« Ah … Parler de moi n’est pas mon fort. Je ne sais jamais par quoi commencer, ni  par quoi continuer. Il y a tant de choses à dire sur une vie ! Et je veux toujours trop bien faire, éternellement insatisfaite de ce que je produits. Plus jeune, j’aimais tant écrire, dessiner … Mais bien souvent, je finissais par détruire mes créations, trop frustrée que cela ne ressemble à ce que je désirais. Vous vous souvenez, dans le temps, quand nous devions pondre des curriculum vitae pour espérer avoir un job merdique ? Il y avait ce fameux adjectif risible, employé par certain(e)s dans le but, éventuel, de se faire bien voir … ‘Perfectionniste’. Le véritable perfectionnisme est plutôt un fardeau qu’un atout. Ou peut-être est-ce moi qui n’est pas assez d’emprise sur mes émois ? C’est ce que mes proches ont toujours plus ou moins dit de moi. ‘C’est un amour cette enfant, mais on ne sait jamais comment s’y prendre avec elle. Ce qui fonctionne un jour fait d’elle un petit diable le lendemain !’, ça c’est approximativement ce qu’une tante avait dit de moi. J’avais quoi … Six ans ? Cela m’a marqué. Nous étions à table, grand repas de famille, avec tonton grincheux, papy réac, la tripotée de cousins et de cousines … Vous voyez ? De la famille, ah, ça j’en avais ! Fratrie de cinq garnements, demi-frères et demi-soeurs, deux tantes du côté paternel, trois oncles du maternel … On pourrait alors supposer une paisible enfance, avec tant de monde capable d’aimer ! Mais, la vérité est que, lorsque l’on a une aussi grande famille, il y a sans cesse des conflits, des drames, des chamboulements …

    Peut-être devrais-je vous parler de mes parents ? Tous les deux militants, leur vie a toujours été très mouvementée et de fait (de cela et d’autres choses), notre enfance également. Ils s’aimaient autant qu’ils se détestaient. Je n’avais que quatre ans quand ma mère a décidé, la première fois, de jeter mon père. Ils ont retenter, plusieurs fois, en vain. Puis elle a eu encore deux autres enfants.

    Enfant, j’étais si proche de mon père. Je me souviens quand nous lisions des histoires ensembles, ou encore quand nous comptions nos fantômes. Ah, oui, vous n’allez pas comprendre ! Le soir, nous regardions les lumières vacillant dans les montagnes, nous disant qu’il s’agissait de fantômes. Et souvent, nous les comptions et les partagions. Cette proximité s’est effritée avec les années, c’est alors de ma mère que je me suis rapprochée. Paraît-il que c’est un cheminement normal, ou du moins très courant. Ceci dit, j’ai toujours idolâtré ma mère. Adolescente, et désormais plus proche d’elle, je me reconnaissais véritablement en elle. Aussi, sur de nombreux points, nous partagions les mêmes opinions. Nous étions si complices. Je n’ai jamais égaré ce pendentif, offert le jour de ma majorité. Une pierre de topaze, toujours reposant sur ma poitrine. Elle m’a également transmis son amour des animaux, de la nature, de la vie en général, et sans doute son dégoût pour l’humain. Par ailleurs, je lui dois mes connaissances en botanique. Je m’y suis intéressée alors que j’étais adolescente. Elle m’expliquait mille et une chose sur les façons de cultiver la terre, m’avisait toujours de petits conseils, me précisait les effets des divers plantes … C’était pour elle une véritable passion, autant que les luttes sociales et écologiques dans lesquelles elle s’investissait. C’est par ce biais qu’elle rencontra d’ailleurs mon père. Un certain temps s’est écoulé, entre le jour de leur rencontre, et celui où ils se sont aimés. Il était enseignant et chercheur, en anthropologie. C’était lui qui, de ses commentaires passionnés, me redonnait toujours un peu espoir en le genre humain.

    Mes frères et sœurs, dans tout cela ? Troisième de la fratrie,  cadette de deux jeunes garçons, aînée de deux autres filles, nous avons toujours formé un ensemble soudé, inséparable, et ce malgré nos différents pères. Dans les temps difficiles, quand maman n’était pas là, ou quand elle n’allait pas, nous comptions les uns et les unes sur les autres. Nous savions vivre ensemble, partager les tâches. L’un préparait le repas, l’autre aidait aux devoirs, jouait avec les autres ou les emmenait à leurs activités respectives, tandis un troisième prenait en charge le soin des animaux, les tâches ménagères … La maison, parfois trop froide, mais toujours emplie d’une infinie chaleur humaine, résonnait chaque jour de la vie de ses habitants et habitantes.

    J’ai la sensation d’en avoir déjà beaucoup dit … Pourtant il me semble que ce n’est pas assez. Devrais-je plus amplement parler de moi ? Mais que dire ? Qu’est-ce qui est intéressant ? Ce que j’aimais faire ? Lire, écrire, créer de mille et une manière … Sportive, je pratiquais l’équitation, le ju jitsu, l’escalade, le ski, la musculation … Studieuse et curieuse, j’aimais apprendre, j’aimais l’école. Oh ! J'en oubliais de vous vous préciser que je suis née et ai grandi en Norvège. Avant que tout ne s’écroule, à la fin du secondaire, je m’étais lancée dans des études de sociologie … Quelque chose que je dois à la passion de mon père. Littéralement séduite par la discipline, j’excellais. Et maintenant, devrais-je aborder la question de ‘qui j’aimais’ ? Je pense qu’il serait plus simple de dire que j’aimais, et que j’aime encore, aimer. Je suis de ces personnes capable d’aimer plusieurs personnes, de celles pour qui le genre n’importe pas, de celles qui aiment rencontrer et découvrir les autres, de celles qui aiment plaire et qui aiment jouer. »