Une nouvelle journée venait de s'achever et le soleil déclinait timidement vers l'Ouest emportant avec lui les derniers rayons de lumière qui n'avaient une fois de plus pas réussi à égayer sa triste journée. C'était fou à quel point le temps passait lentement entre ses murs. Luke ne trouvait rien à faire pour s'occuper si ce n'était qu'embêter certains membres de la zone quand ils ne faisaient pas des trucs d'adultes. Intérieurement, il enviait ces survivants qui passaient le portail tous les matins pour revenir le soir avec des vivres. A chaque fois, on les accueillait comme des héros et cela avait le don d'agacer Luke qui aurait tout donné pour faire partie d'une équipe de ravitaillement. Sortir de cette zone ne serait-ce qu'une fois pour voir s'il savait toujours se défendre. Mais personne ne voulait prendre le risque de sortir avec lui. Personne ne voulait le prendre en charge et ça, il pouvait le comprendre. En entrant dans cette zone, il s'attendait à trouver une certaine protection oui, mais ce qu'il cherchait avant tout c'était l'égalité entre tous les survivants. Et la triste réalité de cette histoire venait du fait qu'il s'était coincé ici tout seul comme un con, sans pouvoir s'y échapper. Mais ils ne pouvaient s'en prendre qu'à lui même, Derek lui avait pourtant dit de se méfier de ce genre d'endroit. Que derrière ces belles paroles se cachait une réalité parfois bien plus terne. Et il avait eu raison... Une fois de plus. Assit sur une table un peu en recul du reste de la fête, Luke observait le ciel en silence, ne souhaitant pas participer à ces réjouissances. Du moins, pas pour le moment. Il irait sans doute y faire un tour pour voir Sam ou Maebh, s'il osait ; et probablement pour essayer d'attraper un peu d'alcool par la même occasion. Sam était l'un des points positifs de cette zone, même si sa surprotection avait tendance à l'irriter, il ne pouvait s'empêcher de l'apprécier. Il pouvait se confier à elle sans avoir l’impression d'être jugé et il n'aurait sans doute jamais réussi à s’adapter à la vie de la zone sans son aide. Quant à Maebh... Ces deux là n'avaient clairement pas démarré sur le bon pied et pourtant, ils n'ont pas abandonné. Cela avait fini par payer ou presque, si Luke n'en avait pas fait qu'à sa tête. Luke ne la remerciera jamais assez pour sa patience et sa maturité. N'importe qui d'autre aurait abandonné il le savait, mais elle était différente des autres adolescents de la zone et c'est ça qui lui plaisait tant. Esquissant un léger sourire en repensant à elle, à ce qu'il avait fait, il venu se gratter nerveusement la joue. Il avait longuement réfléchi à la façon dont il allait lui annoncer la chose et la franchise était selon lui la meilleure option. Que risquait-il après tout ? Un refus ? Même si cela avait 90% de chance d'arriver, ça ne lui faisait peur, bien au contraire. Un de plus, un de moins... Quelle différence cela faisait-il réellement ? Et puis la peur était devenue une amie intime, lui ayant permis de survivre durant ces deux dernières années sans trop de bobos. Donc autant dire qu'il entretenait avec elle une relation assez forte.

Cela était peut-être dû au coucher de soleil, mais Luke se sentait soudainement nostalgique, malgré ses dernières pensées pour Maebh et Sam. Il était là, à sourire bêtement alors que le reste de sa famille n'était plus de ce monde. Mais d'un sens, il en était heureux. Ainsi, ils n'avaient plus à endurer les aléas de la vie quotidienne. Oui... Ils devaient sûrement être mieux là où ils se trouvaient aujourd'hui... Une voix s'éleva dans son dos, celle d'un homme. Se retournant d'un air intrigué, il ne comprenait pas pourquoi des gens viendraient dans son petit coin tranquille alors que la fête battait son plein. Cependant, il resta immobile. Comme pétrifié devant l'homme qui venait de l’interpeller... Papa? C'est du moins ce qu'il essayait désespérément de prononcer. Mais aucun son ne parvenait à s'échapper de sa gorge resserrée par l'émotion. La bouche légèrement entrouverte et la terreur bien identifiable dans ses yeux, Luke ne savait pas comment réagir, il n'arrivait même plus à respirer ou à penser. Était-il en train de devenir fou ? Commençait-il à voir des fantômes ou était-ce bien réel... ? Son père se trouvait-il réellement là ? A quelques mètres de lui ? Cela semblait si irréel... Descendant rapidement de la table sur laquelle il était assit, il se jeta dans ses bras de ton son poids. Comme pour s'assurer qu'il n'était pas en train de rêver. Et lorsqu'il parvint à le toucher, les larmes lui montèrent immédiatement aux yeux. C'était vraiment lui. Ses jambes lui paraissaient si lourdes qu'il semblait pouvoir s’effondrer à tout instant. S'agrippant avec une pointe de désespoir à son père, il se refusait de le lâcher de peur qu'il ne disparaisse à nouveau. Qu'il l'abandonne une fois de plus. Et cette fois-ci c'était clair : il ne le supporterait tout simplement pas. Il avait atteint sa limite depuis bien trop longtemps. Il n'en pouvait plus. Il ne pouvait pas continuer à courir, se battre uniquement pour finir « seul » avec des inconnus. Il n'en pouvait plus d'être abandonné par les personnes qu'il aimait profondément, en sachant que de leur côté, ils ne semblaient jamais s’inquiéter de son propre sort. C'était une véritable explosion de sentiments, Luke ne contrôlait plus rien et les larmes qui venaient inonder le t-shirt de Vince pouvaient en témoigner. A vrai dire, il n'arrivait pas à savoir s'il était en colère contre son père ou bien heureux de l'avoir retrouvé... Peut-être y avait-il également une pointe de tristesse ou d'amertume dans son cœur ? C'était si compliqué et si épuisant à la fois... La tête enfouie contre son torse, les battements du cœur de son père qu'il percevait lui apportait le plus grand des soulagements. Cela faisait longtemps qu'il n'avait pas ressenti un tel sentiment de relaxation. Entre ses bras, il se sentait en sécurité, protégé. Mais si la vie lui avait bien appris quelque chose, c'était que le sentiment de sécurité était éphémère. Tous les bons moments ont une fin. Et Luke avait finalement retrouvé la force de le repousser, brisant ce moment de bonheur pour ne laisser place qu'à la rage qui lui brûlait les lèvres depuis maintenant deux longues années. Il devait le dire, il ne pouvait plus vivre avec la mort de ses frères sur sa conscience. Il avait échoué, ils étaient tous morts par sa faute, mais il n'arrivait pas à l'accepter, il ne l'accepterait jamais. Il devait trouver un responsable et à ses yeux, c'était clair : c'était à cause de son père qu'ils en étaient là aujourd'hui. Entièrement SA faute à lui.

« POURQUOI TU M'AS ABANDONNÉ ?! » Hurla-t-il à pleins poumons sans se soucier des gens se trouvant autour d'eux. Ils devaient sans doute être trop occupés pour se soucier d'une petite dispute entre un père et son fils : « Pourquoi tu nous a tous abandonnés ?! On avait tellement besoin de toi... Par ta faute AIDAN EST MORT papa ! PAR TA FAUTE ! Isaac, Enzo ! Il n'y a personne avec toi. Tu es tout seul ! Et tout ça, UNIQUEMENT à cause de toi ! Pourquoi est-ce que tu n'as JAMAIS été là ? Combien de temps ça va mettre avant que tu ne disparaisses encore une fois ? Je veux pas passer mon temps à t’entendre !» Repoussant violemment une nouvelle fois Vince à l'aide de ses deux mains, il marqua une légère pose pour reprendre son souffle saccadé par des sanglots incontrôlables. Ses larmes perlaient comme jamais le long de ses joues rosées. « Si tu crois... Que j'ai encore besoin de toi.... » Un silence. Court mais terriblement lourd, Luke savait qu'il allait regretter ses mots, mais il s'en foutait. Sur l'instant, il le pensait réellement et c'est tout ce qui l'importait. « Tu te trompes ! J'ai plus besoin de toi depuis bien longtemps ! J'AI MÊME JAMAIS EU BESOIN DE TOI ! » Il releva finalement la tête n'ayant pas osé le regarder dans les yeux depuis le début. Mais le moment était venu de lui montrer à quel point il avait changé. A quel point il avait grandi, sans lui. Il l'observait à une certaine distance, sans arriver à stopper ses larmes de détresse. Il était resté exactement le même que dans ses souvenirs, le père absent qui arrivait toujours après les bagarres. Le père qui n'avait jamais su s'occuper de sa mère et qui l'avait rendu triste pendant près de six ans. Ce père qu'il aimait et qu'il détestait tant à la fois. Mais pour l'heure, il n'avait plus rien à lui dire. Tout ce qu'il avait sur le cœur, il lui avait balancé au visage. Remuant doucement la tête avant de rebaisser les yeux, il murmura faiblement entre deux petits reniflements : « Je te déteste tellement... »