Le regard vide comme si mon âme avait décidé de se faire la malle, j’étais plongée dans mes pensées les plus intimes et les plus pénibles. J’étais assise sur un trottoir, le dos complètement voûté et admirant le goudron comme seul motif de divertissement. Mes genoux s’entrechoquaient comme une poupée désarticulée que l’on aurait oublié d’asseoir correctement dans son fauteuil de bois. Un frisson s’empara de moi et m’obligea à cligner des yeux, me rendant légèrement vivante l’espace d’un instant. Pouvait-on se transformer en leuco à cause d’un chagrin aussi profond ? Il me semblait qu’une partie de moi était morte.

Là, juste là, dans ce même enfer, dans ce faux paradis, je n’ai fait que l’apercevoir alors qu’il partait. Pour quelle contrée ? Pour quoi ? Ne m’avait-il pas senti, pas vu ? La plus grande tête pensante encore en vie s’en était allé sans moi. J’étais tombée irrémédiablement amoureuse de Théodore, mais il n’avait jamais su déceler tout ce que cela impliquait. Il m’avait laissé complètement vide, froide, je n’étais plus qu’une coquille. Mon seul espoir était qu’il était encore en vie, mais pour combien de temps ? Il aurait pu me dire que mon jeu de la sœur jumelle était pénible, qu’il ne me reconnaissait plus, mais il aurait dû me laisser auprès de lui. Qui le protégera maintenant ? Il est bien parti avec d’autres personnes, me semble-t-il, mais sont-ils les bonnes personnes ?

Au fond de mon être je le sentais, notre histoire était finie, j’avais perdu la dernière ouverture pour que notre histoire se finisse bien. M’avait-il vu flirter avec un autre garçon ? C’est vrai que j’avais tendance à bien jouer le rôle d’Augustine mais… Quand même… Je ne méritais pas un tel traitement me semblait-il. Théodore était la seule personne que je voulais apprécier, la seule que je voulais aimer pour ne plus avoir à souffrir. J’étais vide parce qu’il me semblait soudain que je n’avais plus rien pour moi. Mes yeux fantômatiques observa un moment le ciel et cela me vint comme une évidence : j’étais humaine. Je me plaignais sans savoir tout ce que l’on m’accordait à l’instant : protection, un semblant de vraie vie, un travail, mais…. J’avais perdu ce qui comblait mon cœur et me donnait une vraie raison de poursuivre mon but de sauver cette planète bleue.

Fallait-il toujours prétendre que j’étais Augustine ? Peut-être que oui, peut-être que non. Plus aucune voix de la raison pourrait me raisonner. Gemini s’en était allé, laissant Pinocchio froid sur le carrelage, son nez ne cessant de s’allonger de secondes en secondes.

Nos doigts enlacés, je me souvenais quand je tentais de le faire danser, juste pour me faire plaisir. Juste cette fois, lui susurrais-je, même si c’était un mensonge de plus, une excuse pour me sentir plus proche de lui. Fallait-il que je me réveille avant que quelqu’un me signale comme étant un danger public potentiel dû à mon dysfonctionnement du cœur ? Le truc c’est que, je n’avais plus envie de faire semblant, de sourire, de rire, d’être satisfaite. J’avais envie de faire comme dans les comédies musicales et attendre qu’un autre homme vienne me tendre la main pour m’apprendre que ma vie n’était pas finie. Sans doute qu’un garde de Vincent allait me coller un coup à la tête pour me rappeler qu’ici, on vit dans la ville du bonheur et on file droit. Il était même surprenant à mon sens qu’il n’y ait pas de panneau « obligation de sourire » dans chaque coin de rue.

Un léger soubresaut me sortie de ma torpeur. Mon index effleura mon front et confirma ce que je présentais, il commençait à pleuvoir. D’un léger soupir, je plaquais seulement ma main gauche au-dessus de mes yeux comme s’il s’agissait d’un parapluie super à la pointe. Non, je ne bougerais pas de mon trottoir, d’ailleurs, j’envisageais d’y inscrire mon prénom en lettres d’or. Le déluge pouvait s’abattre sur moi, il était déjà bien présent dans mon cœur, alors qu’importe !