Milo n'avait pas envie de raviver les braises de la colère en train de lentement s'éteindre. Il n'avait donc ni ironisé, ni menti par omission, ni minoré ses actions. Droit et honnête, il s'était contenté d'énoncer les faits sans aucune mauvaise foi. Bien qu'il y avait matière à déclencher un incident diplomatique, il s'en était abstenu. Ca stoppa net tout remontrance. Ni l'un ni l'autre ne pouvait se reprocher le fait d'être rouillé en ce qui concerne les interactions sociales. Danielo avait choisi une vie solitaire entrecoupée certainement par des visites de Val. Milo avait choisi d'être l'éternel gars de passage. Il venait, il aidait, il était rémunéré, il repartait.  « Je suppose que je suis devenu un peu susceptible, aussi... » conclut le brun. Que Danielo le pense sincèrement ou qu'il ne le dise que pour éviter qu'il n'y ai qu'un seul fautif dans l'histoire, il tient toutefois des propos bien plus modérés qu'auparavant. C'est bon, t'inquiète pas, va. évacua-t-il rapidement. Ils avaient tous été contraints de changer s'ils voulaient survivre. La force des choses a rendu tout le monde méfiant, sans cesse sur la défensive et prêt à pallier au pire. Susceptible et parano. Aucun choix de vie ne s'avérait pérenne. Les communautés implosaient, les groupes finissaient par s'écharper, la solitude pesait et pouvait rendre dingue. Mais on refuse de s'attacher pour ne pas souffrir et faire souffrir. La vie est devenus quelque chose d'affreusement fragile.

Lorsqu'ils se lâchèrent le bras, Danielo fit mine de vouloir s'installer dans le lit, le blond se décala aussitôt, permettant à son compagnon de se laisser tomber sur ce matelas qui donnait l'impression d'être posé sur un nuage. Ou de s'y enfoncer lentement comme Dan. « Qu'est-ce qu'on va devenir ? » questionne Danielo en un soupir. Allons bon, songe dans un premier temps Milo en fronçant légèrement les sourcils. La situation n'est pas si catastrophique que cela. Ils sont relativement à l'abri. Ils ont presque toutes les commodités. Ils n'ont pas fini d'explorer les lieux et il y a peut-être encore des petits trésors à dénicher. Ils ont un vrai lit qui est divinement moelleux et confortable (ça allait être dur de le laisser là). Ils avaient de l'eau chaude. Et ils sont assurément les survivants les plus propres du pays. Très lentement, Milo tourne la tête vers son interlocuteur tandis que ce dernier poursuit, révélant que ce "devenir" ne concerne pas la survie à proprement parler qui n'est plus trop une source d'inquiétude - les zombies enfermés dans le dortoir seraient là pour en témoigner s'ils pouvaient encore parler. Est-il en train de chercher à catégoriser ce qu'il se passe entre eux? D'un côté c'est "intéressant" de savoir que ce sujet turlupine Danielo mais d'un autre...et bien, c'est pas la question la plus facile que Milo a à affronter. Difficile de trouver une réponse satisfaisante. Mais il y avait au moins une certitude qui ressortait des quelques phrases de Danielo. Désormais, il n'était plus envisageable pour l'un comme pour l'autre de se retrouver seul. Le brun ne le quittait pas des yeux et attendait qu'il réplique quelque chose. Le regard de Milo glissa sur le mur comme s'il cherchait de l'inspiration dans le gris du béton ou qu'il avait besoin de trier ses idées.

Ce qu'on va devenir? répéta-t-il. Et bien, je trouve qu'on est des bons botteurs de culs de zombies et qu'on ferait d'excellents mercenaires. commence-t-il d'un air faussement décontracté. S'emparant de plusieurs oreillers, il les éjecte hors du lit avant de s'allonger à son tour, dressé sur un coude, le poing appuyé contre sa tempe. C'est pas le genre de réponse que tu voulais, hm? reprend-il d'un ton plus sérieux en baissant les yeux sur le visage de Danielo. Un demi-sourire indécis apparaît sur ses lèvres. Je sais pas, Dan, il y a encore six mois, te retrouver appartenait au monde du rêve et de l'espoir. Maintenant, la seule chose que je souhaite, c'est qu'on ne soit plus séparé.

Le confort d'un simple matelas était devenu une sorte de luxe, alors que la plupart des survivants ne faisaient que s'approprier les restes de défunts ou de disparus. Danielo se souvenait avoir dormi dans un véritable lit probablement deux ou trois fois cette année seulement, devenu totalement itinérant. Il avait consacré ses dernières années à la recherche de sa famille, et aux pillages de campements ou logements abandonnés. Il n'était pas parvenu à se stabiliser, ou jamais plus d'une semaine, rapidement poursuivit par sa vicieuse réputation de voleur. Et puis surtout, il n'en avait jamais ressenti l'envie, même lorsqu'il avait retrouvé sa précieuse jumelle. Ils se donnaient souvent rendez-vous dans un recoin de ville, à 15 jours d'intervalles, puis reprenait, chacun de leurs côtés, leurs survies. Pourtant, Valentina et Danielo restaient connectés l'un à l'autre, et ceux malgré la distance physique et temporelle qui les divisait depuis six ans. La relation qu'entretenait Dan avec Milo était complètement différente. Jusqu'alors, il l'avait toujours considéré comme un membre à part entière de sa famille, sauf que depuis six ans, une sorte d'ambiguïté avait germé, compliquant éperdument les fondations de leurs amitiés. Encore ce soir, Dan ne savait plus dans quelle catégorie se ranger avec lui, pourtant très fermé sur le sujet. Il avait contenu tellement de rage, en six années d'attente, qu'une fois que celle-ci fut évacuée, il ne savait plus du tout comment gérer le reste, misérable face à autant de contradiction. Et le pire, c'est que le problème venait bel et bien de lui, et non pas du pauvre Milo, qui se contentait d'encaisser ses crises. Ses prunelles s'étaient lourdement posées sur le visage de profil de son ami, qui s'était installé en tailleur sur le lit. Une odeur de propre, très relaxante, avait envahi la pièce ainsi que leurs narines, bouleversant enfin, bien que de manière temporaire, l'atmosphère apocalyptique des lieux. Ça, plus le confort du lit, ils étaient enfin dans de bonnes conditions pour discuter. Les efforts du Colombien avaient fini par influencer les humeurs de Milo, qui n'essayait plus de changer de sujet, au moindre mauvais virage. Il gagnait du temps, certes, mais ce soir, ils l'avaient. N'est-ce pas ? À la prononciation du mot mercenaire, les sourcils du Colombien avaient mûrit en un V sévère, se souvenant à quel point il avait lutté pour justement, se débarrasser de telles individus. Il avait cavalé pendant 4 putains de jour, pour finalement parvenir à s'en tirer, et grâce à l'intervention de sa jumelle, avec laquelle il avait pu s'associer. Il ne souhaitait pas devenir ce type de spécimen, qu'il jugeait beaucoup trop cruel, comparer à leurs intentions. « Je préfèrerais plutôt un autre nom...». Commentait-il, distraitement, alors que Milo s'installait, et surtout, se rapprochait. Il le surplombait d'une tête, soutenu par son coude, alors qu'il s'était, lui aussi allongé sur le grand lit. Milo commençait véritablement à décrypter son partenaire, comme à l'époque, et au fond, cette progression l'angoissait quelque peu. Lorsqu'il croisa son regard, Dan paraissait toujours aussi replié par ses réflexions, cherchant à comprendre, lui aussi, le comportement de son voisin. Milo restait une énigme, il l'avait toujours été, et c'était peut-être pour cette raison, qu'il l'avait toujours trouvé intriguant. « Quand je disais que tu étais le plus sentimentale des deux...». Lâchait le brun, pour gagner du temps lui aussi. Il avait mis lui-même les pieds dans le plat, il se devait donc de ne pas abandonner en cours de route. Son bras valide était venu se caler en triangle derrière sa tête, laissant l'autre au repos. « Tu aurais peut-être moins apprécié le moi d'il y a six mois... il était un peu moins cabossé, et aurait pu vraiment te mettre KO..». Et par la colère, il en aurait été très capable. Un sourire amusé avait déformé sa mâchoire le temps de deux secondes, avant de disparaitre aussitôt, se transformant en une grimace sordide. « Et puis, maintenant que tu as vu mon cul, j'suppose qu'effectivement, tu ne veux plus me quitter.». Une petite plaisanterie qu'il aurait pu garder pour lui, mais qui finalement le menait dans une direction plus délicate. Pour noyer le poisson, son bras endommagé était venu lui tapoter l'épaule, réalisant que la douleur disparaissait un peu plus chaque jour et à chaque mouvement. « Malvenu, je sais... c'est mon genre.». Et au moins, il l'admettait. Tandis que ses iris verdâtres revenaient dévisager celles de son voisin, il avait repris un semblant de sérieux, toujours malmené par la posture de ses sourcils, qui chaque fois le trahissait. Au départ, il avait mordillé ses lèvres, retenant une question maladroite, qu'il avait fini par corriger, récupérant cet air plein de sévérité. « Ça faisait combien de temps, que tu... me cachais ça ? ». Il espérait avoir été assez clair, dans sa façon de l'interroger, sur le sujet le plus tabou qui subsistait entre eux. « Et je parle pas de ta bi ou homosexualité Milo, juste de nous. ». Un nous qui raisonnait dans la pièce comme une plaie ouverte. Parce qu'elle n'avait certainement pas cicatrisé en six ans, et qu'elle risquait de se rouvrir plusieurs fois, si tel était le cas. « Tu vois, finalement, moi aussi je peux garder le contrôle.» A plusieurs reprises, Milo lui avait reproché son comportement à ce sujet. Voilà qu'il essayait de lui prouver le contraire, en conservant, au maximum son calme ; Ce n'était pas le principe même de ce qu'il avait ressenti pour lui pendant autant d'année qui l'avait blessé, mais le fait qu'il le lui est dissimulé et surtout, qu'il est fait semblant. « Je suppose que ça explique les agissements, curieux, de ma sœur, sur la fin..». En y repensant, elle l'avait, et à plusieurs reprises, mis sur la voie déjà. « Tu vois, même ça, je l'ai mal pris. Vous étiez deux, vous avez fait semblant à deux, vous m'avez... caché un truc aussi important à moi... MOI». Il s'était subitement redressé, soutenu par son coude, face au visage indéchiffrable et surtout beaucoup plus proche de Milo. « On était pas censé... être un trio, tous se dire, ne rien se cacher ? Et non seulement tu l'as fait, toi, mais avec elle ? Et pendant combien de temps ? Tu crois que je me suis sentie comment, en dehors de la colère ? Je supporte pas, rien qu'aujourd'hui, que vous me mettiez sur le côté.. Rien que l'idée que vous m'abandonniez, vous... ça me tue. Alors ça... et surtout à l'époque, c'était trop. ». La fatigue et cette nouvelle proximité venait de faire ouvrir les valves des confidences, alors qu'une lueur humide balayait le vert émeraude de ses iris, menaçant à tout moment de tomber. Mais il ne le ferait pas non, il n'allait pas chialer devant Milo putain. Il était bien plus fort que ça nan? Sans s'en rendre compte, bien que toujours soutenu par l'un de ses coudes, il avait empoigné le col de Milo, le fixant avec intensité, cherchant des réponses dans ses yeux. Au fond, leur relation n'avait pas éclaté par dégout de la part de Dan, bien au contraire, elle avait explosé parce qu'il l'aimait trop.

La mention de son sentimentalisme lui fit lâcher un soupir amusé. En vérité, peu de personnes pouvaient s'enorgueillir de connaître Milo. Si les jumeaux Gomez étaient si importants pour lui, au point que les retrouver en pleine apocalypse était une priorité, c'est bien parce qu'avec eux, Milo savait qu'il pouvait être "lui-même". Pas besoin de sortir le grand jeu, de leur jeter des tonnes de paillettes dans les yeux, de surjouer ou de cabotiner...certes, il se montrait parfois arrogant et débordant d'assurance mais, il pouvait se contenter d'être vrai sans douter des raisons de leur amitié. Ils s'appréciaient tout simplement, dans les bons jours comme dans les mauvais, et peu importait l'endroit où ils passaient leur temps, ils étaient indissociables. Alors oui, Milo faisait certainement preuve de sentimentalisme quand il pensait aux jumeaux car avec eux, sa vie n'était pas une pièce de théâtre ou une vitrine pour les ambitions familiales. Sa vie lui appartenait...ou du moins, y avait-il cru jusqu'à un certain moment.
Alors, quand Danielo mentionna brièvement qui il était il y a encore six mois et l'attitude qu'il aurait eu à l'égard de Milo, le blond se contenta crânement de relever le menton accompagné d'un "peuh" orgueilleux, sous-entendant que ça restait à voir. Il aurait vraiment fallu que Danielo soit encore plus connard que connard pour qu'il fasse une croix dessus et le relègue complètement au passé. Et encore! Milo avait été incapable de le faire durant ses six années de survie en solitaire, s'accrochant à ses souvenirs comme un noyé s'accroche à une bouée pour ne pas couler. Il avait suffi qu'il voit Danielo vivant quelques minutes à peine pour trouver la force de supporter sa détention sans devenir dingue. Comment éjecter quelqu'un de sa vie quand on lui doit sa santé mentale?  « Et puis, maintenant que tu as vu mon cul, j'suppose qu'effectivement, tu ne veux plus me quitter. Malvenu, je sais... c'est mon genre. » Et ben...qu'est-ce-qu'il faut pas entendre. répliqua-t-il avec un air faussement blasé.

L'atmosphère n'était plus au conflit ou à la résistance. Est-ce-qu'ils auraient de meilleures circonstances pour se lancer dans une grande discussion à coeur ouvert? L'attitude de Danielo changea rapidement pour une mine grave qui ne supporterait pas de répliques légères et de blagues faciles. Il allait aborder le noeud du problème. Un très vieux noeud sur lequel personne ne s'était penché depuis six ans. Un noeud qui pouvait être défait comme tristement rompu. De multiples informations jaillissaient de la bouche de Danielo, des informations qui avaient toujours été conservées dans l'ombre. Le secret, la dissimulation, la petite cabale avec Valentina...autant de points à aborder et à expliquer. Milo laissa son alter ego libérer les vannes, balancer tout ce qu'il avait à dire, s'exprimant crescendo jusqu'au point d'orgue où le blond se fait empoigner sans résister ou éviter. Bon sang, ça faisait beaucoup de questions auxquelles répondre et pas sûr que Milo se souvienne de toutes. Le visage de Danielo envahissait son champ de vision et il ne pouvait pas éviter le regard bien trop brillant de son alter ego. Le blond n'avait pas mesuré jusqu'à quel point les secrets qu'il ne partageait qu'avec Valentina avaient pu atteindre l'autre. Se mordant les lèvres, gêné, Milo effleura du bout des doigts la joue de Dan, troublé par ce voile qui embuait le regard de ce dernier.Dan... murmure-t-il du bout des lèvres de la compassion sincère dans la voix. Il était temps de mettre de la lumière sur cette crise qui avait tout fait voler en éclats. Il m'a fallu du temps avant de me rendre compte que je t'aimais plus que comme un frère. Du temps et Valentina. avoue-t-il. C'est elle qui avait noté ces oeillades un peu trop appuyées et surtout remarqué cette mauvaise humeur qui envahissait Milo lorsque Danielo se faisait courtiser par une inconnue en soirée ou pire lorsqu'il en courtisait une. Elle n'y avait pas été par quatre chemins pour lui ouvrir les yeux, franche et directe, en sachant par avance qu'elle allait se confronter à un mur. Elle était parvenue à percer une brèche dans cette carapace et le peu qui en émanait, elle l'interprétait avec justesse. Milo n'avait jamais eu besoin de s'épancher longuement, l'empathie de Valentina préservait l'orgueil et la vanité du blond. Secouant doucement la tête, il poursuivit. Je sais pas ce qui ce serait passé si elle avait pas été là. Je serais certainement en plein déni, fiancé à une nana dont je me fout royalement, coincé plus que jamais dans un rôle qui ne me convient plus. Coincé et prisonnier. Lorsque le monde était encore normal, Milo appartenait à ces jeunes gens riches, beaux, populaires, qui inondaient les réseaux sociaux de photos de leur vie tellement libre et sans soucis. Libre? Avec des années de recul, Milo peut maintenant affirmer qu'il ne l'a en fait jamais réellement été. Il reprend l'évocation de leur trio que vient de faire Danielo. Il est vrai qu'ils partageaient "presque" tout. Et c'est ce "presque" qui dérange tant. On était un trio et je considère qu'on l'est toujours. Mais à cette époque, il n'y a que vers elle que je pouvais me tourner. Doucement, Milo posa sa main sur celle de Danielo qui serrait toujours dans son poing le col de son tee-shirt. Il lui détacha les doigts un par un tout en poursuivant.Quoique je fasse, j'avais la sensation d'être foutu, Dan. A qui je pouvais parler? Mes parents? Mon père aurait mis ma tête à prix, ma mère en serait morte. J'aurais bousillé leurs vies et leur foutue ambition. Toi? Après tout, t'étais le principal intéressé...mais je ne t'ai jamais senti autre que fraternel à mon égard. Je voulais pas prendre le risque de détruire nos liens. Je n'aurais pas pu encaisser un refus et on n'aurait jamais pu faire comme si rien ne s'était passé. Je n'aurais jamais pu faire comme si rien ne s'était passé. insiste-t-il. Fermant les yeux une seconde, il prend une courte inspiration. L'apocalypse zombie a eu au moins cet avantage de l'avoir libéré de toutes ses chaînes. Les entraves qu'il s'imposait autrefois n'avaient plus aucune raison d'exister dans un monde où on mesure pleinement la fragilité d'une vie humaine. Me taire et n'en parler qu'à Valentina était l'option où il y avait le moins de conséquences, le moins de dégâts. Je ne dis pas que c'est la décision la plus "juste" ou "la meilleure" mais c'était la seule chose à faire à ce moment-là.  Mais pas la plus indolore pour Milo ni la plus sereine pour Valentina à qui il avait fait promettre le silence et qui devait assister au "désastre" sans avoir les coudées franches. On n'a pas fait ça de gaieté de coeur, Dan. Je l'ai bien fait chier à me jurer encore et encore qu'elle ne dirait rien et moi...moi, je me croyais suffisamment solide pour gérer le truc. J'ai tenu quelques mois avant d'exploser et de ne plus pouvoir faire semblant.

Ses mains s'étaient agrippées au col du jeune blond, le serrant presque de toutes ses forces, comme si Milo risquait de disparaitre, d'un moment à l'autre, pour le priver de toutes ses réponses, qu'il attendait tant. Pendant presque six années, il s'était laissé infecter par cette atroce sensation qui bouillonnait au fin fond de ses entrailles. Elle avait par moment ressurgit, et dans les pires moments, pour l'enfoncer davantage encore dans ses plus obscures pensées. Ce soir, elle avait surmonté l'intégralité de ses ressentiments, vaincu sa fierté, et assommé de plein fouet sa retenue, pour enfin pouvoir mettre un terme à cette dissociation. Un poids énorme l'avait soulagé, alors que Danielo essayait de contenir ses émotions, consignée de justesse derrière ses prunelles émeraudes. Le regard bicolore du survivant lui avait servi de support pendant un instant, avant que ses doigts ne viennent chatouiller sa joue, avec affection. Milo ne se méfiait plus de lui, comme il l'avait toujours fait sur le sujet depuis le départ, il venait enfin de changer de regard sur son plus fidèle partenaire. Il aurait sans doute besoin de temps pour absorber les révélations surprises du Colombien, et pourtant, il n'avait pas trainé pour lui répondre, mettant un peu plus de sens à cette histoire. Valentina semblait avoir eu un rôle clé dans la rétention de se secret, décidant de le soutenir plutôt que de l'enfoncer, au détriment de sa relation avec son propre frère jumeau. Cette exclusivité aurait dû le rendre jaloux, lui qui était tant attaché à sa moitié de sang, ainsi qu'à sa relation privilégiée avec Milo, et pourtant, ce ne fut pas le cas, bien au contraire. Il comprenait. Milo avait toujours été au-dessus de tous, que cela soit pour Val, comme pour Dan, et probablement bien plus encore aujourd'hui. Pour Danielo, en tout cas. Si quelqu'un lui avait demandé de choisir, entre les deux, il était certain qu'à l'heure actuelle, il aurait été incapable de le faire. Il se serait sacrifié lui-même, à la place.  

Milo prolongeait son explication, apparaissant presque soulagé d'avoir été confronté à cet apocalypse, puisqu'il n'avait pas eu besoin de faire semblant, et d'être un autre. Quelqu'un qu'il ne veut pas être. Marié à une femme qu'il n'aimerait pas, offrant une image de lui qui ne lui appartenait pas. Danielo avait compris déjà depuis longtemps, que la fin du monde les avait rappelés à l'essentielle. A des priorités toutes autres, et qui pourtant avait toujours été là. Mais c'est le retour du jeune homme, qui avait confirmé cette observation personnelle. Putain qu'est-ce qu'il lui avait manqué. Et apprendre qu'il n'avait eu que Valentina vers qui se tourner, à l'époque, venait d'enfoncer un peu plus profondément la lame dans sa poitrine. Milo n'avait pas pu compter sur Danielo, lui qui était censé être son meilleur ami. Une fois de plus, Dan avait retenu de justesse une véritable inondation, contournant cette attaque douloureuse, en se concentrant sur la suite de son discours. Pendant ce temps, son voisin prenait l'initiative de le détacher de son emprise, étouffé, certainement, par cette réaction soudaine autour de sa nuque. Il avait raison, tristement raison, qui d'autre l'aurait soutenu à ce moment-là ? Danielo ne savait pas, lui-même, et avec du temps, quel comportement il aurait fini par avoir avec lui, si le monde avait continué de tourner dans l'autre sens. Mais ce dont il était certain, c'est que Milo lui aurait péniblement manqué, jusqu'à gâché le restant de sa vie... et peut-être bien plus. Milo avait conclu sur sa déclaration finale, se montrant plutôt déçu de ne pas avoir pu cacher son secret plus longtemps. « Chouette... je ne serais toujours pas au courant, à l'heure qu'il est, si tu n'étais pas un faiblard ! ». Ironisait Dan, sans pour autant déloger de sa position. Ses iris s'étaient fixées sur le visage de son ami, essayant de décrypter chacune de ses expressions faciales, puisque pour une fois, il ne les dissimulait pas. Sa main ne le retenait plus, totalement engourdit et pétrifiée par ses derniers efforts. Dan ne savait plus quoi faire, ni quoi dire pour soulager les regrets de son coéquipier, ainsi que les siens. Alors, après avoir expulser un dernier soupir, il avait fini par quitter le lit, se dressant, maladroitement, devant Milo, le visage fermé. « J'ai faim, je vais voir si je nous trouve des... trucs.». La forme de ses sourcils n'engageait rien de bon, non plus le fait qu'il avait esquivé le regard de Milo, pour se détourner de lui et ainsi se diriger vers la porte de sortie, sans aucune arme. Son cœur battait à un rythme insensé, affligeant ses poumons ainsi que sa cage thoracique, qui les contenait. Il était véritablement en train de perdre le contrôle, et à peine son visage avait été hors de sa vue, planqué derrière une masse de cheveux noirs, qu'une ruée de larmes l'accabla rudement, inondant ses joues dorénavant rouges. Il aurait pu partir en sanglot, et exposer sa faiblesse aux yeux sans doute perdus de son meilleur ami, mais au lieu de ça, il avait agrippé son épaule blessée pour y enfoncer son pouce, et ainsi assommer ses émotions par une douleur toute autre que celle qui le transcendait. Il éprouva beaucoup de difficulté à ouvrir la porte, avant de pouvoir enfin disparaitre officiellement de son champ de vision, escaladant les restes du rôdeurs éteints, pour lourdement chuter au contour du premier virage qu'il croisa, dans un couloir très voisin. Assaillit par toutes ses émotions, qu'il ne contrôlait plus, Dan s'était accroché au mur, en pleurant, parvenant seulement à se remettre sur ses deux genoux, tellement la douleur dans sa poitrine l'étourdissait. Il tremblait, affaiblit par ce qu'il avait retenu pendant beaucoup trop de temps. Mais au moins, ça sortait.  

« Chouette... je ne serais toujours pas au courant, à l'heure qu'il est, si tu n'étais pas un faiblard ! » Une conclusion bien ironique, comme le coup de griffes de semonce d'un chat excédé. Les yeux verts ne se détournent pas, restent rivés aux iris de Milo qui plisse lentement les lèvres en une moue navrée - pour lui, pour Danielo, pour eux - avant de secouer négativement la tête. Je préfère quand tu me qualifies de "sentimental". C'est beaucoup moins péjoratif. dit-il avec un petit tic qui apparaît à la commissure de sa bouche. Il voudrait ajouter une foule d'autres choses après ce qualificatif qui le pique au vif, raconter le noeud dans la gorge qu'il avait dès qu'ils partaient en soirée, l'angoisse qui le rendait déjà parano de le voir partir avec une nana, le contrôle qu'il s'imposait pour ne pas avoir de geste ambigu ou douteux alors que tous ses nerfs ne voulaient et ne désiraient que cela. Faiblard...c'est tout ce qu'était donc ce calvaire auquel il s'était soumis pendant des mois?
Avec les années qui ont passé et le recul que Milo avait pris sur ces faits, au final, c'était plus que de faiblesse dont il avait fait preuve en claquant la porte après avoir craché au visage de Danielo ses sentiments. Il avait abattu ses ultimes barrières et s'apprêtait à enflammer son petit monde confortable comme un pyromane. En avouant qu'il l'aimait, il avait allumé la mèche d'un bâton de dynamite sans savoir s'il le gardait pour lui ou le lançait au beau milieu de son univers. Finalement, ce qui avait toujours pétrifié Milo - à savoir perdre Danielo en essuyant un refus - avait été relégué au second rang face à la loyauté et à l'honnêteté qu'il devait à son alter ego. Milo l'aimait bien plus qu'il ne s'aimait lui-même. Et c'est qu'il s'apprêtait à dire après avoir baissé un court instant les paupières pour se soustraire au regard de Danielo, admettre que s'il avait été l'empereur des égocentriques, ce statut, il l'avait jeté aux orties, en faisant passer les intérêts de l'autre avant les siens mais le brun se releva subitement en soupirant.
Milo croisa brièvement les iris du brun, debout près du lit, qui affichait une mine indéfinissable. Et, de but en blanc, ce dernier décida d'aller se mettre en quête de vivres. Le blond fronça les sourcils, se redressant sur le matelas alors que l'autre lui tournait le dos et se dirigeait vers la porte. Complètement séché, Milo ne put esquisser aucun geste pour le retenir, ni lui faire faire volte face pour lui montrer ce qui l'amenait à prendre la fuite. Car du point de vue de Milo, il s'agissait d'une énième fuite pour qu'il ne voit pas quelque chose. Une fuite suffisamment maladroite et gênante pour que Dan peine à ouvrir une porte non verrouillée. Sa silhouette disparut aussitôt dans le couloir jonché de morts laissant un Milo comme deux ronds de flan toujours assis sur le lit. Putain... murmura-t-il incrédule à la pièce soudain bien vide. Mais c'est quoi ce bordel? Il se leva et courut jusqu'à la porte. Passant la tête dans le couloir, il regarda à droite puis à gauche, juste le temps de distinguer une ombre qui disparaissait à l'angle. Dan! cria-t-il avant de réaliser qu'il était parti sans aucune arme, rechercher et fouiner dans un endroit très sommairement inspecté. Secouant la tête, Milo prit une profonde inspiration avant de se ruer dans la salle de bain pour récupérer le plan du blockhaus et s'emparer du pied de biche posé contre le mur à côté de la porte. Comme Danielo, il fit l'impasse sur sa paire de pompes, espérant de tout coeur qu'un mort rampant n'aura pas le temps de leur bouffer les mollets ou un orteil. Ca serait tellement con.

Il était là. Au sol, à genoux face au mur, le visage caché dans ses mains. L'appel de Milo mourut aussitôt dans sa gorge lorsqu'il remarqua les légers tressaillements qui agitaient les épaules de ce dernier. Danielo ne semblait pas l'avoir entendu. Le blond se mordit la lèvre inférieure, baissant les yeux une seconde en ravalant une boule qui naissait dans son gosier avec l'impression désagréable de voir ce qu'il n'aurait pas du voir. Et puis, merde, t'es incapable de rebrousser chemin maintenant que t'as vu ça. Il s'avança vers le brun, sans émettre un son, se doutant que son compagnon n'était visiblement pas en état pour avoir les sens aux aguets et en alerte. Sans rien dire, il se laisse tomber aux côtés de son alter ego et alors que les yeux verts se lèvent sur lui - brillants, si brillants - Milo attire contre lui le corps de Dan. Nouant les bras autour de son cou, il appuie sa joue contre une joue humide, glisse ses doigts dans les cheveux sombres trop longs. C'est lui qui maintenant s'accroche à l'autre comme pour l'empêcher de disparaître, de s'effacer une fois de plus derrière des postures. Au bout de quelques secondes, il s'écarte à peine, juste suffisamment pour lui permettre de tourner la tête et de faire face au brun. Des mèches noires humides strient un visage rougi, des yeux trop brillants l'évitent de nouveau, au creux de son bras, il peut mesurer l'irrégulière chronométrie d'un corps. Si Milo s'était épris d'un Danielo fier et farouche, insolent et nonchalant, celui-ci était bien plus poignant. Les iris vairons cherchent à attraper les vertes. T'es beau quand tu es vrai. chuchote-t-il, son souffle mourant sur les lèvres si proches de Dan, le regard se perdant dans ses yeux.

Accroché au mur du couloir voisin, Danielo venait de lâcher prise, totalement maîtrisé par toutes ses émotions, qu'il s'était tant acharné à contenir. Ses genoux tentaient de le soutenir une dernière fois, alors qu'il avait le visage enfoui dans son coude, inondant tout ce qui aurait pu croiser ou frôler ses joues. Son corps l'avait officiellement abandonné, terrassé par tout ce qu'il avait encaissé en presque six années de survies. Il ne contrôlait plus rien, pas même les tremblements qui le saisissaient du plus profond de ses entrailles. Il avait suffi du retour d'une seule personne dans sa vie, pour anéantir cette façade, autrefois si solide, qu'il avait construit autour de lui, en guise de protection. Milo avait toujours eu cette emprise sur lui, mais aujourd'hui, Danielo réalisait qu'il en avait encore plus. Alors que ses organes raisonnaient sous le fracas de ses hoquets, il sentit subitement une présence, se rapprocher puis descendre à sa hauteur. Un rôdeur se serait précipité avec beaucoup moins de douceur et de précautions, que venait de le faire Milo. Un liquide salé continuait de ruisseler le long de ses joues, alors qu'il avait posé son regard émeraude sur le visage affecté de son camarade. S'il avait eu le choix, il se serait dissimulé dans un secteur beaucoup plus éloigné, sauf qu'à peine avait-il abandonné son ami, qu'il était déjà trop tard pour se ressaisir ou même pour ralentir la chute. Danielo était à bout, et avait accidentellement exposé ses faiblesses aux yeux de celui qu'il redoutait tant, et pour tellement de raisons. Dan n'arrivait même plus à atténuer ses frémissements, pour au moins, sauver ce qui aurait pu rester de fierté devant Milo. Ce dernier avait alors pris l'initiative de l'étreindre, scellant ses bras autour de la nuque du pleurnichard, pour le retrancher contre lui. Cette fois, aucun des deux n'avaient résistés, et aussitôt, bien que toujours sous l'emprise de tremblement, les bras de Danielo s'étaient refermés dans son dos, acceptant la sentence comme elle tombait. Il aurait voulu le serrer plus fort encore qu'il ne l'avait fait, mais il peinait déjà à ne pas inonder le t-shirt ou le cou de son partenaire. Il avait honte putain, de se présenter ainsi devant la personne qu'il avait toujours considéré comme un mentor, un ami, un frère, et sans doute plus. Mais il était déjà bien trop tard pour faire demi-tour. Autant pour faire semblant que rien de tout cela ne s'était passé. Cette accolade avait fini par le calmer un peu, alors qu'il sentait un peu moins son corps persécuter de sursaut, celui de son ami. La douleur dans sa poitrine avait faibli, elle aussi, consolé par l'attention du responsable de tous ses maux. Lorsque Milo avait fini par se détacher, juste un peu, ce fut pour ausculter l'état dans lequel il venait de se mettre. Une fois de plus, Dan avait essayé d'esquiver l'assaut visuel du médecin, le méprisant pendant un petit moment, de lui avoir infliger autant de peine, en si peu de temps. Mais la raison avait rapidement repris le dessus, lui rappelant que s'il avait autant souffert, ce n'était certainement pas à cause de Milo, mais bien de sa propre volonté. Les prunelles verdâtres du Colombien avaient fini par céder, plongeant enfin dans le regard vairon de son protecteur. Plus aucune proximité ne semblait le déranger ou le gêner, non, il avait même laissé Milo le flatter, alors qu'enfin il s'était révélé sous son véritable jour. « Tu veux dire, propre ?!». Rétorquait-il, en tentant de noyer le poisson avec une boutade. Sa paume était venue essuyer la joue humidifiée du pauvre Milo, le débarrassant des larmes de son coéquipier, alors qu'il en avait probablement rien à foutre. « Il va falloir que tu m'aides à me relever... j'ai vraiment un truc important à faire.» Lui demandait Danielo, alors qu'il ne souhaitait pas avoir l'air d'un plus gros misérable qu'il n'était déjà, en multipliant les tentatives pour le faire lui-même. Il s'était accroché aux épaules de Milo, se redressant ensemble et en même temps, pour se retrouver face à face. Danielo avait effectivement besoin de faire quelque chose d'important, mais il n'avait pas voulu le faire agenouillé devant un mur plein de larmes ou de sangs. Il avait pris le temps d'essuyer ses propres larmes du revers de son poignet, puis avait doucement mais solidement agrippé le visage de Milo, pour venir déposer ses lèvres contre les siennes. Danielo n'avait pas fini de se débarrasser de ses émotions, et c'est ainsi qu'il le fit, l'assommant d'un baisé passionné, se délivrant de tous ses putains de démons, pour un temps du moins. Il l'avait libéré, seulement, et uniquement lorsque ses poumons proclamaient l'asphyxie. « Salé, je sais. » C'était tout ce qu'il avait trouvé à dire, alors que la rougeur de ses joues avait mûri, intimidé par sa propre initiative.  

Les secondes se figent, les minutes se cristallisent. Le monde lutte dehors pour survivre et continuer d'exister mais dans ce couloir éclairé par des néons, plus rien ne semble avoir d'importance. Une bulle hors du temps semble s'être créée et le tumulte extérieur n'y a aucune emprise. Seuls comptent cette respiration hachée qui se faufile dans son cou, la moiteur des larmes qui imprègne sa peau, la pression de ces bras qui le retiennent aussi fort qu'il retient lui-même le corps de l'autre. Les deux silhouettes se séparent mais pas les regards, et Milo s'égare dans la contemplation de ces fêlures, de cette fragilité passagère que lui révèle Danielo. Et ce qu'il voit derrière les artifices, la vanité et l'orgueil, la volonté farouche du brun à se montrer insensible, il ne peut le garder pour lui. Ses dernières réserves tombent, Dan est si beau quand il est vrai. C'est presque pudiquement que Danielo rétorque avec légèreté à cet aveu, comme pour détourner l'attention de lui. Le temps reprend son cours comme soudain rappelé dans la réalité. Milo sourit, laisse filer un reniflement amusé avant d'hausser nonchalamment les épaules. Le survivant crasseux n'est pas dégueulasse non plus. répond-il du tac au tac alors que la paume de Danielo le débarrassait des traces de larmes de ce dernier. Comme un chat que l'on gratifie d'une caresse, le blond y cale sa joue jusqu'à ce que le brun reprend la parole. « Il va falloir que tu m'aides à me relever... j'ai vraiment un truc important à faire. » Un léger froncement de sourcils chez Milo - un truc important? - mais ce dernier s'exécute, glissant un bras autour de la taille de son compagnon alors que ce dernier prenait appui sur ses épaules. Ils se déplièrent ensemble, se faisant face une fois debout. Milo leva les yeux sur le visage de Dan s'apprêtant à lui dire que s'il s'agissait d'excuses qui nécessitaient tant de cérémonie, ce n'était pas la peine, leur réconciliation valait tout l'or du monde. Mais il faut croire que tout l'or du monde n'aurait pas pu être échangé contre ce qui suivit.

Le brun s'empare du visage de Milo, envahissant tout son champ de vision. Et, sans préambule, il prend possession des lèvres du blond dont le coeur qui s'affole loupe un battement. Surpris par cette soudaine audace, il ferme lentement les yeux, répondant au baiser de Danielo. La faim, la fatigue, le pessimisme se dissolvent dans ce contact que Milo a espéré si longtemps. L'étonnement passé, il se laisse porter, glisse ses mains le long des hanches du brun, l'attirant contre lui tout en avançant d'un pas pour que le dos de l'autre s'appuie contre le mur de béton. Il commence à manquer d'air mais ne peut se résoudre à abandonner les lèvres sèches de Dan. Des flammes crépitent près de son estomac, un fourmillement rampe au creux de ses reins, remonte le long de son dos. Un soupir lui échappe alors que Danielo s'écarte légèrement de lui. « Salé, je sais. » lâche ce dernier, les joues pourpres.C'est pas ce que je retiendrais. répond Milo en libérant lentement le brun de son étreinte. Rivant ses yeux aux siens, il peine encore à réaliser ce qu'il vient de se passer bien que son palpitant en est encore tout affolé...glissant une main sur la nuque de Danielo, il se love contre lui, embrassant légèrement le creux de son épaule avant de s'écarter enfin de lui. On rentre? demande-t-il en regardant tour à tour dans la direction des quartiers du gradé puis dans celui de couloirs sommairement visités. Tendant le bras, ses doigts se referment sur le poignet de Danielo. On sera encore là demain. Et...et on aura des chaussures. termine-t-il en baissant les yeux sur leurs pieds nus, un léger rire dans la voix.

La résilience de ses genoux n'avait pas présenté Danielo sous son jour le plus impérieux, et pourtant, il avait été incapable de rebondir avec fierté, comme il l'avait toujours fait, dès l'arrivée de son meilleur ami. Le Colombien était resté dans sa position, trempé par sa sévère démission, offrant l'occasion à Milo de pouvoir se servir de cette faiblesse apparente. Comme à chaque fois, les craintes et appréhensions du bougre disparaissaient, anéantit par la réaction loyale et particulièrement conciliante de son camarade de longue date. Milo l'avait serré suffisamment fort pour le consoler de ses déchéances, et le soulager d'un énorme poids. Comment faisait-il pour rester aussi doux et agréable avec lui, malgré tout le mal qu'il lui avait fait ? Le petit commentaire décalé du Colombien avait servi d'alibi, alors que son ami l'avait gratifié d'un compliment plutôt gênant. Peut-être que celui-ci aurait été plus acceptable, s'il s'était présenté dans un costard hors de prix, avec une coiffure figée par la laque, mais pour le coup, il s'était senti plus bas que terre, et ce n'était pas l'image qu'il souhaitait offrir à son plus précieux allié. Cette tentative ne l'avait pas vraiment sauvé, puisque Milo avait enchainé sur le même ton, pas vraiment écœuré par son apparence de tous les jours, alors qu'il restait sévèrement négligé par l'époque apocalyptique. Un petit sourire avait bordé le coin de ses lèvres, puis il avait baissé le regard un instant. Ses yeux avaient cessé de pleuvoir, et il s'était permis un geste affectif, pour la première fois, en libérant Milo de ses propres larmes de chagrin. Sa main s'était réchauffé un court moment sur sa joue, blottit, puis il avait pris son mal en patience, alors que son cœur débordait d'envie.  
Lorsqu'il fut debout, ramassé par son sauveur, Danielo s'était laissé consumer par ce qu'il redoutait depuis le départ, il avait finalement cessé de résister. Ses mains s'étaient agrippées à ses joues, mais bien moins passionnément que ses lèvres aux siennes, lorsqu'il décida de ne plus les lâcher tant qu'il aurait encore de quoi s'abreuver. Son rythme cardiaque avait saccagé l'intégralité du fonctionnement de ses organes vitaux, et pourtant, il avait prolongé le baisé autant qu'il put, jusqu'à la réponse empoignante de son ami. Ce moment avait été suffisamment fort pour le libérer d'années de frustrations et de refoulements, mais insuffisamment long pour le soulager de ses propres démons. Son souffle avait fini par balayer la mèche rebelle de Milo, tandis qu'ils se dévoraient des yeux, encore incendiés par ce baiser. Dan avait fini par lui rendre son visage, détachant ses mains de lui, pour accepter la sentence ; Maintenant, il avait l'air d'un abruti incapable de s'assumer. Mais soit, cela n'avait pas l'air de faire fuir le jeune blond, qui s'était attardé une minute de plus contre lui, pour conclure en embrassant son épaule. Il aurait tellement voulu avoir la force de le retenir, et de le garder contre sa poitrine, mais il avait déjà eu besoin d'aide pour se relever, il n'était plus tellement capable. « Et si... demain, je suis redevenu con ? » Il ne s'agissait pas là d'une plaisanterie cette fois, Danielo était seulement en train de se craindre lui-même. Il ne pouvait plus compter sur son sens de la cohésion, puisqu'il avait l'impression d'en être privé depuis bien longtemps. Son cœur se serra, et se recroquevilla sur lui-même rien qu'à cette idée, tandis qu'il affichait un minois désemparé. Danielo ne souhaitait plus faire de peine à son Milo, seulement il ne savait pas encore comment il allait pouvoir se gérer. « Je suis peut-être bipolaire !» Evidemment, il s'était planqué une nouvelle fois derrière un petit muret d'humour, cherchant à ne pas traumatiser son coéquipier. Ce dernier était autant démuni que lui, certainement perdu dans toute cette panade d'émotion. Il avait alors proposé un retour au point de départ, prétextant qu'ils n'étaient pas en positions de se déplacer, assurément pas sans chaussures. « Je te suis.». Alors que son poignet s'était laissé tirer par les intentions de son colocataire. « Et peut-être de la bouffe ? » Ajustait Dan, alors qu'il piétinait derrière Milo. Il paraissait hésitant, d'un premier coup d'œil, mais au fond, il manquait juste d'équilibre, accablé par la fatigue, et probablement aussi par sa crise de larmes. Intérieurement, il se promettait d'être un autre homme demain, mais allait-il pouvoir s'ouvrir enfin et se laissé happer par tout ce qu'il ressentait ? Ils avaient pris soin d'esquiver le cadavre, qui jonchait toujours le couloir, à l'entrée du quartier principal, retournant dans leurs nouveaux appartements, en prenant soin de s'y enfermer. Dan n'était plus vraiment cohérent, alors sans réfléchir, il avait accaparé le premier côté du lit qu'il trouva, et s'y installa sans un mot, laissant ainsi la chance à Milo de prendre l'autre. Pendant une minute, il s'était persuadé qu'en se contentant de fermer les paupières, il n'éprouverait aucune difficulté à s'endormir, mais au final, il n'attendait qu'une chose, s'était juste de sentir la chaleur d'un voisin pas loin, pour lui promettre qu'il y aurait un demain. Et un meilleur...  

Rentrer était ce qu'il y avait de plus sage et raisonnable à faire. Il n'y avait plus aucune raison de se fuir l'un l'autre dorénavant et quand bien même l'évocation de nourriture avait de quoi motiver, Milo commençait à ne plus se sentir capable d'entamer n'importe quelle démarche nécessitant de la prudence et de l'attention. La fatigue s'était mise à lentement serrer dans un étau, il sentait quelques noeuds douloureux au creux de ses muscle et qui risquaient fortement de l'être bien plus demain matin. Il pourrait survivre aiséùent à une nouvelle nuit sans manger mais si un zombie rampant décidait de leur bouffer un mollet, ça serait un game over définitif, sans aucun continu et surtout bien con. Et puis, il ne le dirait pas à haute voix de crainte de briser cet instant fragile où ils étaient réellement face à face, sans masque ni artifice, mais il crevait d'envie de se blottir contre Danielo et de simplement dormir. Dormir avec la certitude que son compagnon n'allait pas le détrousser ou plus simplement le tuer durant la nuit. Dormir sans avoir à être réveillé pour prendre un tour de garde ou pour aller vérifier la provenance d'un bruit suspect. Dormir sans sentir les irrégularités du sol creuser son corps. Dormir sans cauchemarder sur la ferme.
Mais si demain, ils reprenaient leurs masques, coincés dans une routine dont ils seraient maintenant incapables de se débarasser? Danielo mentionne ce fait avec sérieux et gravité et Milo hausse les épaules en esquissant un vague sourire. Plus con que d'habitude? puis il reprit Pourquoi redeviendrais-tu con? demande-t-il Pas la peine de répondre, réfléchis-y juste. Pour quelles raisons revenir en arrière? dit-il en posant l'index sur le front de Danielo. En ce qui concernait le blond, il n'avait plus aucune entrave. Plus de parents à satisfaire. Plus de réputation à tenir. Plus de jugement à supporter. Que pourrait-il redouter à aimer Dan? Des regrets de sa part parce que ses sentiments ne sont pas partagés. « Je suis peut-être bipolaire ! » Le regard vairon qui s'était fait lointain se repose sur le visage du brun. Milo étouffa un rire bref. T'es surtout crevé. On est tous les deux crevés et ces dernières heures n'ont pas été peinardes. Tu l'as dit, bouffi! des sacrées montagnes russes même!
C'est Danielo qui mis fin à la scène dans ce couloir. Acceptant la main que Milo avait refermé sur son poignet, il n'y eut ni négociation ni refus après la proposition de rentrer. Il le suivrait et ils reviendront demain. Après s'être remis, ils pourraient réellement fouiller les lieux et trouver, qui sait, « Et peut-être de la bouffe ? » Milo laissa échapper un gémissement. Comme un labrador réagit à un bout de papier froissé, son estomac cruellement vide se rappela à son bon souvenir. Rah, p'tain, parles pas de bouffe maintenant. Je rêve de manger un truc pas trop périmé qui a encore un goût acceptable. Au bout de six années d'errance, les rares vivres que l'on trouvait et qui avait échappé aux pillages, n'étaient pas folichons et quand on est un nomade, on compte souvent sur ce que la nature veut bien laisser en chemin et elle est pas toujours généreuse. Derrière lui, Dan marchait avec peine et Milo sentait qu'il n'allait pas tarder à se mettre à son tour à tituber. Il leva le nez devant lui en ayant la désagréable impression que ça faisait vachement longtemps qu'ils étaient dans ce foutu couloir, que les quartiers étaient foutrement loin. Il ne put retenir le soupir de soulagement en apercevant le zombie au sol juste devant la porte de leur refuge. Et ben, c'est pas trop tôt! un dernier coup de collier et ils pourront se vautrer sur un vrai matelas bien épais.

En silence, ils s'engouffrèrent dans les quartiers et tandis que Danielo verrouillait la porte de ces derniers, Milo s'était débarassé de son pied de biche au sol et du plan des lieux  qu'il n'avait pas eu l'occasion de sortir pour faire un bon mot sur une étagère. Son compagnon n'avait pas attendu bien longtemps avant de se laisser tomber sur le lit, prenant possession d'un côté. Milo éteignit les appliques avant de soulever les couvertures et de se faufiler dessous. Il n'apprécia pas de suite le confort de l'oreiller ou du matelas mais glissa jusqu'au milieu du lit, jusqu'à sentir le dos de Danielo. Passant un bras autour de ce dernier, il l'amena un peu possessivement à lui avant de doucement frotter son nez contre sa nuque. Tout va bien... chuchota-t-il autant pour lui-même que pour le brun.

Pour quelles raisons revenir en arrière ? Cette question avait manœuvré dans plusieurs recoins de sa tête, alors que Milo venait de déposer son index sur son front, lui demandant d'y réfléchir. Danielo l'avait contemplé pendant quelques secondes, cherchant une réponse qu'il ne trouverait pas, ou du moins, pas ce soir, pas dans cet état, pas face à ce visage plein d'assurance et de sagesse. Il s'était contenté de froncer les sourcils, décidant de suivre son conseil, et ainsi d'esquiver la question. Elle finirait bien par revenir, comme un boomerang, et Dan en était persuadé, cependant, s'il pouvait l'enterrer pendant quelques heures, il ne serait pas contre. La fatigue commençait péniblement à ronger le niveau de logique du Colombien, qui se jugeait dorénavant bipolaire. Cela avait valu un petit rire moqueur, de la part de son camarade, alors qu'il venait d'agripper son poignet, pour l'entraîner vers leur nouvel appartement. « Si tu savais sur quoi je suis tombé, il y a quelques mois...» Osait-il rétorquer, alors que la famine les dévorait toujours de l'intérieur. Son nez s'était retroussé en une grimace navrée, interrompant juste à temps sa révélation. « Au final non, il ne vaut mieux pas que tu le saches...» Et jamais il n'oublierait cette trouvaille, alors que des tonneaux de saucissons secs, et en très bons états, avaient été abandonnés tristement dans une ferme brûlée et ravagée par les morts. Il avait bien évidemment oublié le goût, et tous les effets que cette viande sèche et parfumée engendrait sur la langue, mais au moins, cela lui avait permis de tenir quelques semaines de plus, sans se préoccuper de son estomac.  

Après avoir été presque tiré par Milo jusqu'à la chambre, Danielo avait dû réaliser un effort monumental pour enjamber le cadavre éteint qui bordait l'entrée. Il s'était intérieurement promis, que demain, il accorderait du temps au nettoyage des alentours, leurs épargnants ainsi quelques images qu'ils avaient largement assez croisées depuis presque six années. La porte soigneusement verrouillée derrière lui, le jeune survivant n'avait pas traîné pour rejoindre le confort du seul lit qui ceindrait les quartiers de cet ex-commandant. Malgré la chaleur de la couette, et le moelleux de l'oreiller sur laquelle il venait de poser son oreille engourdie, son état d'exténuation n'avait pas suffi à l'apaiser, prolongeant son supplice, alors qu'il sentait son voisin prendre la même direction. Son impatience avait pourtant fini par être récompensé, puisque rapidement, Milo était venu le coller, accompagnant son bras du sien, comme pour le soulager d'une solitude sans pitié. L'effet de ce contact fut immédiat, rassasiant le Colombien qui s'était aisément laissé faire. Le souffle de son meilleur allié aurait pu suffire à le faire partir, mais Milo lui avait offert davantage, lui chatouillant la nuque pour ensuite le rassurer par quelques mots. Aussitôt, la main du brun avait tâtonné jusqu'à celle de Milo, puis s'y était accrochée, entremêlant ses doigts aux siens, avant de définitivement rendre les armes.  

La hauteur des flammes l'avait pendant un très long moment pétrifié, alors que devant lui, Milo se débattait dans un jardin plutôt familier, recevant des coups de la part d'un assaillant assez féroce. Danielo n'arrivait pas tellement à le reconnaître de derrière ses immenses braises, mais il savait qu'il l'avait déjà vu quelque part et que dans une logique lointaine, il aurait dû être mort. Il souhaitait de tout son cœur pouvoir traverser ce mur de feu, et ainsi rejoindre Milo, mais plus il tentait d'avancer, plus la chaleur des flammes crépitaient, jusqu'à lui donner des crampes dans l'estomac. C'est brusquement qu'il se réveilla, alors que cette gêne subsistait, gazouillant dans l'intégralité de son système digestif. Il avait faim, putain, et il en avait mal. En se retournant légèrement du côté de Milo, il se retrouva confronter au visage endormi de ce dernier. Il avait l'air apaisé, délivré de toute souffrance, et probablement très loin de la sinistre réalité qu'il retrouverait dans quelques heures. Dan ne savait pas depuis combien de temps il avait dormi, mais ce qui était sûr, c'est qu'il serait incapable de faire quoique ce soit, s'il n'avalait pas quelque chose de comestible. En tentant de se redresser dans le lit, et de rendre son bras à Milo, il réalisa qu'il n'était plus autant éprouvé par la fatigue, physiquement, que la veille. Son corps avait repris des forces, bien qu'encore insuffisamment, mais assez pour le faire tenir jusqu'au prochain couché. Ce fut avec quelques regrets qu'il abandonna son ami dans le lit, prenant malgré tout soin de le border jusqu'aux épaules. Sans un bruit, il avait enfilé un sweat dégoté dans le placard, et une paire de basket, vidant le contenu de son sac à dos, pour n'y conserver que deux armes. Lorsque Milo se réveillerait, et tomberait sur l'arbalète du Colombien, il n'aurait strictement plus aucun doute sur le fait qu'il allait revenir.  

Cette fois, il s'était accessoirisé d'une petite hache, qu'il conservait solidement dans la main, alors que la porte se refermait doucement derrière lui. Son cœur se serra, lorsqu'il jeta un dernier coup d'œil à Milo, mais c'était pour la bonne cause, et les lieux paraissaient bien plus fiables que la veille, n'est-ce pas ? Et puis, il avait tellement donné de sa personne, qu'il était temps pour Danielo, de lui prouver qu'il en était capable, lui aussi, et surtout qu'il pourrait compter sur son coéquipier, comme avant. Le gaillard avait ainsi subtilisé le plan des lieux, l'auscultant quelques secondes, avant de prendre une direction assurée. Il s'était dirigé, dans un premier temps dans des couloirs familier, avant d'atterrir dans une zone qu'il ne connaissait pas. Avec sa nouvelle forme, et surtout cette map, il était parvenu rapidement jusqu'aux cuisines, scrutant par le hublot de la porte métallisée, l'intérieur des lieux. Sans surprise, il y avait deux, voire trois rôdeurs qui se baladaient, mais qu'il n'aurait, normalement, aucune difficulté à éliminer. Cette initiative lui avait pris malgré tout une bonne dizaine de minutes, avant qu'il ne se retrouve enfin seul, et maître des lieux. Danielo avait, et depuis bien longtemps, perdu espoir quant à l'existence d'alimentation usuelle et pourtant, il ne baissait pas les bras, dévalisant chacun des placards et des réfrigérateurs de la salle. Il y avait une multitude de sauce, qu'il n'imaginait pas manger sans un aliment plus solide, des œufs écrasés ou périmés, des restes d'aliments méconnaissables. Au final, il avait dû conclure sa recherche dans la réserve, pleine de carton, les faisant tomber un à un, sans réaliser qu'il avait manqué un macchabée. Alors qu'il entendait des boîtes en métal s'entrechoquer, dans un carton en hauteur, il tenta de l'attraper, mais fut soudainement déséquilibré par un rôdeur. Il lui manquait un bras, et pourtant, il ne manquait pas de poigne. La grande taille du Colombien n'était rien, comparé à celle du cadavre, qui l'avait coincé contre une étagère. Par chance, l'une des petites boîtes finies par tomber sur son crâne, ruinant le visage des deux adversaires d'une sauce rougeâtre poivrées. Elle avait déstabilisé le rôdeur, offrant l'occasion à Danielo de lui planter sa hache dans l'oreille. Ce dernier était lourdement retombé sur le côté, laissant le brun entrevoir son identité, via le badge qui était resté collé sur sa poitrine. « Commandant Redford..». Il fit une petite moue, alors que son visage était entièrement noyé par la sauce rouge épaisse. « Merci pour le room service! » Se permit-il, en associant ce dernier au quartier qu'ils avaient investis, avec Milo. Dan avait ensuite récupéré le carton, plein, s'asseyant contre un rebord pour le vider. Le choc fut tel, qu'il était retombé sur ses fesses, jusqu'au sol, figé par la série de boîtes de conserve COMESTIBLES qu'il venait de trouver. « Bordel de.. Putain ! » S'excitait-il, en attrapant le carton plein, pour se diriger rapidement vers ses quartiers d'origines. Il aurait pu courir, tellement il était heureux, mais il aurait pris des risques inutiles, et il ne savait pas si Milo avait fini par sortir des bras de morphée. Il n'était plus qu'à quelques mètres de la chambre, et de la porte close, lorsqu'il sentit de sévères picotements lui lacérer les oreilles, puis lui brûler les narines. « AU FEU CA BRULE !!! » Avait-il hurlé, en laissant le carton retomber pas loin du cadavre de l'entrée.  

Tout irait bien ou mieux maintenant. En six années de plus ou moins solitude, Milo était passé par des phases où plus rien n'avait d'importance, où rejoindre les rangs des morts devenait tentant, envisageable comme "la" solution de facilité. Ce monde lui était apparu comme foutu tant de fois qu'il s'est à de nombreuses reprises demandé pourquoi continuer à survivre, à souffrir. Que pourrait-il en sortir de bon maintenant que les sociétés sont à terre, détruites. Et puis, lorsqu'il touchait le fond dans ces moments de profonde dépression et d'abattement, toujours lui revenait en tête ces souvenirs doux et amers du passé, la volonté de vivre qui était vacillante retrouvait son éclat et l'espoir de revoir les jumeaux lui faisait faire un pas de plus. Puis un autre. Et un autre. Et au final, Milo se remettait à lutter, retrouvant un second souffle comme dans une interminable course d'endurance.
Quand Milo sentit Danielo chercher à tâtons sa main pour y nouer ses doigts, un demi-sourire de contentement étira ses lèvres, il se serre contre ce dos tiède. Peu-à-peu, il abdique face à la fatigue qui l'engourdissait, ses muscles sont cesse tendus pour réagir avec rapidité se détendent, sa respiration adopte un rythme lent et tranquille s'accordant à celui de son partenaire, l'odeur de la peau de Danielo envahit ses narines. Milo a vaguement conscience des réprobations de son estomac qui émet un long grommellement de mécontentement d'être vide mais déjà, ce son n'appartient qu'au monde éveillé. Sans angoisse, sans crainte, sans anxiété, Milo sombre dans le sommeil, englué dans cette atmosphère douce qui serait presque rassurante s'il n'y avait pas une pièce bourrée de cadavres animés. Tout va bien... se répète-t-il mentalement. Tout ira bien... se convaint-il en croisant les doigts pour ne pas faire de cauchemars ou être réveillé en sursaut par...par...par n'importe quoi d'agressif.

C'est fou comme une nuit peut être réparatrice. Etait-ce parce qu'il se sentait en sécurité dans cette pièce close avec Danielo? Etait-ce du à cette sensation de propreté qu'il n'avait pas éprouvé depuis lontemps? Etait-ce la literie qui était foutrement agréale? Ou était-ce à cause de cette quête, cette recherche digne d'un croyant qui venait enfin d'aboutir? Milo dormit dans tous les cas comme un mort, remuant à peine lorsque Danielo se releva, grognant mollement quand ce dernier quitta le lit. La soudaine fraîcheur de la couche aurait pu le sortir du sommeil mais Dan releva les couvertures sur lui, le renfermant de nouveau dans ce cocon tiède, avortant toute phase de réveil.
Ce fut une cacophonie qui arracha littéralement Milo au repos. Des choses métalliques venaient de tomber pas très loin et de manière retentissante. Ca roulait dans le couloir et Danielo hurlait. Assis brusquement sur le lit, les yeux grand ouvert mais la mine encore chiffonnée, Milo rejetta en un mouvement les couvertures pour sauter hors du lit. Il ne vit pas l'arbalète de son compagnon juste l'absence de ce dernier et cette phrase de pure panique venant du couloir. Au pas de course, il avala les quelques mètres qui le séparait de la porte. Il ne vit ni les conserves, ni les cartons, son attention fut intégralement absorbée par Danielo. Debout. Paniqué. La tête rouge de...de...de quoi exactement?!
Milo se précipita vers le brun. Bordel Dan! lâcha-t-il en sentant la trouille s'emparer de lui. Il attrapa le visage de Danielo entre ses mains et sut au contact que le rouge n'était pas du sang ou de la purée de cervelle de zombie. Il n'y a pas d'incendie, Dan. dit-il en plongeant son regard vairon plein d'assurance dans celui du brun. Ca sent juste le renfermé et la pourriture. Le seul truc qui crame, ce sont nos neurones à cause de la faim et de la malnutr... Milo fronça le nez en même temps que les sourcils. Se hissant sur la pointe des pieds, il huma l'air, reniflant le rouge qui maculait le visage de son compagnon. C'est de la... commença-t-il avant de passer son index sur une des coulées vermeilles, il porta son index à son nez puis la goûta avec méfiance du bout de la langue. Ses traits se détendirent alors qu'il levait les yeux sur Danielo. Ca piquait légèrement mais c'était assurément comestible et c'était foutrement identifiable. Comme pour confirmer ses pensées, l'estomac de Milo émit un long gémissement. C'est de la putain de sauce tomate, ça. lâcha-t-il les yeux brillants comme ceux d'un môme le jour de Noël.

Le carton venait brutalement d'atteindre le sol, claquant ses multiples boîtes de conserve les unes contre les autres, alors qu'un cri strident provenait du Colombien, soudainement agité. La mixture rougeâtre et épaissie par le temps commençait à lui picoter les oreilles, et à lui brûler l'intérieur des narines, le laissant penser que soit elle était périmée, mais dans ce cas, pourquoi aurait-il une réaction cutanée seulement maintenant ? Soit elle était épicée, et pour un Colombien habitué aux plats pimentés, c'était plutôt un comble, que de ne pas le supporter. Il s'était aussitôt essuyé les paupières, par crainte que celle-ci ne dégouline jusqu'à l'entrée de ses yeux. Mais punaise, ça commençait sévèrement à piquer, et il n'arrivait pas à se débarrasser de la partie qui le dérangeait le plus. C'est alors que Milo se précipita sur lui, alerté, et certainement réveillé par les hurlements de son compagnon de route. Il lui avait agrippé le visage, ralentissant sa démarche, alors que déjà, ses manches et bras étaient recouverts de sauce. Pour autant, il en avait encore énormément sur le visage, et il avait l'impression de cuir. Le blond n'avait pas l'air de saisir l'ampleur de la situation, totalement amusé par le comportement de son ami, qui ne tiendrait pas en place très longtemps. Il avait même fini par goûter à la substance, brusquement emballée par la saveur familière de celle-ci. « Tu te moques de moi ? » S'excitait de nouveau Danielo, qui, en repoussant Milo, avait tenté d'essuyer une énième fois son museau et son nez, via son t-shirt, déjà bien recouvert de sauce, lui aussi. « Ça me brûle !!!! » Et il s'agitait sur les pavillons de ses oreilles, qui allaient probablement rester de cette couleur, à force de frotter, même après un rinçage. Face au visage ahuri et euphorique de son coéquipier, le grand brun s'était risqué à utiliser le bas de son t-shirt, sans lui demander son autorisation, pour tenter de se débarrasser de ce qui le démangeait le plus. Au final, il n'avait fait que salir les vêtements de Milo, puisque la sensation continuait de lui ravager la peau de l'intérieur. Il se mit à courir jusqu'à la salle de bain, abandonnant ainsi Milo et son gros carton de boites de conserve derrière lui, pour allumer brutalement les robinets de la baignoire, et y passer l'intégralité de sa tête et de son visage, directement sous le jet froid. C'est seulement lorsqu'il parvint à mettre du savon dans son nez, et à l'entrée de ses oreilles, que les brûlures finirent par disparaître, le libérant d'un poids considérable. « Putain..». Crachait-il, alors qu'il était resté dans sa position, à genou, tête sous le jet d'eau. Lorsqu'il décida d'éteindre enfin le robinet, il avait encore pas mal de mousse de savon dans les lobes des oreilles, et dans les cheveux. Mais au moins, la sensation avait disparu, bien qu'il conservât de sévère traces d'allergie, un peu partout sur le visage. Il espérait que Milo est découvert le carton, ainsi que son contenu, et surtout, qu'il ne soit pas trop contrarié par les tâches de sauces, qui avait globalement salit tout son t-shirt. Le 2e jour de cohabitation dans les locaux commençait plutôt bien... Danielo était revenu dans la chambre, pas du tout dérangé par son apparence ridicule. « Pour une fois, j'essayais d'être utile... ». Râlait-il, alors qu'il avait l'air tout penaud avec ses marques et ses morceaux de savons. Il avait encore son sac à dos sur lui, d'ailleurs, et l'avait lentement laissé glisser jusqu'au sol, dépourvu de toute gaieté alors qu'enfin, ils allaient pouvoir manger, et pas seulement aujourd'hui. Le Colombien s'était promis de ne plus être un fardeau pour celui qui l'avait tant de fois relevée, et qui, encore ce matin, n'avait pas trainé pour le rejoindre, alors que Danielo s'était mis à hurler. Il aurait voulu pouvoir faire une entrée un peu moins accablante, aux yeux de son meilleur ami, mais encore une fois, sa maladresse avait pris le dessus, et il venait de s'auto-décevoir. « Si tu me proposes un plat à la sauce tomate, je te jure que ça va te coûter cher ! ». Le menaçait-il, enfin, alors qu'il n'osait plus toucher à son propre visage. Il s'était détourné de Milo, plongeant le nez dans l'armoire pour tenter d'y trouver un t-shirt voir deux, beaucoup plus propres. Au final, cette situation lui rendait un peu service, car il ne savait plus tellement comment se comporter avec Milo, surtout pas après les évènements de la veille. Evidemment, il n'éprouvait aucun regret, ou seulement celui de ne pas s'être déclaré plus tôt, seulement il n'était pas tellement doué pour gérer les changements, et encore moins pour aborder un sujet aussi délicat que l'évolution d'une relation comme la leur. D'ailleurs, où est-ce qu'ils en étaient, tous les deux ?  

« Tu te moques de moi ? » Wow. Milo a un léger geste de recul en entendant Danielo s'emporter. Fronçant les sourcils, il secoue la tête d'un air un peu ahuri se demandant bien quelle mouche vient de piquer l'autre. « Ça me brûle !!!! » lâche l'autre. Oh merde. lâche-t-il d'un ton calme avant d'hausser les épaules. Ah ben oui, du coup, il comprend le sentiment d'urgence qui pointe dans la voix de Danielo et le ton sec qu'il a adopté en voyant sa réaction...ou son absence de réaction. J'entends "au feu!", je pense incendie, flammes, fumée. J'étais à deux doigts de me demander si t'étais pas en train d'halluciner, Dan le bipolaire. Plein de bienveillance et prêt à aider son compagnon, Milo ravance d'un pas, essaie d'attraper le bras du brun mais stoppe son mouvement. Trépignant sur place, frottant avec énergie son visage, ses oreilles, son cou, Danielo offre un spectacle surprenant et insolite dans ce couloir où un cadavre pourrit lentement sur le sol bétonné. Ca monte lentement mais sûrement. Plaquant sa main contre sa bouche, Milo étouffe finalement un rire, ignorant ce qu'il y a de plus risible : sa propre panique, celle de Dan qui est sur le point de s'arracher les oreilles ou le fait qu'ils soient dans tous leurs états pour un truc aussi bénin. Sans prévenir, Danielo s'empare du bas du tee-shirt du blond pour continuer à frotter vigoureusement sa peau. Si au départ, Milo tenta d'esquiver, il abandonna rapidement l'idée, restant les bras en l'air, le regard rivé sur le plafond. P'tain, Dan... soupire-t-il. C'est pas comme si les fringues propres et à leur taille, ils en avaient trouvé des caisses. Et les zombies d'ici n'étaient vêtus que de haillons, rien de bien récupérable. Aussi brusquement qu'il s'était rué sur lui pour s'essuyer, Danielo l'abandonne soudain dans le couloir, filant au triple galop vers leur refuge et certainement la salle de bain. Les bras toujours en l'air, Milo baisse les yeux sur son tee-shirt en esquissant une moue dépitée avant d'entrer à nouveau dans les quartiers du gradé.

De la salle de bains lui parvient le bruit d'un jet d'eau réglé sur la pression maximale. A pas de loup, il s'approche de la porte, la pousse du bout des doigts pour voir Danielo à genoux devant la baignoire en train de continuer à se frictionner le visage, les cheveux à grand renfort de savon et de mousse. « Putain... » Ouf, il râle, c'est donc que tout va bien. S'esquivant, Milo regagne la chambre, retrouve le couloir pour récupérer le carton et les boîtes évadées. Et bien, et bien...le brun n'a pas chômé. Outre des briques de sauce tomate cuisinée, il y a un tas de conserves plus ou moins identifiables. Les étiquettes tombent en miettes mais Milo parvient à en lire certaines avant qu'elles ne se désagrègent entre ses doigts. Lorsque sa tâche est finie, il retrouve Danielo, ce dernier en a fini avec sa sauce mais pas avec la mousse du savon qui lui coule encore le cou.  « Pour une fois, j'essayais d'être utile... » ronchonna le brun toujours en colère contre lui-même mais avec une moue penaude adorable. Milo esquisse un sourire avant de lui effleurer doucement l'avant-bras, le carton coincé sous l'autre bras. C'est pas un concours, Dan. C'est de la coop'. Et puis, t'es pas revenu les mains vides ou mortellement blessé. poursuit-il en indiquant de la main le carton qu'il vient de poser au pied du lit. « Si tu me proposes un plat à la sauce tomate, je te jure que ça va te coûter cher ! » ronchonna le brun tout en lui tournant le dos, nez plongé dans l'armoire à la recherche de n'importe quoi à se mettre sur le dos. Milo se débarasse également de son tee-shirt constellé de tâches rouges et, sur l'envers, commence à essuyer les dernières trainées de mousse dans le cou du brun. Promis, j'éviterais. Mais... poursuit-il en se postant à côté de Danielo en plissant les paupières, interrogatif. Comment t'en es arrivé à prendre une douche de sauce tomate?

Danielo n'était plus tellement capable de se concentrer sur la voix de son coéquipier, totalement calciné par cette horrible sensation de brûlure, qui continuait, et de plus en plus fort, à lui excorier la peau. Il ne savait plus comment gérer cette crise d'allergie, ne retenant qu'un mot sur six, chaque fois que Milo ouvrait la bouche. Il avait fini par paraître amusé de la situation, sauf que Danielo avait accidentellement eu sa revanche, en attrapant de force son bas de t-shirt, pour se débarrasser d'une petite partie de la sauce. Pour le coup, il s'était laissé faire, réalisant probablement qu'il n'avait pas tellement le choix, et surtout, que le Colombien était dans une phase de combustion assez violente. Le médecin était resté figé par le spectacle de ses agitations, brusquement abandonné avec un cadavre en pleine décomposition, et un carton plein de boites de conserves. Lorsqu'il put enfin se hisser sous un jet d'eau tiède, et s'imbiber de savon, ce fut comme la fin d'un incendie de forêt en plein été. Il s'était appuyé contre le rebord de la baignoire, pendant quelques secondes, dépourvu de toute énergie. À vrai dire, il avait surtout besoin d'avaler quelques choses pour reprendre des forces, car il avait l'impression que sa nuit de repos venait d'être gaspillé en à peine 3 minutes de fureur. Il n'osait plus toucher à son visage, à sa nuque et encore moins à ses oreilles, qui pourtant aurait bien besoin d'un meilleur rinçage. Et tandis qu'il ignorait les restes de mousses de savon, qui pourtant restaient bien accrochées, il décida enfin de retourner dans la chambre, prêt à se confronter aux moqueries de son allié de toujours. Il s'était entiché d'un petit air tout penaud, usé par sa propre maladresse, alors que Milo avait fini par récupérer le carton. Il semblait bien moins sur la défensive que la veille, alors que le gringalet venait de lui hurler dessus, quelques minutes plus tôt. Au moins, la tension avait fini par se dissoudre, et cela soulageait pleinement le Colombien, qui n'avait plus besoin de se maitriser devant lui. Il pouvait de nouveau être.. lui-même ? Enfin, s'il arrivait à remettre la main dessus. « Non, mais...». Il avait lâché une petite grimace, alors que Milo venait, pour la énième fois, de se montrer beaucoup trop compréhensif. « Si ont fini par se chamailler, encore, devant ma sœur, je veux avoir l'air d'avoir servi à quelque chose, et ne plus être... celui qui allume le feu et vous attend pendant que vous chassez et parler dans mon dos... ». Danielo n'était pas stupide, et surtout, il connaissait sa jumelle par cœur ; la dernière fois qu'ils s'étaient retrouvés tous les trois, elle devait forcément lui avoir extorqué des informations, et au vu de la relation qu'ils entretenaient, encore hier, il est clair que Milo ne devait pas avoir été aussi bienveillant, qu'il l'était à l'heure actuelle. Au fond, il se fichait de ce que pouvait bien penser sa sœur de lui, elle l'aimait suffisamment fort pour le supporter, quoi qu'il devienne. C'était plutôt le jugement de son ami Milo, qui l'inquiétait. Il avait péniblement besoin de remonter dans son estime, et de lui prouver qu'il lui était reconnaissant, de tout ce qu'il avait fait pour lui. Sentiment ou pas. Danielo ne souhaitait pas rester ce boulet de presque deux mètres, que Milo s'acharnait à faire rouler derrière lui. Il devait anéantir le souvenir d'un regard plein de rancœur et de regret, qu'il avait beaucoup trop de fois croisé ces dernières semaines. Le Colombien s'était planté devant l'armoire ouverte, et encore bien défoncée, ignorant le petit geste déstabilisant de son camarade, qui venait de se prendre une seconde réflexion ironique. Il avait délibérément abandonné déjà, son t-shirt sali dans la salle de bain, ne réalisant pas qu'il s'était présenté, sous cette forme, devant Milo. Il avait pris sur lui, lorsque ce dernier l'avait imité, tentant d'ignorer, par la même occasion, sa présence tout près. Il avait retenu un frisson, lorsque le jeune blond lui avait essuyé la nuque, se contentant de rester immobile, et de soulever, par ci, par-là, les petites piles de fringues qui s'entassaient dans la grande armoire. Malheureusement, son stade de concentration fut bien trop facilement ébranlé, lorsque Milo l'interrogea, le forçant par automatisme à poser son regard sur lui, et à négliger sa maitrise de soi. Il l'avait dévisagé pendant quelques secondes, submergé par des centaines de regrets. Comment avait-il pu perdre autant de temps à lui faire payer, et pendant des semaines, alors qu'il avait toujours voulu la même chose ? Et tandis qu'il tentait de gérer une suffocation interne, il décida, enfin de se justifier. « J'ai retrouvé notre bon vieux commandant de bord... je suppose que ça explique pourquoi, tous ses pantalons me vont. Il faisait un vrai 2 mètres et... comme j'ai vu à bouffer, j'ai pas vraiment fait attention, il m'a eu par surprise. Cette sauce m'a sauvé la vie... avant d'envisager une mutinerie bien sûr. ». Et rien que d'y penser, il avait levé le bras, dans le but de se frotter l'oreille, mais s'était abstenu juste à temps de le faire. En reportant son attention sur le contenu des étagères, il avait fini par dégoter deux t-shirts, tendant le premier à son colocataire, alors qu'il cherchait déjà l'issue du second. En un geste, bref, il l'avait enfilé, puis avait brusquement contourné Milo, faisant mine de s'intéresser aux contenus des boites de conserves. Une fois de plus, il ne savait plus comment gérer la situation évoluante avec Milo, et il se contentait donc de prendre la fuite.

Cela n'allait pas être aisé, particulièrement quand on a survécu tout seul tant de temps, de penser "coopération". Milo avait eu l'occasion de rejoindre pour des périodes plus ou moins longues des communautés de survivants ou de simples petits groupes. Il n'est jamais resté à leurs côtés plus que nécessaire. La méfiance naturelle qu'il éprouve pour ses pairs depuis le début de l'apocalypse l'ont toujours poussé vers la sortie avant que les choses ne dégénèrent. Car elles dégénèrent tout le temps. Et puis, les autres membres du groupe avaient tendance à vouloir le garder en vie à tout prix et si possible rien qu'avec eux. Qu'importe le fait que Milo ai réussi à survivre seul, qu'il ai développé des aptitudes à pister ou à chasser. Un Milo sédentaire est un Milo qui ne fait que de la médecine et à qui on refuse toute sortie en dehors du périmètre sécurisé du camp. Milo comprend donc la frustration de Danielo et la petite dent qu'il semble conserver de l'escapade du blond avec sa jumelle. Sans remords, Milo l'avait relégué au rang qu'on lui avait déjà affublé au sein de groupes. Celui qui reste au camp et qu'on ne confronte surtout pas au danger. Sentiment d'être faible, inutile, piégé. C'est en toute connaissance de cause que Milo avait agi sachant par avance à quel point cela allait cingler la fierté de Danielo. Le blond haussa les épaules en réponse à son alter ego non sans le gratifier d'un demi-sourire. Alors ne fais plus l'imbécile avec ton épaule. J'ai plutôt hâte de voir ce que tu vaux comme survivant. Une contrainte transformée en défi, comme lorsqu'ils étaient des gamins et que c'était leur manière d'accepter les interdits des adultes.

Campés tous les deux devant une armoire remplie d'un fouillis de vêtements, Danielo reprit la parole pour répondre à la question de Milo. Comment en est-il arrivé à se prendre une douche de sauce tomate. Le brun évoqua le commandant du blockhaus qui d'après lui était un véritable géant, expliquant par la même occasion pourquoi les fringues de ce dernier donnaient l'impression à Milo d'être un enfant qui pique les vêtements de son père. Mais avant de découvrir ce méta-zombie, le brun avait été déconcentré par la bouffe. Qui aurait pu lui jeter la pierre? Le blond lui-même n'était pas certain d'avoir réagir avec sang-froid et contrôle s'il découvrait des étagères pleines de boîtes de conserves. Bref, Danielo avait du se battre avec le mort vivant causant la dégringolade de briques de sauce dont une a du s'ouvrir.
L'anecdote terminée, Danielo jetta à Milo un des deux tee-shirts qu'il était parvenu à dénicher avant de s'esquiver rapidement pour s'asseoir sur le bord du lit et reporter son attention sur le butin contenu dans le carton entre ses deux pieds. Enfilant en silence son tee-shirt, Milo pivota sur lui-même pour poser un regard dubitatif sur son compagnon qui se concentrait sur une activité faussement intéressante. Dan était-il indécis sur la manière de se comporter avec lui? Regrettait-il leur soudain rapprochement? En était-il gêné? Merde, c'était tout ce qui avait empêché Milo de se révéler. Il s'en mordit la lèvre inférieure avant de s'avancer lentement vers le brun. Le blond avait eu six années pour être parfaitement à l'aise avec sa bisexualité, avec les sentiments qu'il éprouvait. Mais pas Dan. Du bout du pied, Milo repoussa le carton, l'éloignant de son compagnon, le contraignant à lever les yeux sur lui. Tu vas bien? T'as l'air...distant. commença-t-il les sourcils légèrement froncés. Bordel que ça lui allait lui coûter de dire ça. Prenant une légère inspiration, il poursuivit sentant déjà sa gorge se rétrécir. Dan, si tu regrettes ce qu'il s'est passé entre nous, si tu as le moindre doute...dis-le.

Par moment, l'utilisation de son épaule redevenait pénible, probablement parce qu'elle n'avait jamais été soignée comme il le faut auparavant, et que de ce fait, le temps de convalescence s'était multiplié par deux ou trois. Pourtant, Danielo réalisait bien qu'il avait grossièrement déjà bien récupéré, et que d'ici quelques jours peut-être, il pourrait de nouveau s'en servir avec plus d'aisance. Les efforts démesurés de son ami retrouvé avaient définitivement payé, et pourtant, il ne semblait pas encore très confiant, quant à l'hypothétique talent de survie de son acolyte. Milo paraissait réclamer des preuves de son évolution, alors qu'il venait juste de lui en fournir une. Le Colombien avait pincé les lèvres avant de poser son regard exacerbé sur son colocataire. « Dois-je te rappeler que je vis seul depuis cinq ans ?! OK, quand on s'est retrouvé, j'étais plus tellement au taquet, mais maintenant qu'on m'a fait les bons soins, enfin... que TU... je vais reprendre mes vieilles habitudes.. ». Il lui fallut quelques secondes pour réaliser que, peut-être, ses propos risquaient d'être mal interprété. « Je veux dire, mes habitudes avec un +1...» Ses tentatives de rattrapages restaient chaque fois très maladroites, mais Danielo n'avait jamais été doué pour parler des sujets qui le touche. Il n'arrivait même pas à lui dire, en toute simplicité : je ne vais pas te lâcher, je serais juste moins inutile. Exaspérer par sa propre incapacité à communiquer plus clairement, il avait fini par lâcher un soupir, retournant accaparer le contenu du carton, après avoir enfilé son propre t-shirt. Mis à part la sauce piquante, l'intégralité des boites de conserves avaient survécus à sa petite crise de panique. Il ne restait plus que quelques traces de savons en guise d'attestation. Puis soudainement, le carton se fit la malle, glissant un peu plus loin, pour attirer toute l'attention du Colombien sur le responsable. Les sourcils du gaillard s'étaient aussitôt arqués au-dessus de son front, alors que le visage de Milo s'était assombri. Dan était maladroit, farfelu, insouciant, mais pas stupide, il comprit avant même que son allié ne se lance. Le regard baissé, il ne savait plus tellement où se foutre, particulièrement gêné par le questionnement du beau blond. « Je.. Quoi ? » Ses iris avaient fini par surmonter le poids de ses ressentiments, retournant croiser celles de Milo. « Depuis quand, moi, j'ai pas de doute ? ». Larguait-il, très honnêtement. Il tentait de saboter la conversation, de gagner un peu de temps, mais Milo était beaucoup plus intelligent que ça. À force d'esquiver ce qu'il redoutait, il finirait par l'énerver de nouveau, et ce n'était plus ce qu'il désirait. « J'suis perdu... ». Révélait le jeune brun, mettant directement les deux pieds dans le plat. Il s'était laissé glisser en arrière, terminant assis presque en tailleur, mais avec une jambe relevée. « Hier matin encore, j'avais envie de te cogner, je t'en voulais toujours, et maintenant... je sais pas ce que je fais, ni ou je vais.». S'expliquait-il, en soupirant. « D'accord, je l'ai peut-être jamais su, mais c'était plus facile avant.. J'avais juste à marcher et à trouver à bouffer ! Aujourd'hui, tu compliques tout... ». Pour de bonnes raisons, mais ça, il s'était abstenu de l'ajouter. « Je suis censé faire quoi maintenant ? Et toi ? Enfin... Nous ? ». Passer de meilleur ami, à pire ennemi, à cette situation n'était strictement pas facile à gérer, et pourtant, les deux hommes se trouvaient dans un climat apocalyptique, ils avaient donc bien pire à supporter. « Évidemment que j'ai des doutes, des questions... On est quoi maintenant ? On va où ? ». L'interrogeait-il, plus officiellement, alors que Danielo l'observait de sa position avec sa tête de chien battu. Si seulement il existait une boussole, pour ce genre de chose.

Pas le temps de survivre avec des interrogations ou l'ombre d'un doute pour Milo. Quitte à brusquer un peu (beaucoup) Danielo, le blond lâcha ses questions sans détour. Est-ce-que son compagnon désirait faire machine arrière en ignorant ce qu'il s'était passé hier entre eux? Ce qui apparaissait comme la pire éventualité, à savoir redevenir de "simples" amis, n'était pas envisageable pour Milo, il comprendrait la peur d'avancer dans l'inconnu mais pas les regrets éprouvés vis-à-vis de leur baiser. Alors, il se décida à tirer les vers du nez de Danielo, toute son attention concentrée sur ce dernier, sur la moindre de ses expressions, la plus légère inflexion de voix. Pourquoi le sentait-il si distant?
La réaction du brun ne tarda pas et ce fut la stupeur qui s'imprima d'abord sur ses traits. Vraie naïveté? Enième esquive? Réelle surprise face au caractère abrupt des questions de Milo? Le blond abandonna la parole à son compagnon, le laissant hésiter, chercher ses mots et tenter d'adopter une posture à cette nouvelle situation qui semblait bouleverser bien des choses dans la vie de Danielo. Il ne l'interrompit pas et n'esquissa aucun geste par crainte de tarir les paroles de l'autre.

Six ans de rancune à ruminer dans son coin, je comprends que ça soit difficile à quitter. commence Milo d'une voix posée. Six ans à te démerder seul, je comprends également que ma réapparition soit compliquée à gérer. Lui, il avait survécu jusqu'à aujourd'hui en ayant comme objectif celui de retrouver Danielo. Bien que cette situation ai été imaginaire pendant longtemps, Milo avait eu le temps de s'y préparer, d'y songer. Et à la colère, à la rancune d'une conversation lointaine qui s'était mal finie, s'était ajoutée une forme de culpabilité qui l'avait amené à changer. En six années d'errance et de survie, Milo avait appris à prendre du recul, à se poser les bonnes questions qui étaient bien souvent les moins agréables. En devenant moins orgueilleux et superficiel, il était devenu une sorte de vieux con sage un peu cynique, en accord avec ce qu'il faisait, en accord avec ce qu'il pensait.
Les paupières se baissèrent sur les iris vairons tandis que le blond pousse un soupir en baissant la tête. Danielo venait de lui confier qu'il était paumé et il ne savait comment le guider ou le conseiller. Son arrivée dans la vie de son ancien ami "compliquait" une routine bien huilée et des sentiments autrefois bien distincts. Je te dirais bien que le monde est suffisamment pourri et déprimant pour que l'on se raccroche à la moindre chose positive, mais c'est grave gnangnan. Milo s'installa aux côtés du brun qui lui adressa une oeillade toujours égarée. Que sont-ils devenus l'un pour l'autre? Que feront-ils demain? Des questions que l'humanité se pose depuis qu'elle s'est mise à philosopher et ce n'était pas lui qui y trouverait des réponses maintenant. Prenant le visage de Danielo entre ses mains, il appuya son front contre celui de son compagnon, plongeant ses iris bicolores dans les autres. D'abord silencieux, il esquissa une brève moue avant de reprendre. Qu'est-ce-que tu as envie d'être pour moi, Dan? souffle-t-il la voix réduite à un murmure. Parce que tu sais ce que je veux.

La position de Milo était devenue plus prudente, face à l’hésitation massive de son ami, qui peinait à mettre des mots sur ses émotions et ses confusions surtout. Il aurait voulu que tout soit plus facile, et qu’il n’est à se préoccuper que de leurs survies, seulement, comme si le monde n’avait pas changé, Danielo se posait des questions de plus en plus futiles à son sujet. Après tout, ils avaient été séparés pendant six ans, et chacun avait changé. Soit, ils avaient mûri, soit ils avaient perdu une part de ce qu’ils avaient été à l’époque. Au final, c’était peut-être ce point plus précisément qui inquiétait le Colombien, puisqu’il craignait de ne plus être celui que Milo avait aimé autrefois. En silence, il observait les réactions du jeune homme, qui semblait de son point de vue, retenu. Il le comprenait, d’accord, mais est-ce que pour autant, il avait de quoi le guider ? Des réponses ? Ce que Danielo avait pris pour de la retenue, était en fait de l’indécision. Milo ne savait pas non plus où il mettait les pieds, il n’avait fait que s’écouter, sans chercher à savoir où cela le mènerait. À force de survivre dans un monde sans lendemain, Milo avait fini par ne plus réfléchir à son avenir, contrairement au jumeau, qui prenait le sujet très à cœur. Il avait esquissé un léger sourire, face aux commentaires gnangnan de son camarade, puis avait relevé les yeux vers le plafond, cherchant de nouveau ses mots. « Est-ce que c’est vraiment quelque chose de positif, ou, on est juste en train de planifier de se faire encore plus de peine ensuite ? » . Après tout, ils avaient consacré la plupart de leurs temps à se battre, depuis leurs retrouvailles, alors évidemment cette perspective restait quelque peu irréelle pour le Colombien. « Peut-être que ça va me manquer de ne plus te rentrer dedans ! ». Lâchait-il, sur un ton plaisantin. Milo avait quitté son bord de lit, pour rejoindre le sol inconfortable, aux côtés de son colocataire. Et tandis que Danielo arrivait enfin à le dévisager sans rougir, ce dernier fini par se rapprocher de plus belle, ajustant sa position pour lui agripper le visage, puis pour venir coller son front contre le sien. Aussitôt hypnotisés par le contraste de ses yeux vairons, Danielo n’avait pas résisté, se contentant d’y noyer ses propres iris. S’en suivie un silence, lourd de sens, avant que le Colombien ne soit assommé par le sujet qui le tracassait le plus. Milo savait ce qu’il voulait à l’époque, oui, mais aujourd’hui ? Il n’avait plus affaire au même gaillard, avec lequel il faisait les 400 coups. Une fois n’est pas coutume, son hésitation fut apparente, et Dan fut forcé à son tour de fermer les paupières, quelques trop longues secondes. « Non...». Ses prunelles de nouveaux ouvertes, il avait décollé son front du sien, sans pour autant briser son étreinte. « Milo, je ne suis plus celui-là... ce Danielo là. J’ai changé. Et... tu es peut-être resté accroché à celui que j’étais il y a six ans. Tu ne penses pas ? Pose toi la question...». Parce qu’il n’avait pas envie de se recevoir une réponse toute préparée. Il voulait qu’il prenne le temps d'’en être sûr. « Et peut-être qu’à ce moment-là, moi aussi, j’aurais la réponse à ta question, ainsi qu’aux miennes. ». Conclut-il, un peu plus sévèrement. Il s’agaçait lui-même, en prenant le risque de gâcher ce moment, et pourtant, il fallait bien que son ami soit confronté, lui aussi, à ses démons. Dans un moment de repli, Danielo en avait profité pour lui attraper les deux mains, les serrant aussi fort qu’il pouvait dans les siennes. S’il lui fallait du temps, putain, tant qu’ils en avaient, et qu’ils restaient avec lui, alors, cela ne serait pas un problème. De toute évidence, Dan en aurait probablement aussi besoin, nan ?

Danielo s'écarta de lui mais ne le lâcha pas. Une manière de prendre du recul sur une situation qui deviendrait peut-être gênante parce que la proximité qu'avait établie Milo n'était pas encore une habitude. Il ne releva pas l'éventualité de se faire mutuellement de la peine, ça serait abandonner et Valentina lui avait recommandé de ne pas baisser les bras. Alors, il laissa Danielo parler jusqu'à ce que ce dernier évoque la crainte que lui-même avait confié à la jeune femme. Je me suis déjà posé cette question flippante. Est-ce-que je suis amoureux d'un fantôme, d'un Danielo Gomez figé dans le temps? Milo avait évoqué cette éventualité avec Valentina et c'était quelque chose qui le perturbait bien plus qu'il ne le laissait paraître. Réaliser que pendant six ans, il avait survécu en courant après une chimère...il avait eu beau avoir développé un mental solide, sans cette lueur d'espoir au bout du tunnel, il se jetterait dans cet abîme sans fond qui avait été si tentant durant sa détention chez les cannibales. Il secoua doucement la tête avant de reprendre. Je savais qu'on allait changer si on survivait tous les deux à ce merdier d'invasion de morts vivants...en bien, en mal, peu importe, on allait forcément être différent de ce qu'on était à 20 ans. Parvenir entier, vivant et sain d'esprit jusqu'à aujourd'hui ne s'était pas fait sans gros coups en pleine tronche. Milo avait côtoyé plusieurs autres survivants au fil de son errance, ils avaient tous vécu ou vu ou entendu des choses innommables. Parfois, ils ont du être bourreau pour ne pas être victime. Autant de tâches de culpabilité indélébiles avec lesquelles on doit vivre sans devenir complètement dingues. Autant d'événements qui marquent, changent, forcent à évoluer pour ne pas tomber. Mais il n'y a que depuis qu'on s'est retrouvé que je me pose réellement la question et que je nous regarde.

Parce qu'avant cela, se pencher sur cette interrogation aurait bien pu lui faire abandonner toute envie de lutter ou de survivre. Il aurait été moins combattif, alors quand il y pensait, il la rejettait bien loin cette épineuse question qui faisait vaciller son monde de survivant. T'es chiant et parfois imbuvable mais ça, ça ne date pas d'hier. poursuit-il avec un demi-sourire. Ils avaient toujours eu une relation ambigüe, un mélange subtil de provocation et de complicité. Ils avaient toujours eu le verbe haut l'un envers l'autre, mais il n'y avait jamais eu cette crainte que l'un des deux claque la porte, furieux, jamais de volonté de nuire. Sauf cette unique fois avant que les morts n'envahissent les rues et le pays. Même maintenant, malgré leurs échanges acides, Milo ne sentait plus une réelle malveillance ou envie de nuire. On se fait suffisamment confiance pour dormir côte à côte sans planquer un couteau sous notre oreiller. continue-t-il en évoquant la nuit précédente. Et s'il y a bien une chose d'essentielle à la survie, c'est bien une nuit de sommeil réparatrice, sans angoisse, sans tension, sans peur. Je t'ai embrassé et tu ne m'as toujours pas dépecé. Et... Il plisse les lèvres en relevant les yeux sur le visage de Danielo. Et j'ai eu peur pour ta vie. Vraiment peur. lâche-t-il presque à voix basse. Qu'on lui arrache celui-là et Milo entendrait le monde se fracasser en une multitude d'éclats de verre. Laissant filer une poignée de secondes, le blond prend une profonde inspiration. J'en suis là...avec la certitude que je ne dois plus te perdre.

Soulever un sujet comme celui-ci était plus facile à imaginer qu’à faire, et Danielo venait seulement de s’en rendre compte, essuyant les analyses de son camarade avec bien moins d’agilité mentale qu’il ne le pensait. Est-ce qu’il avait changé ? Oui, il en était certain, mais jusqu’à quel point ? Milo s’était accroché à une ancienne version de lui, bien moins robuste, mais plus tolérant, bien moins débrouillard, mais beaucoup plus humain, que celui qu’il était devenu, aujourd’hui. Il avait vraisemblablement conservé la moitié de ce qu'il était autrefois, mais serait incapable de définir quelles parties. Peut-être avait-il perdu sa meilleure ? Étrangement, il ne se posait pas la question à propos de Milo, comprenant assez naturellement qu’il n’avait pas perdu ses pires côtés, bien au contraire. Milo était devenu une sorte de version améliorée de lui-même, jusque-là du moins. Et tandis que le jeune blond s’entêtait à tout décortiquer sur le sujet, Dan le dévisageait avec appréhension. Plus il approfondissait ses observations, moins il n’offrait de véritable réponse à son principal interlocuteur. Danielo continuait de se demander s’il avait considérablement changé, en mal, ou, s’il était resté plus profondément attaché à son lui d’hier, plutôt qu’à celui d’aujourd’hui. « Il semblerait quand même que l’un est mieux évolué que l’autre... ». Ajustait-il, en le visant directement. Et le pire dans tout ça, c’est qu’il le pensait. « Et qu’est-ce que tu vois, maintenant ? ». Insistait-il, puisque Milo affirmait ne s’être posé la question, que depuis leurs retrouvailles. S’il observait sa situation avec Dan, comme il le disait depuis peu, il devait malgré tout avoir déjà un avis, n’est-ce pas ? Le gaillard avait néanmoins relevé que certains de ses pires défauts avaient persévérés malgré l’époque, comme son côté chiant et râleur, mais effectivement, cela devait probablement être indélébile. Au moins, il n’était pas dépaysé par la moitié de Danielo qu’il avait retrouvée. Pour autant, ce n’était pas ce qui l’inquiétait le plus. « Même sans réconciliation Milo, au pire, tu te serais pris une raclée, mais jamais je n’aurais envisagé de te tuer...» Clarifiait-il, en le fixant avec sévérité. Mais maintenant qu’il le savait, il risquait peut-être d’en profiter un peu ? Mince, le Colombien venait de perdre un peu de son autorité. Les prochaines révélations du survivant l’avaient un peu détendu, comprenant par ses sordides sous-entendus, qu’il n’était pas tant déçu que ça par la version de lui qu’il avait récupéré. S’il craignait encore pour sa vie, c’est bien qu’il comptait encore un minimum pour lui ? L’ironie quand même, quand on sait que six ans plus tôt, Dan refusait de l’imaginer autant attaché à lui, du moins de cette manière, et qu’en cet instant, il s’inquiétait justement que cela ne soit plus le cas. « Voilà qu’il redevient sentimental... ». Claquait-il, pour s’extirper d’un éventuel malaise. Un petit sourire taquin en coin de lèvres, il n’avait pas retiré ses mains, les laissant accrochées aux siennes. « Je suppose que de toute façon, il n’y a que le temps qui peut nous répondre... ce n’est pas en 12 heures de presque totale réconciliation, que tu.. Ou que je, vais savoir ce qui subsiste là-dedans. ». Son menton avait pointé la poitrine de son ami, avant de relever les yeux sur son visage. « C’est chouette, en cas de situation de crise, on va mutuellement se sacrifier pour l’autre... merveilleux comme instinct de survie ! » Effectivement, si aucun des deux n’était capable de gérer la perte de l’autre, cela promettait quelques scènes particulières à l’avenir. Intérieurement, Danielo venait de se promettre de ne plus se poser, pour l’instant du moins, cette maudite question ; à savoir si son ami continuait d’espérer y retrouver l’ancien Danielo qu’il avait perdu, ou s’il pouvait s’adapter à la version d’aujourd’hui. Mais cette initiative personnelle risquait de lui infliger de la torture, il le savait déjà. « Et donc... est-ce qu’on peut manger maintenant ? ». Ce n’est pas comme si, ils crevaient de faim depuis des jours. « Comme ça, tu en profiteras pour me rapporter absolument tout ce que ma sœur ta dit que je ne sais pas ? Vu qu’on est de nouveau... je ne sais pas ce qu’on est, en fait ». Ha oui, ils n’avaient pas non plus répondu officiellement à cette question.