne lui réservait que la mort. Aveuglée par le chagrin, ce fut en exécutant des gestes purement machinaux qu’elle s’était éloigné de Bodie sans le moindre regard en arrière, sans essayer de se rattacher aux vestiges de ce passé qu’elle aurait pourtant bien du mal à oublier.

Toute la nuit, elle avait avancé, tuant machinalement les rôdeurs du couteau qu’elle avait récupéré dans son sac, poursuivant sa route sans jamais s’arrêter. Elle ne mangea pas, la faim ne se faisant nullement sentir comme si elle était déjà habituée à ce régime par les quelques jours enfermés dans cette maison. Elle ne but qu’un peu d’eau à plusieurs reprises, fuyant les rôdeurs et les vivants, l’esprit vide et les gestes mécaniques plus que dignes d’un être humain.

Finalement, sa course s’était arrêtée au pied de cet arbre où elle s’était laissée tomber, le dépit l’emparant tout entier, ne sachant plus dans quelle direction marcher. Elle ferma les yeux un court instant, prenant une profonde respiration. Combien de temps ? Elle l’ignora. Cela lui semblait être une seconde ou deux et pourtant, ce fut un bruit qui attira son attention, la faisant bondir sur ses pieds et se saisissant de son couteau avant de se plaquer contre le tronc de l’arbre. D’un regard, elle chercha son assaillant du moment. Une jeune femme était là, de dos. Si elle s’en sortait bien, elle pouvait s’approcher d’elle et la maîtriser en silence. Sauf qu’elle n’avait pas la force mentale d’agir de la sorte. Poussant un soupir, elle siffla un coup pour attirer l’attention de la brune. « Hey ! Sois cool et me descends pas de suite. J’sors de l’enfer, c’est pas pour y retourner dans la foulée. »