Tout va si vite en ce moment, qu’il a l’impression de nager dans un océan sans fin. Dire qu’il avait les pieds sur le sable sec, quelques semaines plus tôt, ça semble être une bonne blague aujourd’hui. Hier, il a commencé le travail plus tôt que d’habitude, et son collègue est arrivé en retard pour prendre la relève. On va dire que sa nuit a été courte, qu’il aurait bien voulu rester plus longtemps sous la couverture. Dormir, ça aurait été bien, mais impossible pour Mason de fermer l’oeil, alors qu’il passe son temps à se retourner. Les volets de la caravane sont fermés, il n’y a pas beaucoup de jour qui entre à l’intérieur. Il ne fait déjà pas bien beau à l’extérieur, avec cet hiver qui ne semble pas en finir, mais de là où il se trouve, on dirait juste que la lune est ronde, élevée dans le ciel, et qu’elle éclaire la Terre avec un peu plus d’intensité que d’habitude. C’est comme ça qu’il compte se reposer.

Même si ses yeux sont fermés, la conscience de Mason est en pleine ébullition. Du bouts des doigts il caresse la marque sèche maintenant, qu’a creusé Salomé en tentant de l’étrangler avec cette satanée corde. Elle n’est plus aussi douloureuse qu’avant, mais elle est peut-être un peu plus sensible. La rougeur a presque disparu, d’ici une semaine, il n’y aura plus rien. Du moins, c’est ce que Mason espère, car il en a marre de se trimballer avec des pulls et des gilets qu’il ferme jusqu’au menton. Ce n’est pas un homme qui craint le froid d’habitude, et là, il se fait simplement penser à un esquimau sur sa banquise. Malgré qu’il se souvienne de la douleur qu’a causé le manque d’oxygène, de l’impression qu’on lui arrachait le coup lorsqu’elle serait la corde, Pope, il est assez malsain pour repenser à ce moment comme si ça avait été quelque chose de magique à ses yeux.

Le simple fait que ce soit Salomé qui ait été là, dans cette vieille cabane près des champs, le met dans tous ses états. Sa vision, son fantasme de cette femme, est la seule chose qui parvient à le calmer depuis presque six ans maintenant. Mason lui-même se trouve étrange de trouver du réconfort en pensant à la femme qu’il a failli humilié dans sa propre maison. Il se hait de ce qu’il a failli faire, mais il trouve le moyen de se dire qu’il en avait le droit. Parce qu’il est persuadé l’aimer à sa juste valeur, il est persuadé qu’elle lui appartient. Comme si Salomé n’avait pas d'existence propre à elle-même. Il irait même plus loin en disant qu’elle lui a donné le droit d’agir, lorsqu’elle est entrée dans cette fameuse chambre où il avait élu domicile. Elle avait voulu se protéger, mais Mason, il dirait qu’elle l’a laissé faire. Parce que c’est plus facile, plus beau, de ce cacher derrière ce fantasme qu’avouer le monstre qu’il est.

Et parce qu’il la désire à un tel point, Mason, il avouerait volonté qu’il recommencerait tout, depuis le début, ne serait-ce que pour avoir la chance de la toucher, de l’avoir pour lui.

“  - [...] ne m’assommez pas, je suis censée vivre ici, maintenant.”

Pope ne réagit à la présence de la femme qu’à la fin de sa phrase. Il ne l’avait pas entendu frapper, ni parler au début, parce qu’il était trop concentré dans le plaisir éprouvé à cause de ses pensées malsaines à propos de Salomé. D’un mouvement brusque, il s’est relevé de son matelas en position assise, alors qu’il était allongé sur le dos. Sa main sort de sous la couverture comme s’il était pris en train de se toucher, et retombe sur le matelas alors que l’autre se redresse pour cacher l’éblouissement produit à cause de la porte ouverte. Il voit entre ses doigts le visage d’une femme qui a un peu plus que la trentaine, affaire dans une main, clé dans l’autre. Il n’a toujours pas prononcé un mot, qu’il soupire en comprenant enfin ce qu’il se passe. Sa main retombe alors lourdement sûr le matelas.

“ - J’vais mourir…” Dit-il en se laissant retomber aussi en arrière. Mais Mason, il reste quelques secondes comme ça avant de se redresser pour sortir de sous la couette. Il saute alors, en jogging et t-shirt, du lit superposé pour atterrir par terre. “ Désolé, on nous a pas prév’nu qu’on allait avoir quelqu’un.”

La tête encore à moitié endormi, preuve qu’il était sur le point de le faire grâce à Salomé, Mason commence à ouvrir les volets de la caravane pour que le soleil entre à l’intérieur. Tout s’éclaire rapidement, et lui, il se met à gratter ses yeux comme si ça pouvait l’aider. Il regarde autour de lui, et trouve par terre la corde qu’il avait récupéré, la corde de Salomé. Instinctivement, il la ramasse et la glisse dans sa poche. Là, prit sûr le vif, chez lui, il ne pense même pas à enfiler quelque chose pour cacher la marque de son cou.

“ - Mason, enchanté.” Dit-il avec un léger sourire, alors qu’il tend la main vers elle pour la saluer. Lorsqu’il réagit qu’elle porte ses affaires, il baisse la main et lui pointe du doigt un placard où elle pourra tout rangé, à côté du lit superposé. “ J’ai pris lit du d’sus quand j’suis arrivé, Gordon était là avant.” Comme ça, il explique pour l’absent a le meilleur des lits. “ Désolé, tu t’retrouves avec celui du dessous.” Là, il vient tapper son matelas, au dessus, comme s’il parlait à un autre mec dans une colonie de vacances. “ Toi, c’est Maggie, c’est ça ?” Là, il a l’impression d’avoir un vague souvenir de sa présentation à l’extérieur.

Lorsqu’elle a proposé d’attendre dehors pendant qu’il finissait de se tuer, Mason n’a pu que froncer les sourcils parce qu’il n’a pas compris où elle voulait en venir. Ses pensées étaient bien loin d’une branlette quotidienne, et tout ce qu’il voulait s’était dormir. S’endormir, maintenant, tout de suite, s’endormir. Peut-être pour hiberner pendant des semaines, comme peuvent le faire les ours. Mais Pope s’arrache bien vite à cette idée lorsqu’elle dit que c’est lui qui voudra bientôt changer de lit… pour des raisons qui le font rire sans qu’il ne s’y soit attendu. Alors, il rigole, manque de s’étouffer et se met à tousser. On voit que c’est un grand fumeur, non lui, il n’a pas arrêté ces petites feuilles roulées qui continuent de lui pourrir la santé. Le monde a changé, mais les petits habitudes -tant qu’on puisse les assouvir, restent confortablement ancré à l’intérieur des gens. Reprenant son sérieux pendant le lapse de temps où elle a rangé ses maigres affaires.

“ - Vous avez des occupations un peu bruyantes pour qu’une corde traîne sur le sol de votre caravane ?” Là, Mason écarquille les yeux en la regardant comme si elle sortait d’un tout autre monde. “ Pas de jugement.”
“ - Non, non, j’t’assure que non, tu peux dormir tranquille.” Il se défend rapidement en grimaçant, l’image imaginaire de Gordon et de lui-même imprégnant son esprit sans qu’il ne puisse plus s’en détacher. " Trop d'barbe et pas assez d'cheveux à mon goût. C’est juste…” Commence-t-il à dire en tâtonnant à travers sa poche pour caresser la corde du bout des doigts. “ de la merde, fais y pas attention.”

Mais ce qu’elle vient de demander, c’est pourtant la question de trop. Celle qui le fait enfin réagir, et qui le pousse à ouvrir son propre placer pour en sortir un pull léger avec un colle roulé. Si ce n’est pas avec une écharpe, c’est avec ce truc qu’il cache la marque que Salomé lui a faite. Alors, il l’enfile en deux temps trois mouvements, puis frotte ses bras comme si c’était la fraîcheur extérieure -entrant par la porte ouverte, qui l’avait poussé à enfiler ça. Puis, il contourne Maggie qui reste droite comme un i, bête, branlante, à côté de son matelas, pour ouvrir les fenêtres et aérer l’endroit comme si ça n’avait pas été fait depuis longtemps. Ensuite, il s'assoit sur le premier tabouret qu’il attrape, et se frotte de nouveau l’oeil pendant qu’elle reprend la parole, cette fois, sans humour dans la voix.

“ - T’as cherché à venir, donc ?” Voilà qu’il demande, pose cette question, après qu’il ait fait le rapprochement rapidement. Si elle a guetté les éclaireurs d’Ellia, c’est qu’elle est restée dans le coin assez longtemps, a entendu assez de choses, pour se donner envie de découvrir la communauté. “ Ca m’étonnes pas que t’ai atteri ici, alors…”

Si elle partage cette caravane, c’est qu’elle fait partie des exemplaires, tout comme lui. Elle est censée être quelqu’un de toute confiance, quelqu’un a qui il mettrait sa vie entre ses mains. Pope, il se dit qu’il aurait voulu qu’Emily et Finn -son frère, soient tous les deux dans cette même catégorie, comme ça, ils auraient tous les trois pu partager la même caravane. Mais il se souvient aussi de la façon dont ils ont été amené ici, comme des animaux privés de vu, enfermé, déshabillés, et questionnés comme si l’être humain n’était plus. Il se met légèrement à rire, ce qui fait sauter ses épaules alors qu’il se penche pour poser ses coudes sur ses genoux et être mieux positionné pour ancrer son regard dans celui de la blonde.

“ - Tout ce que t’as besoin de savoir pour l’instant,” Là, il se met à compter sur ses doigts en énonçant les principes à respecter, comme un enfant qui fait une liste. “ fais pas de conneries à l’intérieur, ou tu vas te faire enfermer. Va pas dehors près du mur, sinon, on, je, vais te buter en te prenant pour un connard, ou un zombi.” Il n’est pas du tout ébranlé par cette possibilité, Mason, il a tué un homme avant d’avoir trempé son biscuit correctement. Etre militaire de carrière, de famille, de sang, ça forge un homme. “ Travail le plus possible pour avoir des tickets, et profiter de tous les plaisirs qu’on a dans les lieux publics.” Il hausse les épaules, se redresse pour poser son dos contre le dos froid de la caravane. “ Traîne pas dans la zone B, ni la A, ça pourrait faire croire que t’as pas été classée au bon endroit.”

On sait bien ici, que quand les gens voient quelque chose de suspect, ils n’hésitent pas à laisser des rapports pour Vance. Une vie ici peut être fiche en l’air sans qu’on ait rien vu venir. Et là, il se dit que si Salomé a posté un rapport contre lui, il est dans la merde. Ca lui donnerait presque envie d’en poster un contre elle en représailles, mais il est incapable de faire quoi que ce soit qui pourrait la pousser vers la sortie d’Ellia.

“ - Sinon, tu vas juste retrouver un semblant de c’qu’on avait avant… et franchement ? “ Il fait craquer ses doigts, avant de s’étirer en levant ses mains jointes au dessus de sa tête. “ C’est p’t-être la meilleure chose que Vance a à t’offrir.” Il le croit dur comme fer, ce fait, car Mason, il veut protéger les civiles, recréer une civilisation, recréer le monde. “ C’est quoi, le poste qu’on t’as assigné ?”

“ - Tu devrais essayer de te trouver une crème, ou quelque chose du genre. Ce n’est pas une zone qui guérit facilement.”

Maggie ne sait certainement pas à quel point elle a raison, pourtant, elle ne sait pas à quel point elle devrait être effrayée par cette marque rouge autour du cou de Mason. Le pire dans cette histoire c’est que lui-même n’arrive pas à comprendre ce qu’il a ressenti lorsque Salomé lui a passé cette corde pour l’étrangler. Pourquoi avait-il eu une mi-molle, à ce moment-là ? Qu’est-ce qu’il a bien pu trouver d'érotique dans le fait de manquer de mourir, sérieusement. Ce qui est le plus effrayant c’est que Pope est tiraillée à l’idée de se passer lui-même la corde au même endroit pour ressentir la même chose que Salomé avait provoqué chez lui. C’est malsain, ce qu’il éprouve pour elle. Personne ne devrait être comme ça, et personne ne devrait savoir ce qui se passe dans sa tête. A défaut de quoi, Mason pourrait vite être enfermé, déchu de ses avantages dans ce nouveau village.

Lentement et silencieusement, Mason a répondu positivement aux questionnements de la nouvelle, Maggie. Il s’est mit légèrement à rire lorsqu’elle a clairement dit qu’elle ne voulait pas retrouver un monde comme celui qui était là avant. Mason est un peu d’accord avec elle, tous ceux qui ont survécu jusqu’à présent ont gagné le droit d’être nourri, blanchi, et logé. Pour tout ce qu’ils ont fait, et tout ce qu’ils vont encore faire.

Il explique à la blonde les choses suivantes, avec des mots aussi précis et courts, comme s’il cherchait à ne jamais donner trop d’informations inutiles. Pope dit alors qu’ils ont chacun, trois repas par jour. Matin, midi, et soir. Qu’ils ont aussi de façon mensuelle, quelque chose pour se laver. Mais que le reste est un surplu que l’on achète grâce aux fameux tickets. Pope s’empresse d’ajouter que ce n’est pas bien compliqué d’en récolter suffisamment pour profiter de petits plaisirs, après tout, tout travail mérite salaire, n’est-ce pas ? Et il trouve ça plutôt relaxant de trouver un semblant de ce qu’ils pouvaient avoir avant. Les choses deviennent plus rares avec le temps, tout ne peut pas être distribué gratuitement, mais il n’y a rien de mis de côté pour ce que l’on pourrait appeler ‘’la haute société’’. Non, à Ellia, tout le monde est plus ou moins égaux, tout le monde peut acheter ce qu’il veut. Tant que le travail suit derrière, rien n’est interdit. Si Mason connaît bien les tarifs c’est qu’il dépense souvent pour les autres. Il travaille beaucoup et aime partager avec son frère et Emily.

“ - Juste… surveiller les gens.” Dit-il avec un léger rire. “ Histoire qu’on ait pas de voleurs, ou de meurtrier chez nous…” C’est tout ce qu’il voit qu’un gardien de la paix peut faire, à Ellia, ou en général d’ailleurs. Mason, il comprend bien par là que son ancien métier ressemblait à celui qu’on lui a confié ici. Mais il ne réagit pas, parce que ça n’a pas d’importance. “ Tu vas sécuriser les lieux publics, les zones intérieures au village. T’es le dernier rempart pour protéger les civils, au cas où moi et mes potes on venait à tomber.”

Pope se met légèrement à rire comme si cette image était une idée farfelue. S’il n’a rien pu faire lorsque les bombes leur sont tombées sur la gueule à l’époque, il n’est pas près aujourd’hui à laisser les autres gagner. Même s’il ne sait pas qu’ils étaient, d’ailleurs. Mais maintenant encore, Mason se dit qu’ils devaient être v’là équipés pour faire une telle chose simultanément sur tous les campements du territoire. Il a toujours autant envie de se venger de ces connards, et se dit qu’il ne laissera pas tomber Ellia. Non s’ils devaient être attaqués, cette fois-ci, ils seraient prêts à se battre et surtout, gagneraient cette bataille.

“ - C’est pas qu’on est classé, c’est juste…” Mason soupire légèrement, parce qu’au fond, il ne sait pas vraiment comment expliquer ce qui peut amener Vance à choisir le groupe de chacun des gens qui entrent ici. Ses coudes atterrissent sur ses genoux, et il semble alors se rapprocher un peu plus d’elle en se baissant de la sorte. “ Vance sait en qui il peut avoir confiance, et ceux en qui c’est plus… difficile. Si t’es là, avec moi, avec Gordon... “ Il sourit, se redresse en haussant les épaules, puis s’étire la colonne vertébrale en levant les bras haut vers le plafond de la caravane. “ C’est que tu fais partie des meilleurs.. après, y a ceux qui sont suspects. On va dire que Vance les garde à l’oeil, mais qu’ils sont quand même avec nous. Entre les deux, t’as ceux qui sont normaux, acceptables comme Vance les appelle.” Mason se relâche subitement et ressemblerait presque à un ballon qui se dégonfle, et qui s’arrête à moitié plein d’air, coincé d’en dessous par le tabouret, et sûr le côté grâce au mur frais de la caravane. “ J’sais pas trop comment il fait pour choisir, mais c’est plus ou moins bien fiscellé son truc…” Encore une fois, il se met légèrement à rire. “ Vance a mis ma pote, Emily, chez ces derniers. Même si j’aurais préféré qu’elle soit à ta place, clairement, j’comprends pourquoi il l’a mise là.”

Penser à Emily le fait rire, même s’il repense à la dernière sortie qu’ils ont fait tous les deux. Quelle idée d’aller visiter la maison blanche, sérieusement ? C’était débile, et dangereux, mais putain, qu’aux yeux de Mason cette expérience était parfaite.

“ - Mais bon, tu vas prendre l’habitude, t’inquiète.” Pope se lève et regarde par la fenêtre quelques secondes avant de se tourner de nouveau vers la nouvelle. “ Tu veux t’reposer un peu, ou tu veux que j’te fasse faire le tour ? J’suis sûr qu’il reste quelques pains au chocolat à la boulangerie, et je crève la dalle.”